Chapitre 8
PDV Alex
La maison des Fleureau était baignée dans un silence peu commun. Généralement il y avait toujours la télévision ou la radio allumée dans l’une des pièces, mais aujourd’hui le silence absolu régnait. Alex fut surpris de voir Elena couchée en boule sur son lit. C’était comme si elle essayait de se faire plus petite. Comme si elle essayait de disparaître. Quelque chose de mal avait dû se passer. Cette réalisation le désarçonnait. Il posait sa main sur son épaule pour essayer d’attirer son attention. Elena sursautait et levait la tête vers Alex, retirant ses écouteurs. Elle ne l’avait pas entendu entrer. Ses joues étaient baignées de larmes. Alex avait eu raison. Sans lui laisser le temps de réagir, il venait s’asseoir à côté d’elle et la prenait dans ses bras. Elena éclatait en sanglots. Il la laissait pleurer. Il semblerait que personne n'avait été là pour elle depuis bien trop longtemps.
– Qu’est-ce qui ne va pas ?
Elena s’accrochait à lui comme à une bouée de sauvetage. Alors qu’Alex s’était promis de ne pas trop s’attacher à elle, il se retrouvait en train de la consoler. Aucune de ses résolutions n’avait d’importance quand elle était si proche de lui.
– Aujourd’hui ça fait trois ans que mon frère est mort.
– Je suis désolé pour toi.
– Ne le sois pas. J'aurais dû mourir à sa place.
Il sentit son cœur louper un battement. Alex savait qu’Elena avait beaucoup de mal avec sa situation familiale et son accident, mais jamais elle n’avait parlé de mourir. Il n’avait jamais réalisé à quel point elle était brisée à l’intérieur. Comme lui.
– Ne dis pas ça. Ta vie vaut autant que celle de n’importe qui.
– Alors pourquoi j'ai l'impression de ne pas mériter de vivre ?
Ses larmes se mirent à couler de plus belle. Comment une personne aussi gentille pouvait-elle se sentir si jetable ? Alex resserra son étreinte. Si seulement il pouvait lui faire comprendre à quel point elle était précieuse.
– C’est ton père qui t’a dit ça ?
– Je me demande si quelqu’un réaliserait si je disparaissais. Je ne manquerais à personne.
– Tu me manquerais à moi.
Cette nouvelle le décontenança. Alex mit cette pensée dans une boîte de son esprit. Une qu’il ouvrirait plus tard.
– C’est faux. Il n'y a rien en moi qui puisse te manquer.
Alex ne savait pas quoi faire. Elena était désespérée. Lorsqu’il avait été plus jeune, Alex s’était trouvé au bout du gouffre, mais sa mère avait été avec lui à chaque instant. Entre un père qui ne l’aimait pas et une mère qui ne la défendait jamais, Elena était seule. Alex lui caressait les cheveux.
– Tu es mon amie. Bien sûr que tu me manquerais. Je sais que tu n’arrives pas à y croire en ce moment, mais je serais triste si quelque chose t’arrivait.
Léna nicha son visage dans le cou d’Alex, l’enveloppant avec son doux parfum de fleurs de cerisier.
– Mes parents sont partis visiter sa tombe. Il n’a pas voulu que je vienne.
– Tu n’as jamais eu la chance de faire le deuil de sa mort. Ton père ne t’a jamais laissé faire, n'est-ce pas ?
Elena avait toujours pris sur elle, avait toujours encaissé les coups émotionnels et physiques sans jamais avoir eu l’occasion de se remettre, croyant ne pas mériter d’aller mieux. Alex n’arrivait pas à imaginer ce que c’était de se faire écraser sans relâche jusqu’au point de croire que sa propre vie n’avait plus la moindre valeur.
– Allons-y.
Elena s’écarta de lui comme s’il venait de la gifler.
– Quoi ?
– Allons voir sa tombe.
La jeune femme commençait à jouer nerveusement avec ses mains, comme si elle ne savait pas quoi faire d'elle-même. C'était troublant de la voir ainsi. Elle qui avait toujours l'air si calme et stoïque, était maintenant une épave. Alex se demandait si c’était une erreur de lui avoir proposé d’aller au cimetière, mais au fond de lui il savait que c’était ce dont elle avait besoin. Il était temps qu’elle puisse enfin accepter la mort de son frère. Sinon jamais elle ne serait capable d’aller de l’avant.
– Je ne sais pas si c’est une bonne idée. Mon père m’a dit de ne pas y aller.
– Quand vas-tu commencer à vivre pour toi ?
– Tu dis ça comme si c’était facile.
– Ce n’est pas facile.
Oh Seigneur, il savait. Lui-même n’avait pas eu facile à remettre sa vie sur pied après cet incident, mais il essayait. Même s'il luttait la moitié du temps. La vie était dure. En fait, c'était un putain de merdier, mais il fallait aller de l'avant. Il voulait qu'elle avance et aille mieux. Elena leva les yeux vers lui. Pour la première fois, elle était capable de le regarder dans les yeux. Elle était prête. Alex se leva et de lui tendit sa veste.
– Je suis en pyjama.
– Je ne suis pas sûr que ton frère y aurait vu un inconvénient. Allons-y.
Il s’attendait à ce qu’elle riposte. Elle se contenta de frotter ses yeux avant de hocher la tête. Alex lui ébouriffa les cheveux et elle repoussa sa main, mais un petit sourire se dessina sur ses lèvres. Pendant le trajet, Elena ne dit rien. Elle tordait ses doigts nerveusement. Lorsqu’ils arrivèrent, Alex attendait à ce qu’elle réagisse, mais Elena était perdue dans ses pensées.
– Tu veux que j’attende ici ?
Contre toute attente, elle secoua la tête. Au loin ils voyaient Maura et Frank rejoindre leur voiture. Une fois qu’ils étaient partis, Alex et Léna sortaient de la Polo. Le jeune homme posait sa main sur son dos. Elle tremblait légèrement.
– Ne t’en fais pas princesse, tu n’es pas seule.
***
PDV Elena
Voir la tombe de mon frère m’avait permis de comprendre certaines choses. Un, Mick était bel et bien mort, et plus jamais il ne me reviendrait. Je le savais de manière objective, mais voir sa tombe trois ans plus tard ne faisait que confirmer ce que j’avais essayé d’ignorer pendant tout ce temps. Cela faisait prendre ma tristesse de l’ampleur, si c'était encore possible. Apparemment il n’y avait pas de limite à la quantité de douleur qu’un cœur humain pouvait ressentir. La seule chose qui changeait était qu’on finissait par s’y habituer.
Deux, je n’avais plus aucune nouvelle de ma meilleure amie. On n’avait jamais été ce duo qui s’envoyait des messages tous les jours, mais pour l’anniversaire de la mort de mon frère, j’avais espéré un peu de soutien de sa part. Or, depuis plus d’une semaine, je n’avais plus aucune nouvelle d’elle. Pourtant elle avait vu mes messages. Était-ce ainsi que notre amitié allait se finir ? En s’ignorant ? C'était l’impression que j’avais en tout cas.
Trois, je ne voulais pas mourir. En voyant la tombe, je m’étais préparée à l’idée de me sentir encore plus coupable d’avoir été celle qui vivait, mais ce n’était pas le cas. Je suis sûre que la présence d’Alex y était pour beaucoup.
Et quatre, je ne voulais plus mener la vie que je menais actuellement. Mais j’étais lâche. Et j’avais peur. Mon seul ticket de sortie m’avait été enlevé le jour de mon accident. Maintenant j’étais coincée dans une vie dont je ne voulais pas, tout en étant incapable d’en sortir. Et cette réalisation était la pire de toutes. La psychologue m’observait, les lèvres pincées. Cela faisait une demi-heure que j’étais assise sur son canapé sans avoir dit le moindre mot.
– Elena, je crains que tu ne t’enfermes à nouveau dans un mutisme. S’il te plaît, dis-moi comment tu te sens ?
Mal ? Triste ? Désemparée ? Complètement dépassée ? Une chiée de réponses me venait en tête, mais je ne savais plus laquelle choisir. J’étais tellement fatiguée.
– Ça changerait quoi que je cesse de parler ? Ce n’était pas comme si ma parole avait la moindre valeur.
– C’est là que tu te trompes. Tu as autant de valeur que n’importe quelle autre personne.
Je sentis le vide qui s’était installé dans ma poitrine se creuser. Oui, j’avais autant d’importance que n’importe quelle autre personne, mais non, ma parole n’avait pas la moindre valeur. Si quelqu’un pouvait essayer de faire comprendre à mes parents que tout comme mon grand frère (paix à son âme), j’avais moi aussi une âme et des sentiments, et que je valais autant que lui, j’étais preneuse. Sauf que personne ne ferait ça. Et ça, c’était la réalité dans laquelle je me trouvais.
– Je n’ai pas l’impression d’être une personne. Je n’ai même plus l’impression d’être une humaine. Juste une tache indélébile qu’on essaye de faire disparaître coûte que coûte. Alors quelle importance ?
La psychologue me sourit, les larmes aux yeux. Je venais littéralement d’insinuer que ma vie ne valait rien et que je pouvais probablement disparaître de la surface de la Terre sans que personne ne le remarque. Pourquoi avait-elle l'air si soulagée ?
– Ceci est la première fois que tu es honnête lors d’une séance. Tu es enfin prête à aller mieux.
Je ne me sentais absolument pas prête. Comme toujours, j’avais l’impression que tout dans ma vie allait de travers et que je n’arrivais pas à garder la tête hors de l’eau. Je coulais, encore et toujours. J'étais habitué à ce sentiment de couler, maintenant. Et jamais je ne touchais le fond. Ça aussi c’était devenu une habitude.
– Je ne me sens pas prête.
– Mais tu l’es.
***
Kelsey entra dans ma chambre et alla s’asseoir sur le divan. Pas de bonjour, pas de bisou, rien. Elle avait l'air d'être venue ici pour parler affaires. Elle qui était généralement si heureuse et pétillante, je la reconnaissais à peine. J’avais l’impression de me trouver face à un mur.
– Où étais-tu passée ? Ça fait plus d’une semaine que j’essaye de te joindre.
– J’étais occupée.
Sa voix était froide et distante. Comme si elle venait de réciter un texte qu’elle avait appris par cœur. Je fronçai les sourcils. Qu’est-ce qui lui prit tout d’un coup ?
– Occupée avec quoi ? Qu'est-ce qui pourrait être plus important que le troisième anniversaire de la mort de Mick ?
– Moi. répondit-elle sans cligner des yeux.
– Je ne suis pas sûre de comprendre.
– J’avais besoin de temps pour moi.
– Et moi j’avais besoin de toi !
Pendant trois ans j’avais fermé ma gueule, mais maintenant j’avais vraiment besoin du soutien de ma meilleure amie. Son regard devint froid. Elle aussi allait me quitter. C'était ça qui allait se passer, n'est-ce pas ?
– Tu n’es pas la seule à avoir perdu quelqu’un d’important ce jour-là, Léna. J’avais besoin de temps pour moi. J’ai toujours besoin de temps pour moi, alors je crois qu’il serait mieux qu’on s’éloigne un peu.
– Qu’est-ce que tu me dis ?
– Nous ne sommes pas bien l’une pour l'autre. Je pense que nous ne devrions plus être amies.
Kelsey quitta la chambre sans se retourner. Mon cœur était lourd, mais il n'y avait pas de larmes. J'étais trop fatiguée pour pleurer.
***
PDV Alex
Elena se plaça devant Alex, un bouquet de tulipes jaunes en main. Elle se tenait droite comme un i, déterminée. Alex haussa un sourcil. Il referma son casier et lui accorda son attention. La dernière fois qu’il l’avait vu, était lorsqu’ils avaient été voir la tombe de son frère. Cet événement lui avait fait quelque chose. Il y avait quelque chose de légèrement différent chez elle, mais il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus.
– Tu as un admirateur secret ?
Léna fronça les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir.
– Quoi ? Pourquoi tu crois ça ?
Alex montra les fleurs du menton. Pour une raison étrange, Elena s’empourpra. Adorable. Certains élèves les regardaient avec curiosité avant de continuer leur chemin. Ils formaient un duo assez particulier.
– Oh heu... elles sont pour toi en fait.
Alex pouffa. Il avait clairement mal entendu. La jeune femme fronça les sourcils de plus belle, visiblement vexée. Peut-être qu’il avait bien entendu. Elena lui balança les fleurs à sa figure avant de se retourner. Elle relevait la tête avant de partir dans la direction opposée. Alex dut faire de son mieux pour les rattraper. Elle pressa le pas et sortit du bâtiment.
– Elena, attend ! Ne sois pas vexée.
– Laisse tomber.
– Merci pour les fleurs.
D’un geste vif, elle se retourna vers lui. Voilà donc ce qui avait changé. Elena devenait plus téméraire. Elle avait encore un long chemin à parcourir, mais la danseuse semblait avoir décidé de ne plus se laisser marcher sur les pieds aussi facilement.
– Est-ce que c’est une blague ?
– Quoi ? Non !
– Tu ne sembles pas très heureux de recevoir des fleurs.
Elle croisait ses bras sur sa poitrine en levant le menton. Seigneur, elle était exaspérante, et pourtant il aimait ça.
– Pourquoi tu voudrais m’offrir des fleurs ?
Sa façade retomba.
– Elles étaient jolies...
– Tu... m’as offert des fleurs, car tu les trouvais jolies.
Elena dansa nerveusement d’un pied à l’autre. Elle avait eu l'air d'une dure à cuire pendant un moment, mais maintenant elle ressemblait juste à un chou à la crème. Alex avait envie de l’enrouler dans une couverture, et de lui donner de la glace. Attends, c’est bizarre ça. Il secoua la tête.
– Pourquoi es-tu aussi gentille avec moi ? Je ne le mérite pas.
– Je t’aime bien, alors il faudra t’y faire.
Elena s’assit sur un banc du parc en face de l’école. Kelsey passa devant eux sans lancer un regard dans leur direction. Au début, il pensait qu’elle ne les avait pas vus, mais en voyant la tête de chien battue de Léna, Alex comprit que quelque chose se tramait. Au moment où il se retournait vers elle pour poser la question, elle parlait.
– Alex, tu penses que je suis une mauvaise personne ?
– Non. Pourquoi tu penses ça ?
– Tu me trouves égoïste ?
– Tu l'es. Nous le sommes tous. C'est pour ça que tu es humaine.
– Je suis trop égoïste ?
D’où lui vint cette idée ? Oui, Elena était parfois difficile à vivre, et oui, c’était très difficile de savoir l’atteindre tellement elle était fermée et butée. Mais de tous ses défauts, égoïste n’était pas un mot qui lui venait en tête lorsqu’il pensait à elle. Elena essayait toujours de plaire aux autres au point de ne pas vivre pour elle-même. Alex croisait les bras.
– OK, qu'est-ce qui se passe ?
Pendant un instant, elle ne dit rien. Alex attendait, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Il décida de la brusquer un peu. Elle était le genre de personne qui avait besoin d’un coup de pouce par moments.
– Elena, parle-moi.
Elle leva les yeux vers lui et soupira. Le temps qu’elle lui raconte, Alex se pinça l’arête du nez. Au début il avait jugé Kelsey, tout en lui laissant le bénéfice du doute. Mais il avait eu raison, elle était une peste. Ne pas avoir ce genre de personne dans sa vie était probablement la meilleure chose qui pouvait arriver à Elena, même si ça la rendait triste.
– Je pense qu'il est temps pour toi de passer ta vie avec des gens qui se soucient de toi.
– Je suppose que je serai toujours seule, alors.
– Nah, tu m’as moi.
Elena posait sa tête sur son épaule.
Pauvre de toi.
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