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Très vite, le clan de ceux qui passaient leur WE à la résidence se souda. Nous étions une vingtaine environ de 1ère année. Nous avions nos codes. Des soirées au bord de la base de loisirs voisine. Des after en boite de nuit, dont une que l’on n’a jamais réussi à retrouver de jour… ! Des sorties en forêt pour ramasser des champignons à la lampe torche, ou pour guetter un brame du cerf qui ne vint jamais.

Toi aussi tu étais loin de chez toi. Toi aussi tu restais. Il est devenu naturel que nous soyons proches. Alors, tout aussi naturellement, un jour, j’ai mis le pied dans ta chambre.

Oh, en tout bien tout honneur.

Tu avais installé des caisses à pomme en bois sur tout un pan de mur. Des BD y étaient rangées. De tout. Des collections complètes. Bilal. Lanfeust. Et tant d’autres. Au sol un tapis moelleux. Combien d’heures ai-je passées là, à m’immerger dans la quête de l’Oiseau du temps, où à suivre les aventures de Corto Maltèse.

Il y avait toujours du monde chez toi. Tes voisins d’abord. La grande blonde Amélie, avec des vues sur toi pas si secrètes que ça. Et d’autres, venus emprunter ou ramener un truc. La porte était toujours ouverte. Pleins d’autres gens encore sont venus. Tu rayonnais large. Dans toutes les années, dans tous les bâtiments. Filles ou garçons. Tu pratiquais l’équité avec générosité.

Oui, généreux. C’était ce qui te décrivait le mieux. Dans tes étagères en caisse, il y avait aussi des bocaux. Des plats préparés par ta mère, dans une famille où on ne roulait par sur l’or, mais où la convivialité primait sur tout.

J’ai des souvenirs gourmands de ces Dimanches midi, à quatre ou cinq dans ta minuscule chambre, à déguster jusqu’à la dernière miette de poule au pot ou de carbonnade flamande.

Car tu venais de ce côté-là de la France. A la frontière, dont tu avais d’ailleurs le phrasé et le cœur grand ouvert. Tu venais de cet endroit où on fête la Saint Nicolas, et sa copine Catherine.

* * *

Je crois que c’est de là que vint ma première prise de conscience. Le premier pincement au cœur, qui en amena d’autres.

Un vendredi soir, lors des immuables préparations de WE, tu eus une idée qui me laissa perplexe.

Dans notre promo, beaucoup venaient du Nord, de l’Est, de la frontière. Bientôt Décembre. Sans doute une Nostalgie à cette période de l’année vous avait gagnée. Dans vos villages on préparait les défilés, les marchés de Noël sentaient bons et vous tendaient les bras. Mais voilà. Vous étiez loin.

Vous alliez vous réunir, pour lutter contre ce tiraillement, contre l’éloignement. Pendant 48 h, vous boiriez du chocolat à la cannelle, mangeriez du pain d’épice, vous offririez des cadeaux en vous racontant vos souvenirs d’enfant.

Un truc idiot, mais qui vous enchantait. Moi non. Pendant 2 jours on ne vous vit pas. Nous n’étions pas de là. On ne pouvait pas comprendre. Pour moi St Nicolas, c’était des bonbons dégoûtants envoyés chaque année par un grand oncle de Metz, avant qu’il n’abandonne, découragé par mon manque d’empressement à le remercier.

Donc je disais, pendant 24h, on ne vous a pas vu. Et je ne trouvais pas cela bien. Mais alors pas bien du tout. Je ne sais pas si c’était la sensation d’être à l’écart. De ne pas faire partie du groupe, ou celle d’avoir été invisible à tes yeux. C’était une première. D’habitude, même sans rien se dire, sans rien se promettre, nous nous retrouvions toujours. Mais là non. Tu ne me cherchas pas. Tu ne me croisas pas. Et ça n’eut pas l’air de te gêner. Tu étais haut sur ton nuage, le lundi matin quand tu t’assis à côté de moi en cours de Biochimie.

Tu m’as raconté pleins de trucs, sans te rendre compte que je faisais un peu la tête. Puis comme à ton habitude, tu m’as décrypté, et en plein amphi, tu m’as pris par l’épaule et tu m’as dit :

- T’inquiète pas. On fera encore pleins des trucs toi et moi.

Comme si c’était normal. Comme si être ensemble était une évidence. Tu as attrapé ma joue pour me faire sourire. J’ai résisté, mais j’ai échoué. Et toujours en plein cours, j’eus droit à un bisou sur la joue. Accompagné d’un éclat de rire.

* * *

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