Comment lui dire ?
Je sais qu’il ne voudra s’en doute plus me voir, mais je ne veux pas qu’il souffre par ma faute. Je lui envoie un message via mon holomontre et lui donne rendez-vous près de la mare aux sangsues. C’est un joli endroit pour observer les poissons et les canards qui se chamaillent. Certains poissons ont des écailles colorées de violet ou vert. D’après ce que j’ai pu lire, c’est lié à la forte concentration de certains minéraux dans l’eau, qui donne à leurs écailles une teinte très féérique. Je m’assois autour de la mare en attendant Paul. J’observe un petit chat caché dans les hautes herbes qui se jettent dans la mare avant de plonger. Une petite peau est présente entre les doigts du chat. Il nage s’en gêne avec les poissons. Paul me surprend dans ma réflexion.
- C’est un aquattus, ils ont été trouvés sur cette planète. Ils sont fascinants, mais ce sont de vrais diablotins. Ils prennent toute la nourriture, qu’il trouve.
- Je les trouve très mignons.
Paul vient s’asseoir avec moi.
- Tu as pu te reposer un peu ?
- Oui, bien dormi. Tout s’est bien passé pour toi ici ?
- Oui, il y a eu beaucoup de travail pour accueillir les nouveaux arrivants, mais j’ai appris que tu avais réussi à tous les charmer.
- Je ne sais pas ce que l’on t’a raconté, j’ai seulement aidé Octave et M. Leconoistre à sauver ces enfants. Je n’ai rien fait d’exceptionnel.
- C’est la première année où M. Leconoistre a pu récupérer tous les enfants dont les parents avaient demandé de l’aide. Il a même pu acheter des vêtements et de la nourriture en plus.
- C’est une bonne chose si cela put aider le plus grand nombre.
Je reste pensive à regarder le chat joué avec les poissons.
- Tu n’as pas l’air contente.
- Depuis combien d’années, toute cette folie dure ? Je suis obligée d’exposer mon corps pour que M. Leconoistre puisse acheter des enfants à bas coût. Et chaque année cette même horreur se répète. Chaque année des enfants sont vendus pour être mutilés, violés et réduits à un simple outil sans âme. Chaque année l’humanité sombre dans la démence. Quel est l’objectif ? Montre la faiblesse de l’humanité, pour qu’une minorité d’élite puisse survivre et prouver à tous qu’il le mérite davantage que ces pauvres enfants morts de peur. Je sais que je ne suis pas la première à avoir ce discours, mais ces années éloignées de cette réalité ont voilé ma vision du monde dans lequel je vivais. Je ne veux pas être arrachée aux personnes qui me sont chères.
Paul me regarde peiner et me tient la main. Je pose mon autre main et prends une grande inspiration. Je repense aux mots qu’il m’a dits avant mon départ. Ces mots qui ont fait battre mon cœur. Ces mots que je ne pourrais jamais lui dire. Ces mots qu’il regrettera m’avoir dit.
- Paul, tu as toujours été là pour moi. Tu m’as offert de merveilleux souvenirs. Tu m’as fait don d’un avenir que je pensais impossible. Je…
Ma voix se bloque. Les mots ne veulent pas sortir.
- Elena, tout ce que je t’ai dit sur le quai était sincère. Je t’aime et je t’aimerais, jusqu’à ce que tu puisses vivre la vie que tu mérites. Je ne dis pas que je peux comprendre ou ressentir ce que tu as vécu jusqu’ici, mais je sais que ton chemin à parcourir jusqu’à moi est encore long et tortueux. J’attendrais le temps qu’il faudra. J’attendrais que tu sois prête.
- Paul, arrête s’il te plaît ! JE NE VEUX PAS !
J’ai hurlé sur lui. Il m’enlace de ses bras, mais je l’éloigne de moi.
- ARRÊTE ! Je ne veux pas te faire du mal ! Je ne veux pas perdre mon seul ami. Tu es quelqu’un de merveilleux, mais je ne pourrais jamais t’offrir ce que tu veux.
Je respire un long moment.
- J’ai revu ma mère que je pensais morte. Elle est maintenant mariée au pire montre. Je sais qu’il m’a utilisé pour la piéger. C’est pour cela que je dois la sauver. Je ne veux pas que tu sois impactée par mon choix et je ne veux surtout pas que tu deviennes une de mes faiblesses. Je dois être forte, mon plan doit être sans faille. Je ne veux pas voir une autre personne souffrir à cause de moi. Tu comprends ?
Il s’écarte et tourne son regard à l’opposé de moi.
- Tu es en train de me rejeter en pensant que je ne peux pas t’aider, te soutenir pour atteindre ton but. Tu désirais ne plus être seule, mais tu construis un mur tellement haut et résistant entre les autres et toi, qu’il est impossible de le franchir. Tu ne me penses pas assez fort pour être à tes côtés. Je dois… Je dois partir, mais cela ne change rien à ce que je t’ai dit. Je n’abandonnerais pas aussi facilement. Je ne te laisserais pas te perdre.
Il se lève et s’en va. Pourquoi continuer à m’aimer si ce n’est pas possible ? Pourquoi souffrir autant pour moi ? Nous nous connaissons à peine. Nous ne savons rien l’un de l’autre. C’est inutile de se battre pour cela. Je ne voulais pas qu’il parte, ce n’est que l’histoire qui se répète à nouveau. Je reste à observer le petit chat. La nuit est tombée, lorsqu’il sort de la mare. L’air frais me fait frissonner et je pense à ce lendemain que je veux éviter. À partir de demain, ça sera un nouveau départ, une nouvelle Elena. La petite fille apeurée laissera place à la femme forte, sans faiblesses. Une dernière fois, j’ai envie de pouvoir regarder les étoiles. Octave arrive peu de temps après avec une couverture et un oreiller.
- C’est Paul qui vous a prévenu ?
- Non, M. Leconoistre m’envoie. Il voulait venir, mais suite à votre échange il a préféré que je m’en charge.
- Vous le connaissez bien ?
- M. Leconoistre ?
J’acquiesce d’un signe de tête.
- J’ai connu ses parents, avant lui. Il essaye de faire de son mieux, comme tout le monde. Je lui fais confiance.
- Ce n’est qu’un enfant et pourtant vous l’écoutez au doigt et à l’œil et vous l’appelez Monsieur.
- Cela peut paraître absurde, mais c’est pour protéger l’image de M. Leconoistre en dehors de ce lieu. Les gens d’ici savent qu’il est, mais à l’extérieur je suis sa façade.
- … ou sa marionnette.
- Je ne sais pas pourquoi l’opinion que vous avez de lui et si mauvaise, mais il est plus juste que vous ne le pensez. C’est moi qui ai choisi de jouer ce rôle. Il m’offert la possibilité d’être son bras droit. Il sait reconnaître la valeur de chacun. Je vous laisse ça ici.
Il pose les affaires à côté de moi.
- Rien ne l’empêchait de venir ici. S’il souhaitait, je ne pouvais pas l’empêcher. Rien ne m’appartient, je n’ai aucun droit sur le sol sous mes pieds. Tout lui appartient.
- C’est là que vous faites erreur. Tous ces lieux n’appartiennent à personne, ce sont des terres libres, à disposition de tous et qui ne peuvent être vendues.
- Alors que dirige-t-il ?
- Les gens ont voté pour lui. Il est comme un président avec un conseil qui valide ses décisions. C’est la communauté qui dirige, il n’est qu’un représentant.
- Je ne comprends pas.
- Vous trouvez toutes les informations que vous cherchez dans la bibliothèque. Reposez-vous pour le moment.
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