Dr. Frankenstein

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La tempête m’a charrié dans tous les sens. Les vagues m’ont recraché sur la plage. J’ai la bouche pleine de sable et les poumons remplis d’eau. J’essaie de ramper tant bien que mal pour me sortir de l’eau. Mes doigts s’enfoncent dans le sable sans rien accrocher. Je m’efforce de toutes mes forces de m’extraire de cette mer agitée. Je suis au bord de l’épuisement lorsqu’il me tend sa main. Il m’arrache à l’écume et m’aide à marcher jusqu’à un rocher sur la plage. Je tousse l’eau accumulée dans ma gorge. Il m'enveloppe dans sa chaleur. Je reste dans ses bras, espérant ne pas me réveiller. Cette tendresse, j’aurais aimé y goûter dans la réalité. Tous ses maux auraient aussitôt disparu avec cette simple étreinte. Le calme est revenu avec le soleil.

  • ... deux jours. Réveille- la !

Je sens tes bras se détacher de moi. Non, je t’en prie, ne pars pas. Je veux être avec toi. Laisse-moi rester sur cette plage avec toi. Je ne veux rien d'autre à part ça.

  • Elle n’a pas recalcifié tous ses os. Il lui faut encore un peu de temps, si vous ne voulez pas l’handicaper à vie.

Ne pars pas. Il disparaît, tout comme la mer et la plage.

  • Dépêche-toi, alors !

Louis sort de la pièce en claquant la porte. Je suis dans un lit médicalisé avec des machines bruyantes autour de moi. Cela me rappelle la clinique. Je sens le médecin se rapprocher.

  • Il ne faut pas qu’il touche à ma sculpture. Tu étais magnifique et je t’ai rendue parfaite.

Il balade ses mains sur mon corps, mais ce n’est pas pour m’ausculter. Je suis encore groggy et je n’ai pas la force de lui échapper.

  • Tes proportions sont divinement bien dessinées. J’ai encore des mesures à prendre pour mes prochaines créations. Tes formes sont tout droit descendues de l’Olympe. Tes traits parfaitement équilibrés. Comment une brute comme lui a pu abîmer un tel chef-d’œuvre ? De telle beauté naturelle n’existe plus. Elles sont toutes refaites et mutilées. J’aimerais te garder auprès de moi, mais je dois finir de te réparer pour lui. Mes mesures, je dois finir mes mesures.

Il prend mes seins entre ses mains, les pèse, les mesures, les caressent pour évaluer mes réactions. Il annote la couleur, la forme et la souplesse de ma peau. Lorsqu’il a fini cette partie de mon corps, il passe à mes bras, mes jambes, mon ventre et mon entrejambe. Je sens ses doigts en moi, tout cela me dégoûte, j’essaie de me battre contre la drogue pour me réveiller.

  • Tu sens ses doigts comme des vers rampant, ses ongles griffant ta peau.

  • Tu le laisses faire, tu restes terrorisée par la peur ou bien tu aimes ça ? Tu sens ton corps réagir sous ses mains. Cette chaleur qui monte de ton bas ventre. Tu n’es qu’une faible.

  • Ne les écoute pas . Bats-toi. Défends-toi. Tu en es capable, ce n’est qu’un autre monstre à exterminer.

Ces voix sont toujours là, elle ne me quitte plus. J’essaie de crier, mais seuls quelques sons sortent de ma bouche. Il laisse enfin mon corps et revient vers moi. J’entends de l’eau couler. Il soulève ma paupière et un flash de lumière apparaît.

  • tes réveillés. Tout va bien. Vos fractures se remettent bien, mais vous avez encore besoin de repos. Je vais vous donner quelque chose pour que vous dormiez encore quelques heures.

Il s’éloigne pour prendre une seringue. J’arrive à bouger mon bras pour essayer de le stopper, mais je n’ai pas la force. Il m’enfonce l'aiguille dans une veine au creux de mon coude.

  • Reposez-vous, il a besoin de vous en pleine forme demain. Il a une surprise pour vous.

La drogue fait tout de suite effet et je suis à nouveau les pieds dans le sable froid. De grands rochers sont derrière moi surplombés par d'immenses falaises de calcaire. Je ne vois plus le phare, il m’a aussi abandonné. Je m'assois sur le plus haut rocher et attends que la mer m’emporte avec elle. L’eau recouvre le sable. Des poissons et crustacés suivent les vagues dans une valse tourbillonnante. Le spectacle est beau, mais annonce lentement ma fin. Bientôt, les premières pierres seront recouvertes par l’écume. Le fracas de la mer contre les rochers m'a abasourdie. Je sens les vagues me lécher les orteils. Un mur d’eau se dessine au loin et se rapproche de plus en plus vite. Je prends une grande respiration avant que le choc ne me projette contre la falaise.

Je me réveille en sursaut dans un lit doux et confortable. Une douce odeur de fleur m'entoure. Mes vêtements sont propres et je me sens reposée. Où suis-je ? Peut-être que tout ça n’était qu’un cauchemar dans un cauchemar et que je me suis réveillée. J’essaie de bouger, mais mon corps ne veut pas. J’arrive difficilement à soulever la couverture, puis déplace mes jambes pour poser mes pieds sur le sol. Mes membres sont raides et désarticulés comme un pantin. Je regarde mes mains, mais je ne les reconnais pas. Mes doigts sont plus longs et fins, ma paume est rétrécie. Ce médecin, il m’a dépossédé de mon corps pour me changer en monstruosité. J’ai besoin de me voir dans un miroir. Ma volonté me porte et traîne mes jambes jusqu’à une porte. Une salle de bain avec un grand miroir. J’ai à la fois besoin de savoir ce que je suis devenue, mais j’ai très peur. Mon visage est le même, mais mes membres sont plus élancés. Je suis plus grande et il a effacé toute forme de musculature. Je me sens faible dans ce corps incapable de combattre. J’ai passé beaucoup de temps à entretenir mon corps pour qu’il soit tel que je le voulais et, en quelques jours, même cela m’a été arraché. Je ne suis qu’un objet devant prendre la forme, le goût, la couleur qui plaira à cet homme. Je m'effondre sur le carrelage froid. Il m’arrache par petit bout mon humanité pour qu’il ne me reste qu’un vide immense, un corps sans âme. Est-ce que je ne devrais pas céder ou bien mourir ? Pourquoi me battre ? Pourquoi vivre ? Survivre ? Pourquoi ? Pour vivre une vie où je suis déjà à moitié morte ?

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