Faites que je ne me réveille pas

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Je suis encore sur cette plage. J’ai froid. Le vent glacial s’infiltre jusqu’à mes os. La mer est déchaînée. Il n’est pas là, encore une fois je suis seule. J’ai peur, j’ai mal. Est-ce que cet endroit sera mon dernier lieu de repos ? Il est mieux de mourir ici que dans cette pièce sombre avec ce monstre. Je sens quelque chose sur mes épaules et le froid s’amoindrit. Il passe devant moi et regarde la mer. Sa casquette et son manteau cachent son visage. Nous sommes toujours seuls sur cette plage. Le grand manteau de laine qu’il a déposé sur mon dos me réchauffe petit à petit. J’ai peur de me réveiller et d’être entre les griffes de Louis. Je préférerais que ce rêve soit ma réalité. Il se tourne vers moi et me tend la main. Je ne cherche plus à voir son visage, je sais que je ne découvrirais pas qui il est. Je prends sa main et le laisse me guider. Nous nous dirigeons vers un phare. L’air intérieur est plus chaud, du bois brûle dans une petite cheminée. Je m’assois sur un des fauteuils et regarde le feu dansé. Il me tend une tasse fumante. J’enroule mes doigts autour pour capter la douce chaleur. L’odeur du feu, les flammes vacillantes, l’infusion à la vanille, mes doigts chauds et le fauteuil confortable, tout cela paraît simple, normal. Pourtant, je n’ai jamais pu y goûter. Des larmes coulent sur mon visage. Ce phare, cette plage sont mon lieu de repos. Je peux m’y retrouver quand bon me semble. Personne ne pourra me l’enlever. Mon capitaine, il s’approche et m’enlace. Je laisse sa douceur apaiser mon chagrin, me donner la force de ne pas céder, ne pas craquer. Peu importe ce que Louis me réserve, il ne saura rien. Nous restons là tous les deux près de l’âtre. Je sens son regard sur moi. Je me tourne vers lui, mais je m’éveille dans cette pièce vide allongée sur un brancard, les mains et les pieds liés.

  • Tu as mis du temps à te réveiller. Tu as bien dormi ?

J’ai mal à la tête.

  • Je te pensais plus résistante. Une simple chute et tu t’ouvres le crâne. Il faut apprendre à tenir debout, ma chère sœur. Bon pour aujourd’hui je te laisse te reposer et demain nous reprendrons notre discussion.

Il sort et je tire sur mes liens. Rien ne bouge. J’essaye de balancer mon corps sur le brancard, mais il reste fixe. Il n’y a rien dans cette pièce à part cette porte et ce plafonnier qui m’aveugle. Je n’entends rien à part le grésillement de l’ampoule et les craquements du brancard. Je n’ai pas l’impression qu’ils m’ont drogué, mais ils ont pourtant enfoncé une aiguille dans mon bras, je n’arrive pas à voir à quoi c’est relié.

Les heures passent et je commence à comprendre que je resterai dans cette position jusqu’à demain matin. J’ai faim et j’ai besoin d’aller aux toilettes. Il commence déjà à me déposséder de ma dignité. De toute façon, je mourrais ici. Alors, perdre ma fierté, ce n’est rien. Ce qui me fait peur ce n’est pas la fin, mais les épreuves que je vais devoir supporter avant le grand voyage. J’essaye de dormir, mais cette lumière ne s'éteint jamais. L’odeur d’urine me pique le nez et les grognements de mon ventre ne m'aident pas. Cette immobilisation est inconfortable, j’ai mal partout. Cette torture n’est qu’un début. Le même cycle se répète sans que je ne sache si c’est un nouveau jour ou non. Les femmes viennent me laver et me laissent attachée au mur. Louis vient, pose la même question, sans recevoir de réponse et me noie à nouveau dans un bain glacé. Parfois, il est violent, parfois il est vicieux. Je ne supporte pas quand ses doigts caressent ma peau, quand il embrasse mon cou. Plus le temps passe, plus je sens son désir plus fort, plus lubrique. Je sais ce qu’il compte me faire et je suis effrayée. Cette attente de ne savoir quand, comment, il s'empare du plus profond de mon corps, me laisse tremblante. Il sent que je m'affaiblis chaque jour, mais je ne peux pas perdre face à ce monstre. Je ne sais pas combien d’eau froide j’ai avalée et de fois je me suis évanouie au bord de l'asphyxie, avant qu’il change de méthode de torture.

  • Tu sembles avoir besoin de temps pour toi. Je vais donc te laisser. Tu me manqueras beaucoup, mais tu nous reviendras changée, j’en suis sûr.

Il me dépose dans une petite salle blanche matelassée. Il n’y a aucune fenêtre et la lumière est extrêmement vive. Il n’y a qu’un pot dans un coin de la pièce.

  • On se revoit dans 5 jours, ne t’inquiète pas, tu ne seras plus sous perfusion, tu auras à manger cette fois. Surtout, réfléchis bien et repose-toi.

Il me pousse dans la pièce. Je n’entends rien à part mon souffle. La lumière est encore trop forte pour que je puisse m’endormir. Je cherche à retourner sur la plage, mais je n’arrive pas à y retourner avec cette lumière. Ce qui m’angoisse le plus, c’est le bruit ou plutôt l’absence de bruit. Les lumières ne grésillent pas, mes pas ne font presque aucun bruit sur le sol. J'essaye de percevoir des bruits extérieurs, mais il n’y a rien. Je m'assois et essaye de garder mon calme. J’entends mon souffle ralentir et mon cœur battre. Je suis vivante et loin de ce monstre. Il ne pourra pas me faire de mal pendant un certain temps. Je dois voir ce temps comme une chance pour réfléchir à la suite et ne pas céder face à Louis.

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