Ne plus être seule
Cela fait deux semaines que ces hommes m’ont extirpée de ma cachette. Chaque jour m'empli d'angoisse. Je suis enfermée dans une cage avec deux fillettes à peine entrées dans la préadolescence et un garçon dont les traits sont plus beaux que ceux de certaines jeunes femmes. Des centaines de cages sont entassées, avec des enfants plus jeunes les uns que les autres. Les cris et les pleurs tourmentent mes jours et mes nuits. Je suis la plus âgée et pourtant je n’ai que quinze ans. Personne ne sait pourquoi nous sommes là. Tous sont terrifiés de ce qui nous attend. La seule chose que je sais, c’est que Maman préférait que je meure plutôt que de me retrouver dans cet endroit. Maman me manque. Je vois, dans les yeux des autres, le souvenir de leur famille disparue. Des hommes d’un certain âge s’occupent de nous. Leurs matraques soniques mettent en résonance nos cages dès qu'ils les touchent pour faire taire les pleurs et les cris des enfants apeurés. Ils nous effraient pour nous tenir en laisse, pour être sûr qu'aucun enfant ne se rebelle. Ils aiment contempler nos regards terrorisés et laisser leurs doigts immondes glisser sur nos peaux.
Chaque jour, les hommes passent leurs temps à prendre soin de mon corps et surtout à enlever les impuretés de ma peau. Ces moments sont particulièrement désagréables. Ils brossent à m’en faire rougir l'épiderme sur certaines parties sensibles et m'arrachent quelques larmes. Puis, ils appliquent une huile sur ma peau irritée. La douleur est horrible. Ils utilisent toutes sortes de produits pour adoucir, repulper, nettoyer en profondeur, protéger, bronzer, tailler les sourcils, arracher les poils disgracieux, tout ce qu’il faut pour être attirante. Quand leur chef n’est pas là, ils s’amusent à jouer avec mes seins nus pour exciter leus envies sauvages. Leurs désirs se limitent à la palpation de mon corps de femme à peine formé. Jamais personne, même moi, ne m’a touchée comme ça. Je me sens salie. J'appréhende tous les jours ce moment. Le reste de la journée, ils nous laissent enfermés dans nos prisons où de nouvelles cages et de nouveaux enfants s’amoncelaient.
L'unique chose qui m'apporte un peu de joie, c'est mes nouveaux amis. J'ai toujours été seule : un peu de camaraderie me permet de ne pas me laisser abattre par ma peur. La plus jeune des filles avec moi n’a que six ans. Elle s’appelle Alicia : brune, les joues encore bien potelées, ses yeux perçants et noirs comme le jais scrutent avec frayeur les hommes passant près de nous. Sa voix douce presque angélique apporte un peu de lumière parmi nous. Ses chants d’enfant apaisent nos peurs et nous enveloppent comme les bras de nos mères perdues. Son sourire ensoleille nos ternes journées. Sa jeunesse étincelante et joviale me donne une envie irrépressible de la protéger des immondes prédateur, qui nous retiennent en captivité. Très vite, elle se confie à nous. Elle nous explique comment ces hommes l’ont arrachée à sa mère en pleurs. Elle nous raconte que sa mère n’arrêtait pas de crier qu’elle était beaucoup trop jeune pour être vendue. Cette information me surprend. Tous les enfants réunis ici devront être vendus, mais à qui et pourquoi ? Cela me donne un sentiment d’attachement encore plus fort pour Alicia. Pourquoi vouloir vendre une fillette de six ans ? Les pires idées traversent mon esprit, mais j'essaie de les faire disparaître pour diminuer mon angoisse.
Le seul garçon, de dix ans, s’appelle Tymothée. Sa peau caramel et ses yeux céruléens donnent à sa beauté un air divin. Pour son âge, ses muscles sont bien développés et laissent à penser qu’il deviendra un homme très désirable lorsqu’il sera plus vieux. Ses cheveux ont de faibles reflets rouille qui s’accordent avec la chaude couleur de sa peau. Sa voix encore enfantine laisse parfois échapper les sons rauques d’un d’adulte. Il passe la majorité de sa journée à se muscler, laissant une odeur de sueur parfois désagréable. Il nous a raconté que des hommes l’avaient capturé à la vue de tous sans que ses parents soient là pour le protéger. Il a essayé de se débattre quelques temps mais, comme moi, un homme a placé un inhibiteur à l’arrière de son crâne pour l’immobiliser. Tymothee essaie d’impressionner les monstres qui nous retiennent mais très vite la terreur le tiraille et il retourne docilement s’asseoir au fond de la cage.
L’autre fille, Maya, a onze ans. Sa peau ébène nuance avec ses yeux argentés. Même dans le noir ses yeux brillent. Timide les premiers jours, elle n’osait pas nous dévoiler qu’elle souffrait d’une de ses chevilles. Je l’ai aidée à confectionner une attelle pour remettre son pied dans l’axe. Nos bourreaux ont alors remarqué le bandage de fortune et l’ont soigné. Enfin, elle se confie et nous raconte que ses parents et elle voyageaient beaucoup. Le jour de son enlèvement, ses parents se sont battus pour la garder et elle les a vus se faire égorger. C’est en voulant les secourir qu’elle s’est tordue la cheville. Son père était sourd. Le dernier signe qu'il lui a fait, avant de se faire égorger, est "fuis". Elle nous appris à signer. J'adore observer la fluidité de ses gestes lorsqu'elle signe. Elle devait être de nature calme et enjouée mais, depuis son enlèvement, une profonde colère allume son regard.
Étant la plus âgée, Alicia, Tymothée et Maya se blottissaient chaque soir autour de moi et je leur racontais des histoires sur cette planète que l’on nommait Terre.
D’après des livres lus pendant mes longues années de solitude, la Terre est la planète où notre espèce est née. Nous nous nourrissions de légumes venant du sol et de fruits poussant sur les arbres. Nous mangions aussi des animaux. D’après mes lectures, l’humanité a puisé trop loin dans les profondeurs du sol et de l’océan, pour chercher des minéraux rares. Les sols, l’air et l’eau ont alors été pollués, afin de subvenir à une population grandissante et exigeante. Des déchets dangereux ont été enterrés pour des milliards d’années. L’humanité voulait contrôler les éléments pour qu’ils lui soient favorables. Cependant, cela provoqua des dérèglements climatiques et augmenta la montée des eaux, diminuant ainsi les zones de vie pour notre espèce. Il fallait trouver d’autres planètes où vivre mais une partie de la population ne pouvait être du voyage. Les plus riches, les plus intelligents et les plus puissants sont partis dans de grands vaisseaux à la recherche de nouvelles terres à conquérir. Je n’en savais pas plus de la conquête spatiale, mais je savais que la Terre n’était plus. J’essayais aussi de leur apprendre des rudiments en médecine, physique, mathématiques et autres sciences. Je voyais dans leur manière de parler et leur regard que personne ne leur avait appris quoi que ce soit. Cela me permettait aussi de travailler ma mémoire. Mes parents me disaient souvent que le plus important dans ce monde était la connaissance. Une arme plus affutée que n’importe quelle lame. Dès que j’avais fini un livre, ils m’en apportaient un autre. Les sujets n’étaient jamais les mêmes mais, ce que je préférais, étaient ceux décrivant les technologies et la physique. D’ailleurs, Alicia, Maya et Tymothee aimaient beaucoup l’histoire de la pomme de Newton. Cela les faisait beaucoup rire. Leurs éclats de joie résonnaient comme une douce mélodie à mes oreilles. Ils trouvaient drôle qu’un homme puisse comprendre un des premiers principes de physique en se prenant une pomme sur la tête. Maya adorait la médecine. Elle aimait connaitre tous les organes et les muscles de son corps. Alicia adorait les mathématiques. Elle passait son temps à compter le nombre de nos orteils et de nos doigts pour être sûre qu’un nouveau n’avait pas poussé dans la nuit. Tymothee m’écoutait raconter la vie quotidienne des humains sur Terre. Il veoulait aller dans les lieux appelés cinémas où des histoires d’amour et de mystère étaient projetées sur des écrans. Cela lui rappellait les nouvelles qui étaient en holodiffusion près de chez lui. J’ai déjà lu dans les livres, le terme d’holodiffusion, mais je ne sais pas exactement ce que c’est.
J’ai peu de souvenirs avant ces huit ans d’isolement. J’ai l’impression d’avoir toujours vécu à l’écart de ce monde. Je ne connais rien de notre société actuelle. Qui dirige ? Sûrement les plus riches ou les plus influents. Est-ce une dictature, une démocratie ou peut-être une monarchie ? Il y a toujours des laissés pour compte, des esclaves. Il n’y a aucune équité. Le fait que des enfants soient enfermés dans des cages comme des animaux en est la preuve.
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