Je suis assise dans l’un des fauteuils de la bibliothèque depuis pas mal de temps. Je feuillette de vieux livres poussiéreux quand Leslie entre dans la pièce.

- Ça fait des heures que je te cherche, lâche mon amie essoufflée. Ce manoir est vraiment trop grand !

- Que se passe-t-il ? je demande en refermant le livre.

- Je suis venue te donner ton emploi du temps, il est resté dans ta chambre. Je me suis permis d’entrer, j’espère que tu ne m’en veux pas ?

Je me lève et repose le livre emprunté. Nathalie a vraiment de tout : des vieux bouquins, des neufs, des encyclopédies, des romans contemporains et beaucoup d’autres.

Je lui prends la feuille des mains en lui soufflant un merci.

- Comme tu as déjà eu ton bac tu as la chance de ne pas avoir de cours par correspondance comme la plupart des jeunes du Foyer, continue-t-elle. Par contre, tu as beaucoup plus de méditation et de sport.

Je regarde le tableau imprimé sur ma feuille. Mercredi après-midi j’ai musculation puis sport de combat et je finis par méditation. Je ne suis pas très sportive mais je suppose que je vais devoir m’y mettre.

- J’espère que tu es sportive car Justin ne va pas te ménager, s’exclame Leslie en m’entraînant dans le couloir.

- Comment ça Justin ? je demande étonnée. Je croyais que c’était Jonas le coach.

- Oui mais Justin pratique les sports de combat depuis qu’il est petit, il enseigne cet art comme Jonas.

Le point positif est que Justin est plus sympa que le mystérieux inconnu de la bibliothèque. Je ne l’ai pas vu au déjeuner, mon amie est la seule à savoir de qui il peut s’agir.

- J’ai croisé un type étrange à la bibliothèque. Il dégageait une énergie…

- C’est Cameron, me coupe Leslie. C’est le plus fermé d’entre nous, il est solitaire et parle peu.

- Pourquoi ses énergies sont si mouvementées et effrayantes ? j’insiste appréhendant sa réponse.

- Tout comme Justin, Cam a hérité d’un don très rare, explique mon amie le regard sombre. Il maîtrise la télékinésie, le pouvoir le plus complexe et épuisant à contrôler connu des EDU.

Maintenant, plus rien ne me choque, j’en ai beaucoup entendu sur ce monde ces derniers jours.

- Justin est si ouvert et rayonnant ! Cela n’explique pas pourquoi il est comme ça.

Leslie n’a pas le temps de me répondre, nous sommes arrivées au sous-sol où quelques habitants continuent à s’entraîner.

- On ira en ville ce week-end. En attendant, j’ai laissé des affaires de sport dans les vestiaires et dans ta penderie, dit-elle avant de s’éloigner.

Je me demande comment je vais faire pour payer de nouvelles fringues.

- Ne t’inquiète pas pour l’argent, commence une voix. Nathalie est millionnaire, elle nous achète tout ce dont on a besoin.

Je me détourne vers le corps musclé de Justin. Je dois admettre qu’il est vraiment beau avec ce t-shirt noir qui moule ses abdos. Je l’observe trop longtemps et il surprend mon regard admirateur.

- Je sais que j’ai le corps d’un dieu mais il faudrait se mettre au travail, raille-t-il un sourire moqueur aux lèvres.

- Oui, dommage que ce soit Bouddha, je réplique en allant dans les vestiaires.

Pas besoin de me retourner pour savoir qu’il sourit toujours. Je suis en colère d’avoir été surprise en train de le mater, c’est pour ça que j’ai répondu du tac au tac. Je prends le temps de me changer et de me calmer. Je n’ai pas envie de retourner l’affronter tout de suite.

Quelques minutes plus tard, je sors des vestiaires, les cheveux attachés en queue de cheval. J’ai été très bien accueillie et je commence à prendre confiance en moi dans ce nouvel environnement.

Justin explique quelques techniques à Mathieu qui soulève des haltères. Deux filles que je n’arrive pas à identifier font un combat de boxe sous le regard appuyé de Jonas. Je peux voir à quel point les habitants du Foyer sont à l’aise avec leur corps.

Je m’appuie contre le mur et observe le ring où a lieu le combat. Quelqu’un me propulse sur le tapis avec une technique parfaitement maîtrisée. Malgré un choc violent, je parviens à me relever et me retourne furieuse vers Justin.

- Règle numéro un, ne jamais se laisser distraire, récite ce dernier un sourire charmeur aux lèvres.

- Je commence avec musculation ! je fulmine.

- Changement de programme, on travaille le combat en premier, réplique Justin avec autorité. Échauffe-toi.

Je fais mes échauffements comme je les ai appris au lycée en cours de sport. Je passe dix minutes à tourner mes poignets et mes chevilles pour les habituer aux potentiels chocs. Justin est concentré sur Mathieu qui soulève toujours ses haltères.

Une idée malsaine me traverse l’esprit. C’est le bon moment pour me venger de Justin. Je m’avance à pas de loup vers le coin musculation et me place derrière mon adversaire ; ni lui ni Mathieu ne m’ont vue. Justin est très grand et musclé mais je dois pouvoir le mettre au tapis. Je prends un peu d’élan et me jette sur lui, avec l’espoir que mon poids lui fasse perdre l’équilibre.

Je suis accrochée à son cou et lui n’a pas bougé d’une semelle. Il lâche un rire qui résonne dans toute la salle. Je descends de son dos, déçue par l’échec de ma tentative. Mon professeur se retourne et me lance un regard amusé.

- Ne t’inquiète pas princesse, je vais t’apprendre à mettre au tapis les mecs comme moi, lâche-t-il moqueur.

- Ne pas m’appelle pas comme ça !

Je bous à l’intérieur, ce type est tellement énervant. Je me dirige vers les tapis et m’assois en tailleur les yeux fermés. Justin me rejoint en quelques enjambés.

- Tu comptes bouder ici toute la journée ?

- Seulement une fois calmée, je réponds d’une voix claire.

Après quelques minutes de silence, je fais signe à mon professeur que je suis prête à commencer.

***

Je m’étale sur mon lit épuisée. J’ai passé deux heures à souffrir au sous-sol et une heure à me ressourcer dans une salle avec tout le foyer. Bien que mes énergies psychiques soit remontées, mon corps est à bout. Justin m’a affirmé que c’est par manque d’habitude et que j’aurai des courbatures au début.

Il me reste deux heures avant que le dîner ne soit servi et je décide de prendre une bonne douche. Je pénètre dans les sanitaires au bout du couloir des filles et je reste scotchée sur place. Les murs de la salle de bain sont blancs et de couleur crème assortis au fin parquet en bambou. Au centre trône une fontaine entourée de bancs et de coussins moelleux. Cinq lavabos immaculés sont alignés au-dessus des miroirs, les douches sont grandes et séparées par une porte en bambou. Le style zen est apaisant, Nathalie a du goût et surtout beaucoup d’argent.

- C’est plus luxueux que dans ces grands établissements privés pour riches ! clame Leslie en entrant dans la pièce.

- Je dois m’attendre à quoi d’autre ?

- Tu le découvriras le moment venu, chuchote-t-elle.

Elle prend une serviette blanche dans un placard et me la tend.

- Les longs sacs blancs accrochés au mur sont réservés pour le linge sale, m’indique-t-elle. Les vêtements sont lavés le mardi, le jeudi et le dimanche par les pensionnaires dans la buanderie près de la cuisine.

Nous prenons deux cabines de douches voisines et je pends mes affaires propres ainsi que ma serviette. Les éclairages sont apaisants, l’intérieur de la cabine est luxueux.

- Je t’ai inscrite avec moi pour les tâches ménagères, comme ça je pourrais tout te montrer, s’exclame-t-elle. Le dimanche tout le monde est appelé à faire le ménage, mais vu la taille du manoir c’est compréhensible.

Je raconte ma première journée à Leslie, et elle me donne quelques conseils.

Nous sortons de la salle de bain après avoir passé un moment à discuter. Je ferme la porte de ma chambre et m’y appuis. Les journées sont tellement prenantes que je n’ai pas pensé une seule fois à mon père et à mes anciens amis. J’ai du mal à me dire que ce sera tous les jours comme ça, que ma vie ne sera plus jamais la même.

Je soupire et vide le contenu de mon sac de voyage sur le lit. Je pose une photo de mes parents puis celle de mes deux amis sur la table de chevet. Je range mon journal intime et ma pierre dans le tiroir puis jette les quelques vêtements que j’ai emportés dans mon armoire. Je me laisse aller dans un sommeil léger.

Leslie passe me chercher et nous arpentons le couloir ensemble. Mon amie s’arrête brutalement et je me retourne surprise. Je reviens sur mes pas et je peux voir son regard vide. Je passe ma main devant ses yeux mais elle ne semble pas me voir. Soudain, ses yeux s’écarquillent et je peux lire de la terreur dans son regard bleu océan.

- Mort, murmure-t-elle d’une voix à peine audible.