Les roses éternelles

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Je suis enfermée dans une chambre avec une salle de bain personnelle. La vente ne commence que dans quelques jours. Si j’ai bien tenu mes comptes dans 12 jours, j’aurais 16 ans. Je pense à Maman, elle avait raison. J’aurais dû me suicider quand je le pouvais encore. Chaque jour jusqu’à la vente, c’est le même rituel. Manger, soins, choix des vêtements et du maquillage pour la vente, dormir. Je pense à la voix d’Alicia, à l’odeur de sueur de Tymothee après l’effort et de la douceur de la peau de Maya, lorsqu’elle m’apprenait le langage des signes. Les enchères commencent à nouveau. Je reste dans les deux dernières à n’être pas vendu. Avarlas vient me voir le jour de mes 16 ans.

  • Je savais que tu allais me rapporter gros, tu seras une orchidée magnifique, ma chérie.

Il me caresse le menton comme un chien. Sa main est moite. Je n’arrive pas à me défaire de cette sensation gluante sur mon visage. Toutes les tenues que j’avais pour le moment mettaient mon corps en avant sans rien divulguer, mais aujourd’hui tout mon corps est à la vue de tous. Des bas transparents dorés remontent jusqu’au-dessus de mes genoux, maintenus par un porte-jarretelle. Je ne porte pas de culotte, l’intérieur de mes cuisses est à la vue de tous. Ma poitrine est aussi nue, seuls des fils de perles dorés sont tendus en dessous de mes seins. Un collier en or avec un énorme rubis vient se coincer juste au-dessus de ma poitrine. Mes cheveux ont été bouclés et tombent sur mes épaules. Des perles dorées sont éparpillées dans ma chevelure. Des boucles d’oreilles pendantes assorties à mon collier descendent jusque sur mes épaules. Mon maquillage fait ressortir mes yeux et rend mes lèvres plus pulpeuses. Un médecin vient m’inspecter, pour valider de ma virginité. Il étudie la réaction de mon corps, en rudoyant le bout de mes seins et mon clitoris, jusqu’à ce que ma vulve soit humide. Dès qu’il est satisfait et que son inspection est terminée. Il me laisse seul humilié et sale. Est-ce que c’est ce qui se passera tous les jours jusqu’à la fin de ma vie ? Je serais violée chaque jour. Mon corps ne m’appartiendra plus. J’ai envie de pleurer et d’enlever cette crasse que ce médecin a laissée sur moi. Si j’abandonne, je leur serai alors soumise. Ils peuvent avoir mon corps, mais ils n’auront jamais mon âme. Je me calme, vide ma tête et évite partout les moyens de sentir les signaux contradictoires de mon corps.

Je rentre pour la dernière fois dans la salle des ventes. C’est un amphithéâtre avec un plateau tournant pour reluquer sous toutes les coutures les formes de mon corps. Je regarde pour la première fois les différents acheteurs, l’un d’eux me violera jusqu’à ce que je m’ôte la vie. Je vois leurs sourires carnassiers et leurs mains près à venir salir la moindre parcelle de ma peau. Je les dévisage un à un, pendant que les enchères commencent. Mon regard s’arrête sur un des esclaves, je l’ai déjà vu quelque part. Son air jovial, c’est l’esclave du marché. La manière dont il parle avec son maitre, cela me donne l’impression que ce n’est pas un esclave. C’est lui le maitre, voilà pourquoi il est si heureux, il n’a jamais vécu d’attouchements. Je continue à dévisager les autres pédophilies, alors qu’il ne reste que deux acheteurs. Un des derniers est cet homme dont je n’oublierais jamais le visage. C’est à cause de la terreur qu’il a provoquée à ma mère que je me suis cachée, pendant plusieurs années.

C’était après avoir mangé le midi, Maman et moi étions partis nous promener. Nous allions voir les nouveaux arbres plantés dans l’arborétum. Sur le chemin Maman est allée chercher quelque chose au marché et elle m’a laissée seule à travers les étals. C’est là que cet homme est arrivé. Quand je l’ai vu pour la première fois, je l’ai trouvé magnifique. Son corps bien sculpté et fin le rendait fort. Son visage doux et souriant lui donnait un air sympathique. Ses cheveux dorés brillaient à la lueur des ampoules. Je me souviens mettre perdu dans ses yeux d’un bleu profond. Il s’est accroupi et m’a demandé si j’étais toute seule. C’est alors que je me suis retournée pour montrer ma Maman, qui s’est interposée entre nous. L’homme s’est relevé et lui a offert son plus beau sourire. Je n’ai jamais vu cette expression sur le visage de Maman. Elle est terrifiée de cet homme magnifique.

  • Ne vous approcher pas de ma fille, elle n’a pas encore l’âge et vous le savez.
  • Je sais que ta douce enfant n’est pas encore mure, mais on voit déjà qu’elle a tes magnifiques traits.
  • Je ne te laisserais pas la toucher, elle ne sera jamais à toi. Tu es le pire de tous. Tu n’es qu’un monstre.
  • Tu n’es pas obligé de t’énerver de toute façon tu ne pourras rien n’y faire. Je suis heureux que tu prennes soin, avant que je puisse reprendre ta suite et la rendre aussi belle que toi.

Cet homme sourit à Maman et lui caresse délicatement la joue. Je sens les mains de Maman se resserrer contre mes bras. Elle me fait mal, mais je ne dis rien. Je ne comprenais pas à l’époque pourquoi maman avait peur de lui. Maintenant, je vois au-delà de cette façade d’Appolon. Je vois dans ses yeux toutes ces femmes qu’il a brutalisées, mutilées, violées, brisées et qui se sont finalement suicidées, car il les avait délaissées. Est-ce que Maman était une de ces femmes ? J’aimerais qu’elle soit là et qu’elle me sauve. J’ai si peur que tout mon corps frissonne. Je reviens à l’instant présent et je le regarde à nouveau. Son visage est empli d’une colère déchainée. Je me rends compte qu’il est en train de perdre la vente. C’est l’adolescent qui mène la danse. Cela me donne un peu de baume au cœur. Je ne sais pas si je devrais être réjouie qu’un autre me détruise à petit feu. L’homme commence à perdre pied, il n’arrive pas à conclure la vente. Sa colère déforme son beau visage et révèle son vrai caractère. Cela se voit dans son comportement qu’il n’a jamais rien perdu. J’entends derrière moi Avarlas qui se frotte les mains en pensant au pactole qu’il va empocher. Il glousse idiotement. Plusieurs minutes passent avant que l’homme ne cède face à l’adolescent. Il se lève en fureur en jetant son fauteuil derrière lui. La vente est officiellement terminée et je suis devenue une esclave. Des hommes me ramènent dans ma chambre. J’attends nue dans cette pièce froide que cet adolescent vienne récupérer son acquisition. Je n’ai rien à me mettre sur le dos. Je n’arrive pas à me réchauffer. Mes dents claquent. Je n’arrive pas à savoir si c’est le froid ou l’angoisse qui me tétanisent. J’entends des bruits à l’extérieur. Je dois rester forte, mais je suis terrorisée. J’ai peur de me perdre, de ne plus me reconnaitre. J’ai envie de pleurer, mais si je cède est-ce que je pourrais survivre à ce qu’il va arriver ? La porte s’ouvre. Mes yeux sont rivés vers le sol. Je vais souffrir. Je vais être souillé. Si je résiste, il me battra. Dois-je lutter et être mutilée ou simplement faire preuve de mutisme ? Je ne dois pas penser ni sentir ce qui se passe. Je dois extirper mon âme de mon corps le temps que ça passe. Il est dans la pièce, mais j’ai peur de lever les yeux vers lui. Il s’agenouille devant moi pour capter mon regard. Ce n’est pas l’adolescent, c’est cet homme. Mon souffle se coupe et une larme ruissèle sur ma joue. Il approche sa main et récupère du bout de ses doigts ma larme. Puis, il la pose sur ses lèvres en fermant les yeux.

  • Non, non, non, ne pleure pas ma douce. Tu te souviens de moi. J’aurais tellement voulu m’occuper de toi. Ta mère ne voulait pas te donner à moi. Votre mère, elle était si belle et je n’avais pas pu l’avoir, mais toi... J’espérais vraiment prendre soin de toi, ma douce. Tu es un diamant brut que je suis venu, tel un mineur récolter au fond de cette grotte. Je t’ai fait briller pour t’exposer aux yeux de tous à la lumière du soleil. Tu es devenue un diamant rare. Tu seras à moi et à personne d’autre.

Son sourire sublime ne permet pas de cacher la noirceur de ses intentions. Il rapproche sa main à nouveau de mon visage et repositionne une mèche de mes cheveux derrière mon oreille. Si je bouge, je suis perdue. Je suis piégée dans cette chambre. Je n’ai aucune issue.

  • Tu es si douce, si belle et silencieuse. J’aimerais juste une fois entendre à nouveau ta délicate voix.

Je ne dis rien. Sa main commence à caresser mon bras, mon corps en frissonne. Je suis terrorisée. Cette peur, c’est ce qu’il veut, c’est ce qui le fait bander. Je le vois dans son regard. Un bruit à l’extérieur me rappelle que ce n’est pas lui, qui m’a acheté, mais un autre. L’adolescent et son “maitre” font interruption dans la pièce. Je vois l’adolescent serrer les poings et contenir sa colère. C’est son “maitre” qui prend les devants.

  • C’est mon prix, pas le tien Léandre. Tu n’as aucun droit de la toucher. Tu me dois même de l’argent pour l’avoir salie.
  • Mon cher Octave ne soit pas comme ça. Je connaissais sa mère, je suis juste venu lui dire bonjour. Je te la laisse. Elle est toute à toi.

Léandre s’en va et me lance un sourire. Dès qu’il passe le bas de la porte, je lâche un énorme soupir. Octave et l’adolescent me regardent. L’adolescent a particulièrement l’air énervé. Octave me tend une couverture.

  • Couvrez-vous mademoiselle, vous avez l’air d’avoir froid.

Je prends la couverture avec les deux mains et m’entoure avec. Je cache mes seins et mon intimité. Je me sens mieux.

  • Comment vous appelez-vous ?

Je ne réponds pas. Je reste dans mon mutisme. L’adolescent desserre lentement ses poings et me regarde tristement. Maintenant, que je peux le voir de plus près. Son charme m’enveloppe tel un cocon. Je n’ai pas l’impression qu’il me veut du mal. Il est beau et simple. Ses yeux brillent d'une incroyable intelligence. Octave regarde l’adolescent en attendant une confirmation. L’adolescent hoche la tête.

  • Il va falloir nous suivre, mademoiselle. Rien ne vous arrivera si vous venez avec nous.

Il a l’air sincère. Mais ce n’est surement qu’un masque pour plus facilement me détruire par la suite. Je ne peux de toute façon pas rester ici. Je dois les suivre. Je me lève et me tourne pour essayer de recouvrir au maximum ma peau de la couverture. Maintenant, j’ai les épaules au chaud sous la couverture. Je me dirige vers la porte en attendant qu’ils passent devant. Le jeune homme essaie de me dire quelque chose, mais il se retient. Il ne veut surement pas se faire démasquer. Octave passe devant, puis l’adolescent, et enfin moi. Je les suis, jusqu’à atteindre une plateforme où un vaisseau énorme est affrété. Je vois d'autres enfants, mais ils me gardent près d’eux. Je m’assois et me prépare au décollage. Je n’ai jamais pris ce genre de véhicule. Je n’ai jamais quitté cet endroit. Je ne sais même pas ce que c’est. J’essaie de resserrer la couverture autour de moi et de m’assoir dans mon siège le plus confortablement. L’adolescent se place devant moi et me dit d’attacher ma ceinture. Je cherche une sangle, mais je ne trouve rien. Il se penche vers moi et j’ai un mouvement de recul. Il appuie sur un bouton et des sangles viennent se harnacher autour de moi. L’air triste, il repart à son siège. Je sens les turbulences de l’engin et nous nous élevons.

Je ne sais pas ce qu’il m’attend par la suite, mais j’ai peur. J’ai peur, parce que je ne sais pas quand ils vont me faire du mal. C’est l’attente qui m’angoisse. J’ai peur que si je relâche ma vigilance, ils s’en profitent. Je suis exténuée. Il y a une seule chose qui me soulage. C’est que j’ai quitté cette cage. Je pense à mes amis Alicia, Tymothee et Maya, que sont-ils devenus?

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