Mon amie se tient le visage entre les mains et hurle à en réveiller les morts. Je ne sais pas quoi faire et la regarde pétrifiée. Cam débarque de l’autre bout du couloir et la rattrape juste avant qu’elle ne tombe au sol.

Quelques secondes plus tard, le reste du Foyer accourt. Nathalie fait signe à Jonas de la ramener dans sa chambre et interdit à qui que ce soit de rentrer. Tout le monde se disperse sauf Cam qui porte un certain intérêt au sol.

- Que s’est-il passé ? je bégaie d’une voix à peine audible.

- Leslie est une médium très puissante, avoue Cam. Les visions peuvent apparaitre à n’importe quel moment de la journée. Elle peut prédire l’avenir et la mort, mais bien sûr, le futur peut toujours changer, il ne faut pas prendre ses prédictions au pied de la lettre.

- Pourquoi je ne peux pas la voir ?

- Nathalie stabilise son flux d’énergie, tu n’as pas à t’inquiéter.

- On peut faire confiance à ses visions ?

Il me lance un regard impénétrable et se dirige vers le couloir opposé.

Ce type est vraiment bizarre.

Je descends manger avec les autres mais j’avoue que je ne suis pas sereine, j’ai peur pour mon amie. Elle avait l’air d’être terrifiée, sa vision devait être vraiment horrible. Mort avait-elle prononcé. Qu’a-t-elle vu exactement ?

Une main se pose sur mon épaule et je sursaute, surprise par ce geste.

- Ne t’inquiète pas pour elle, murmure Justin à mon oreille.

Je me lève après avoir picoré quelques nuggets et fais face à mon ami.

- Ça arrive souvent ?

- Pas vraiment… non, hésite Justin en se grattant le crâne. En réalité, ses visions ne sont pas toujours claires mais présagent des événements marquants.

- Comme quoi ? j’insiste en le regardant dans les yeux.

Les habitants du Foyer sont ma nouvelle famille mais je sens qu’ils cachent de lourds secrets.

- Elle a vu l’attentat qui a eu lieu au Bataclan et aussi celui de Charlie Hebdo, dit-il enfin. Mais ce n’est pas à moi de t’en parler.

Il a raison, si je veux avoir des réponses je dois demander à Leslie.

Nathalie et Jonas entrent tous les deux dans la salle à manger, je me précipite vers eux.

- Elle va bien, tu peux monter la voir, déclare la directrice sans me laisser le temps de parler.

Je hoche la tête et me précipite à l’étage. Je toque légèrement à la porte et entre sans attendre une réponse.

Leslie est allongée dans son lit en chemise de nuit. Elle a l’air fatiguée mais elle me fait signe d’approcher.

- Comment ça va ?

- Je suis un peu fatiguée mais grâce à Nathalie ça va mieux, répond-elle d’une voix traînante.

- Tu m’as fait super peur Leslie. Ta vision devait être flippante pour que tu réagisses comme ça.

- Tu es encore nouvelle ici et c’est pour ça qu’il faut que tu saches que la plupart des pensionnaires peuvent être sujets à des crises, je ne suis pas la seule.

Elle marque une pause sans doute pour organiser ses pensées.

- Ne te fie pas aux apparences, le bonheur de nous tous ne durera pas bien longtemps, continue-t-elle d’une voix faible.

Son regard est éteint et erre sur les murs de la chambre. Je lui prends la main pour l’encourager.

- Qu’est-ce que tu as vu Leslie ? je demande d’un ton grave.

Elle tourne lentement son regard vide vers moi.

- Toi

- Moi ?

- Tu étais pleine de sang, tu secouais Nathalie qui était inconsciente. Il y avait d’autres personnes autour mais je ne les ai pas identifiées. J’étais concentrée sur toi. Quelque chose se prépare Emmy…

Il y a quelques jours j’aurais été bouche bée, mais j’ai appris à ne plus être surprise par les révélations quotidiennes de mes compagnons.

- Tu en as parlé à Jonas et à Nathalie ? je demande calmement.

- Oui… ils n’ont pas laissé paraître leur inquiétude.

Mon amie semble épuisée tout d’un coup. Je lui fais un bisou sur la main et quitte la chambre.

Je retourne dans mon antre et m’allonge sur le lit. Je commence à prendre conscience que la mort plane au-dessus de notre tête, que nous sommes traqués et c’est pour cela que le tir et les sports de combat sont indispensables.

Je repense à mon père. J’étais tellement concentrée sur ma nouvelle vie bien remplie que je n’ai pas pensé à lui ni à Kenza ni à Jérémy. J’ai l’impression que ce qui s’est passé dans mon appartement est très loin et que je connais tous les gens du Foyer depuis longtemps. La réalité est que tout remonte à deux jours et que les pensionnaires que je croise me sourient comme si tout était normal mais je ne sais rien de leur vie. Je vois dans les fenêtres de leur âme une douleur bien enfouie. Sauf chez Cam qui dégage chez moi une envie de le fuir. Il est si énigmatique et je suis si curieuse. J’ai tellement envie de savoir ce qu’il cache mais d’après ce que j’ai pu voir, les habitants ne s’approchent pas trop de lui.

- Faut que j’arrête de me torturer l’esprit comme ça sinon je vais me mettre à pleurer, dis-je tout haut pour me rassurer.

Je me lève et fouille dans mon armoire. Je tombe sur un maillot de bain une pièce, rouge comme les fraises. Leslie a dû me le déposer avec le reste des affaires de rechange.

Je viens de me souvenir qu’il y a une piscine et cela fait tellement longtemps que je ne me suis pas baignée. Cela va me détendre, je ferais mieux d’en profiter.

J’enfile le maillot pour voir s’il me va. C’est comme s’il avait été confectionné pour moi ! La couleur me va super bien et il découvre mon dos. C’est plutôt un maillot de plage mais il soutient bien ma poitrine donc je ne suis pas gênée de le porter.

J’enfile mes vêtements par-dessus et me précipite au sous-sol une serviette sous le bras. Je ne suis pas la seule à avoir cette idée car un homme est en train de nager dans la piscine. Je l’observe en silence pour voir de qui il s’agit. Il s’arrête au bord et lève la tête vers moi.

Bien sûr, j’aurais dû me douter que c’était Justin. Je romps le silence la première.

- Tu lis dans mes pensées et tu fais en sorte que toutes nos rencontres soient dues au hasard, c’est ça ? je raille un sourire ironique sur les lèvres.

- Pourquoi, tu aimerais ? lance-t-il de sa voix de séducteur.

Je détourne le regard en rougissant. Il est vraiment canon et ça me déstabilise parfois car je ne suis pas habituée à parler à ce genre d’énergumène. Non, c’est plutôt dans les habitudes de Mélanie. Mélanie ? Pourquoi je pense à cette garce ?

- Il me semble que tu es venue pour te baigner, réplique Justin pour me sortir de mes pensées. Tu viens ou pas ?

Il s’assoit sur le bord de la piscine et passe la main dans ses cheveux mouillés. Je commence à enlever mon pantalon puis mon t-shirt avec lenteur. C’est très gênant, on se croirait dans une scène de Twilight Love. Justin me contemple pendant tout ce temps avec des yeux admiratifs mais je pense qu’il ne s’en rend pas compte. Aucun garçon ne m’a jamais regardé ainsi, en général ils m’ignorent tous.

Je me couvre le corps avec les bras et descend rapidement l’échelle sauf que je n’ai pas pied et je bois la tasse. Je me débats sous l’eau et Justin m’attrape par la taille puis j’attrape le bord.

- Tu es sûre de savoir nager ? se moque-t-il gentiment une fois ma tête hors de l’eau.

- Oui très bien même ! je m’écrie aussitôt pour cacher la gêne que son contact m’a procurée.

J’essaye de nager mais j’ai l’impression de me noyer. Justin lâche un rire moqueur et s’avance vers moi. Lui au moins a pied et ne fait pas un mètre soixante comme moi. Il m’attrape par la taille pour me stabiliser et je pose mes mains sur ses larges épaules musclées.

- Il y a longtemps que je n’ai pas nagé, j’avoue sans le regarder dans les yeux.

- Ce n’est pas grave, je suis venu te sauver…

Je rougis à nouveau et change de sujet.

- Parle-moi de toi Justin.

Il sourit et colle sa bouche contre mon oreille.

- Seulement si tu me parles de toi princesse.

Cette fois je ne m’énerve pas à l’écoute de ce surnom, j’adore sa manière de prononcer ce mot. Je suis tendue comme un arc mais cette situation ne semble pas le gêner.

Nous nous approchons du bord et il me lâche.

- Je suis issu d’une famille fortunée, commence-t-il en me regardant dans les yeux. Mon père a créé sa propre entreprise sur laquelle s’est montée toute sa fortune. J’avais une vie très agréable entre les rallyes et mes études à la Sorbonne. Je savais que j’étais télépathe.

Il fait une pause avant de reprendre.

- Un jour je suis rentré chez mes parents à Cannes pour les vacances. Je l’ai ai trouvés égorgés baignant dans leur sang. Des hommes m’ont embarqué dans leur camionnette après m’avoir assommé. J’ai passé plusieurs jours dans leur labo avant de réussir à m’échapper. Ils ont su que j’étais un EDU à cause de crises et de mon séjour à l’hôpital où j’ai passé des scanners. Après ma fuite, j’ai passé un an à vagabonder de ville en ville avant que John me contacte. Et je suis arrivé ici !

- Tu es en train de me dire que tu es le seul à être revenu du labo ? Ils trafiquent quoi derrière leurs écrans ? je demande toute excitée.

- Je ne sais pas, avoue Justin. Le peu de temps que j’ai passé là-bas, j’étais enfermé comme un animal sans jamais voir ce qu’il se passait à l’extérieur.

- Comment tu as fait pour t’échapper ?

- Un gardien est venu me glisser mon repas à travers la porte, je l’ai attrapé et assommé. J’ai ensuite pris la clé sur sa ceinture et je suis sorti. Je n’avais pas le temps de sauver les autres, je me suis glissé dans les couloirs pour chercher une sortie. C’était le soir, il n’y avait pas grand monde et j’ai pu m’échapper par la sortie de secours. Lorsque la forteresse s’est ouverte je me suis précipité dans les bois, les gardiens m’ont vu grâce aux caméras mais n’ont pas réussi à me rattraper.

Je sens qu’il y a quelque chose de plus douloureux au fond de lui mais je n’ose pas lui demander. Justin relève la tête vers moi.

- Et toi, quelle est ton histoire ? demande-t-il curieux.

Ma vie est beaucoup moins intéressante que la sienne mais je la lui raconte quand même. Il m’écoute attentivement pendant que je me confie à lui. Je lui dis à quel point mon père et mes amis de Perpignan me manquent.

- Jérémy est ton petit ami ? s’enquit-il en plissant les yeux.

- On s’est juste embrassés une fois mais non, nous ne sortons pas ensemble, je lâche en détournant les yeux.

Je sens son regard de braise sur moi et je rougis, assaillie par la gêne. Ma peau pique et mes bras se détendent. Justin me rattrape juste avant que je ne glisse dans l’eau. Il approche sa tête de moi.

- Je ne sais pas pourquoi tu me fais cet effet Emmy, mais ça me plait, murmure-t-il d’une voix sensuelle.

Je suis figée sur place, je ne sais pas quoi répondre et comment interpréter ses paroles. Je me tiens au bord puis Justin sort de la piscine à la vitesse de l’éclair et s’évapore dans les vestiaires.

Il me faut quelques minutes pour reprendre mes esprits et m’extirper du bassin. Je me sèche dans les vestiaires vides puis retourne à ma chambre. Je ne peux m’empêcher de retourner ses paroles dans ma tête.

En ce moment je réfléchis beaucoup, plus que d’habitude. Je dors mal la nuit et je n’ai pas fait un seul rêve depuis cette fameuse soirée. Je me rends compte que je ne suis pas la seule personne endeuillée. Justin a perdu ses parents de la même façon que j’ai perdu mon père. Ces mercenaires assassinent nos parents et la police ne fait rien. La disparition de mon père n’a pas paru dans les journaux, celui qui dirige le labo doit être puissant, sûrement quelqu’un connu de tous.