Le marché aux fleurs
Au bout de plusieurs mois, un homme très opulent et chauve nous informe.
Bienvenue au marché des fleurs, mes chers bourgeons. Bientôt, vous retrouverez une famille.
Plusieurs enfants crient de joie après ses viles paroles, pleines de faux espoirs. Lorsque cet homme marche autour de nous des dizaines de cliquetis métalliques et froids se font entendre. Il a l’air sournois sous son large sourire qui montre des dents bien rangées et légèrement noires. Il arrive jusqu’à nous et me désigne.
- Toi tu n’es plus un bourgeon. Non, non. Toi tu es une fleur sur le bord de l’éclosion où tes magnifiques pétales apportent leurs odeurs sucrées. Tu seras ma plus belle vente, j’en suis sûr.
Son haleine proche de mon visage rejette une puanteur de chair en décomposition. Ses yeux verts sont perfides et pétillants de l’acquisition d’une prochaine fortune. Mon corps est glacé. Je suis en apnée. J’ai peur qu’il me touche avec ses mains grasses et souille ma peau de sa sueur dégoulinante. Il m’inspecte encore un long moment avant de repartir. Je respire enfin. Maya et Alicia sont terrifiées. Il n’y a que Tymothee qui reste courageux à le défier du regard. Au bout de quelques heures, notre cage est enfin transportée vers le marché. Il y a un air de fête, un air de Folia au violon enveloppe différents danseurs, des odeurs de nourriture s’échappent de différents stands. Les acheteurs sont principalement des hommes, mais quelques femmes déambulent entre les étals. Tous et toutes ont plus de 30 ans. Je ne comprends toujours pas pourquoi nous sommes vendus à ces personnes, ou je ne veux tout simplement pas savoir. J’ai trop peur d’accepter le sort que subiront mes amis. Je regarde Maya, Alicia et Tymothee, en songeant que c’est sûrement les derniers moments que je passe à leurs côtés. Je ne pourrai pas les protéger là où ils vont. J’observe les passants. Je regarde leurs coupes colorées, leurs yeux polychromes et leurs tenues sophistiquées. Des enfants, sûrement des esclaves, suivent leurs maitres à travers les boutiques. L’expression sur leurs visages est la même, ils sont tous terrorisés. Leurs yeux sont dénués de conscience, ce sont des coquilles vides. Que vont-ils nous faire ? Je ne sais pas ce qui m’attend lorsque je serai vendue, mais c’est au-delà de ce que je pourrais éprouver. J’ai tellement peur pour nous tous. Alicia n’a que 6 ans. Mes amis sont trop jeunes pour souffrir ainsi. Dans la foule qui nous examine, j’aperçois un adolescent qui à première vue est de mon âge. Il n’est pas comme les autres esclaves, il n’a pas peur. Nos regards s’interceptent. Il a l’air enjoué, bien traité, mais il cache quelque chose. Je vois un léger sourire se former sur son visage, il cherche à fuir mon regard. Pourtant, il est en position de force. Je suis comme un lapin enfermé dans une cage prêt à être dévoré par une meute de loups. Il disparait à travers la masse. Notre rançonneur réapparait devant la foule et annonce à l'assemblée.
Chers amis, aujourd’hui commence notre vente aux enchères. Comme d’habitude, nous commencerons par opposer différents lots. Les lots les moins bons seront vendus à faible prix. C’est pour vous l’occasion messieurs de repartir avec une jolie demoiselle ou un joli damoiseau. Lorsque les meilleurs lots auront été choisis, chaque fleur sera mise aux enchères. La plus belle fleur sera vendue à la salle des ventes des roses éternelles. Messieurs et mesdames, que les enchères commencent.
Chaque lot est une cage, contenant entre 5-6 enfants. Nous sommes la cage contenant le moins d’enfants. Si seul mon âge nous permet d’aller le plus loin dans la vente, je ne suis pas sure que ce soit la meilleure chose pour nous. Nous sommes la dernière cage à être présentée aux enchères. La foule choisit notre cage plutôt que celle de 5 fillettes qui ont entre 8 et 10 ans, qui se ressemble beaucoup. Plusieurs semaines passent entre chaque vente. Bien évidemment, mon âge, mais aussi les yeux de Maya, ainsi que la beauté de Tymothee font que notre cage est choisie chaque fois. J’ai peur pour Alicia, elle est jeune et n’a pas suffisamment de charme pour aller plus loin dans la vente aux enchères. Mais je ne sais pas si c’est une meilleure chose d’être vendu plus cher. Ce n’est pas le prix qui va changer, mais la personnalité du monstre qui va l’acheter. Deux mois ont passé depuis la première vente. Aujourd’hui commencent les ventes par enfants. Je prends Alicia dans les bras, pour qu’il ne nous l’enlève pas. Je ne peux pas les laisser la prendre. J’essaie de les empêcher, mais évidemment, il utilise encore un de leurs inhibiteurs pour me restreindre. Je la vois partir, elle me sourit une dernière fois. Son merveilleux sourire d’ange, ma séraphine brune joyeuse. Une larme coule sur ma joue. Je détourne le regard pour ne pas voir quel démon achète mon Alicia. Puis c’est le tour de Tymothee, qui me prend dans ses bras et m’embrasse la joue pour me porter chance. Je souffre déjà de perdre mes amis, mais que se passera-t-il quand je me perdrai ? Maya reste longtemps avec moi. Nous restons fortes. Le jour où Maya est prise, elle me dit “merci” en langage des signes. Je m’effondre en sanglot dans ma cage seule. Je retourne à nouveau dans cette solitude qui m’a habité pendant presque 8 ans. La vente aux enchères arrive bientôt à son terme. Pour être une “rose éternelle”, nous devons être les 10 dernières à ne pas être vendues. Je n’ai pas besoin d’être jolie ou souriante. Pourtant Avarlas, mon rançonneur, passe son temps à me forcer à sourire, continuer à entretenir ma peau. Son odeur m’est de plus en plus insupportable. Chaque soir, je pleure et chaque matin je l’entends maudire que mes yeux sont rouges et gonflés. Les 10 enfants vendus aux “roses éternelles” sont choisis et j’en fais partie. Je m’attends au pire. Je sors enfin de cette cage.
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