29 - Fleurs
Je marchais les mains dans les poches le long des boulevards. Je broyais du noir, seul, le moral dans les chaussettes. J'étais clairement passé a côté de quelque chose. J'étais tellement aveuglé par le fait de gérer mes deux relations en même temps, a éviter que chacune ne croise l'autre, à ce qu'aucune ne connaisse même l'existence de l'autre, que j'étais passé à côté de ce qu'il y a de plus important.
Pour Laura, je n'étais pas allé au-delà du fait quelle était mon premier amour, je me souvenais encore du jour de notre rencontre quand nous avions six ans. L'image de cette jeune fille était tellement ancrée dans la mémoire que je ne l'étais même pas posé la question de son expérience amoureuse. Avait-elle eu des expériences heureuses ? Était-elle meurtrie ? Avait-elle été épanouie, ou frustrée ? Si je l'avais su, j'aurais pu mieux me comporter, j'aurai pu au moins être un vrai ami, si ce n'est un petit ami attentif, si j'en avais eu la chance. J'aurai du m'investir au lieu de batifoler.
Je ruminais, ressassais inlassablement ses questions dans ma tête, tout en sachant que je n'aurai pas de réponse. Il n'y avait que Laura qui pouvait m'apporter des réponses, et si je le rejoignais, je recevais un photophore en plein visage.
Je m'arrêtais chez un fleuriste, une de ces enseignes qu'on retrouve fréquemment sur les grands axes. J'y entrais, dans l'espoir de trouver de quoi compenser ma stupidité.
J'observais les rayonnages. Des poinsettias, cyclamens, crocus, camélias remplissaient les étagères. La boutique était un champ de fleurs, un camaïeu de rose et de pourpre, un festival de pétales et de bourgeons. J'admirais les compositions, jaugeais les plants. Je respirais chaque bouquet, m'enivrant des différentes fragrances. Une vendeuse, la cinquantaine bien avancée, vint vers moi.
- Bonjour, puis-je vous aider ?
- Peut être. Je cherche à me faire pardonner auprès d'une jeune femme, envers qui je n'ai pas été très correct, et je voudrais lui envoyer un bouquet.
- Je vois, dit-elle en sourcillant. Quel message voulez vous lui faire passer ?
- Je ne comprends pas votre question.
- Chaque fleur a sa signification. Prenez les roses, par exemple. Une rose blanche est synonyme de pureté. Le rouge est synonyme de passion. En revanche, si vous offrez des roses jaunes, ça sera pour annoncer une infidélité.
- Ça m'a l'air bien compliqué. Je vais juste me laisser guider par mon instinct, si ça ne vous dérange pas. Je voudrais cette composition, s'il vous plaît. J'aime beaucoup la forme et la teinte de ses pétales.
- Vous êtes sûr, Monsieur ? Ce sont des …
- Ne perdez pas votre temps, s'il vous plaît, je vous la prends. Je vais retourner la voir de suite pour me faire pardonner.
- Très bien, comme vous le souhaitez.
La vendeuse saisit la composition et partit l'emballer. Je la rejoignis en caisse, choisis une carte indiquant "désolé" et la tendit a la vendeuse.
Je réglais mon achat et courut rejoindre Laura chez elle, ma composition en mains.
Je grimpais à nouveau les escaliers et frappait a la porte. Je positionnais le bouquet bien visible, face a moi, et attendit. On ouvrit, et Laura apparut devant moi, sa tenue légère troquée contre un pyjama confortable. Elle avait beaucoup pleuré, à en juger par son mascara qui avait coulé. Elle me toisa, puis baissa les yeux sur mon présent. Son visage se crispa, j'avais l'impression qu'elle allait s'effondrer de nouveau. Avant de me claquer la porte au nez, elle me hurla :
- Des chrysanthèmes ? Mais tu te fous vraiment de moi !?
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