Elles

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M. Amne marche vers un fauteuil à l’autre bout de la pièce.

  • Plus près.

Il rapproche le fauteuil et je distingue de la peur dans ses yeux. Il nettoie son pantalon et s’installe confortablement en croisant les jambes.

  • Je ne vous aime pas et vous le savez, mais vous êtes le seul à pouvoir m’aider. Je sais que vous êtes le plus compétent dans votre domaine. Alors, soignez-moi.
  • Qu’est-ce qui …
  • Il y a ces voix dans ma tête. Il faut que vous les supprimiez. Je ne veux plus les entendre.
  • Il faut que tu me racontes comment elles sont arrivées.
  • C’est à cause de cette pièce et ces alarmes.

Il se redresse et prend une grande inspiration.

  • Je sais que ce n’est pas facile, mais pour t’aider j’ai besoin de tout savoir. Je pense qu’il faut que tu me racontes ce qui s’est passé depuis ton départ.

Je souffle et lui détaille tout. Ma fuite, l’appel de Galahad, les retrouvailles avec ma mère, le piège, le bain froid, l’eau dans mes poumons, la pièce blanche, la sirène, la perte de sommeil et les voix. J’aimerais lui dire plus, mais il m’arrête.

  • Stop, je ne peux pas.

Il a du mal à respirer et semble agiter.

  • Comment ça ?
  • Ce que tu as vécu est inhumain et je ne peux pas tout entendre en une seule fois. Je ne suis pas aussi fort que toi. Tu es courageuse et tu n’as pas abandonné. J’ai besoin de temps pour assimiler toutes ces informations et trouver les méthodes pour t’aider. Je vais tout faire pour te soigner du mieux que je peux, mais j’ai besoin de temps.

J’aimerais hurler que je m’en fous, mais à quoi bon ? Ma vie est un enfer, alors pourquoi voudrais-je entraîner quelqu’un dans ma chute.

  • Elena.

Il s’est rapproché.

  • Tu devrais en parler, pour te libérer de ces images.
  • Pour quoi faire ? Ils auront tous pitié ou peur de moi. Ils ressentiront la même chose que moi et, chaque fois qu’ils me regarderont, ils ne verront que la fille blessée, détruite. Je ne suis pas ça.
  • Elena, ce n’est pas ce qu’ils pensent.
  • Ne leur en parlez pas.
  • Jamais, ce dont nous avons discuté ici reste entre nous. C’est ton choix de leur en parler.

Il se lève, remet le fauteuil et pose la main sur la poignée de porte.

  • Je reviendrai dans deux jours.

Il ouvre et ma mère rentre. Je vois Galahad discuter avec M. Amne. Il veut savoir, mais M. Amne s’en va. Il le retient et je vois de la colère sur son visage. Je dois lui en parler, mais je sais que j’ai plus à y perdre qu’à y gagner. Je regarde ma mère qui est en larmes. Elle me prend dans ses bras et je place ma tête sur son épaule. Je continue à regarder Galahad à travers la porte. Je ne vois que de la colère, mais est-elle pour moi ? Je n’arrive pas à détacher mon regard de lui, mais plus je le regarde, plus je le sens bouillonner. Quelques minutes passent et il s’en va. Je reste dans les bras de ma mère, jusqu’à ce qu'elle se calme. Elle n’arrive pas à cacher sa peine et elle ne trouve pas les mots. Elle part en pleurant et me laisse à nouveau seule.

Je reste longtemps à regarder les oiseaux voler en liberté de l’autre côté de la fenêtre. Alors que moi, je suis clouée au lit à attendre que mon corps se répare. Galahad ne vient jamais me voir en journée, mais toutes les nuits, il est à mon chevet. Il me tient la main et éponge mon front en sueur. Toutes les nuits, Louis me hante, je revois ses mains sur mon corps, ses murmures à mes oreilles et la douleur de ses coups. Je me débats, je me griffe, mais Galahad est toujours là pour m’apaiser. Je n’ouvre pas les yeux, je ne veux pas qu’il parte. M. Amne revient me voir tous les deux jours pour m’écouter principalement. Je ne l’avais pas remarqué au début, mais au fur et à mesure de la séance, ses membres se contractent, son visage se durcit et sa respiration s'alourdit. C’est toujours lui qui arrête la séance. À chaque fois qu’il part, Galahad est à la porte pour lui demander des explications, mais M. Amne reste silencieux. Il a une grande conscience professionnelle. Il me regarde quelques instants à travers la porte et part. J’aimerais lui parler, mais je n’arrive pas à sortir de ce lit. Je triture mes mains et laisse les larmes tomber sur mes doigts.

Cette nuit ce n’est plus Louis, mais d’autres hommes. Je ne vois rien de clair, seulement des mains, de la chair. J’entends des rires, des raclements et des grondements. L’odeur de sueur est là, mais il y a autre chose. Je sens ma peau collante, gluante, et un goût horrible, salé dans la bouche. J’ai mal partout. Je ne sais pas où je suis, mais c’est cette douleur en bas de mon ventre qui est insupportable. Ils tirent mes cheveux et écorchent mes genoux. Je me débats, mais ils me frappent. Je hurle, mais ils me bâillonnent. Je sens quelque chose au niveau de mon cou et je me réveille en sursaut. Galahad est encore là. Je le regarde apeurer. Est-ce vraiment un cauchemar ou un souvenir ?

  • Elena, tu es en sécurité.

Il me serre la main et me tend une serviette. Je le sens, mes mains, mes bras, mon corps sont moites. J'essuie tant bien que mal ma sueur et mes cheveux trempés. Galahad se lève. Je l’attrape par la manche.

  • Ne pars pas s’il te plaît. Je voudrais que tu restes encore un moment.

Il hésite son visage dirigé vers la porte. Je sens ses muscles tendus. Il est en colère. Maintenant, j’en suis sûre, elle est dirigée contre moi.

  • J’ai besoin de te parler.

Ma voix se casse. S’il me déteste, autant tout lui raconté, ce sera sûrement la dernière fois que nous parlerons. Les secondes qui passent semblent être des heures. Il se rassoit, pose ses coudes sur ses genoux et cale ses mains sous son menton. Cela me ravive d'anciens souvenirs. Il a le même regard froid, mais je sais qu’il est juste concentré à contenir ses émotions. Je cherche un peu de compassion dans son regard, mais je ne vois rien. Je fixe mes doigts.

  • J’entends des voix. J’ai été privée de sommeil et des voix sont apparues dans ma tête.
  • Tu t’entends parler. Tu penses qu’il fera quoi avec une folle. Il va peut-être t’aider à te tuer.
  • Il peut t’étrangler. Cela passera sa colère.

Je mords ma lèvre pour que la douleur les fasse disparaître. Le goût métallique glisse sur ma langue. Il pose sa main doucement sur mon bras.

  • Elena, ne fais pas ça.

Je le regarde, ce n’est plus ses yeux froids que je vois, ce n’est plus de la colère, mais de la tendresse.

  • J’ai demandé à M. Amne de m’aider à les faire disparaître. Je ne voulais pas te le cacher. Ma tête est tellement malade que je ne veux pas te faire de mal. Si tu me détestes, tu n’as pas besoin de rester par politesse. Tu peux partir et je te donnerais toutes les informations que j’ai sur Louis et Léandre.
  • Je ne te déteste pas. Si je suis en colère, c’est contre moi. Te voir dans cet état me fait réaliser à quel point je suis faible. Je t’ai laissé là-bas, alors que j’aurais dû venir te chercher au lieu de t’appeler.

Il prend ma main entre les siennes et pose son front dessus. Il renifle.

  • Je pensais que tu m’en voulais de t’avoir abandonné.
  • Tu m’as sauvé, ma mère et moi. C’est moi qui t’ai abandonné. Merci de m‘avoir secouru.

Il lève la tête les yeux remplis de larmes. Il ressemble à un enfant.

  • J’ai cru que tu étais morte.

Je pose mon autre main sur sa joue pour essuyer ses larmes.

  • Tu étais avec moi tous les jours. Je ne savais pas que c’était toi, maintenant je le sais. Si j’ai survécu, c’est uniquement grâce à toi.

Il pose sa tête sur le lit et je vois ses épaules bouger sous ses sanglots. Au bout d’un certain temps, il se calme et s’endort. Je finis ma nuit calmement sans un rêve.

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