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Lorenzo gara sa vieille VW Golf fumante (polluante!) dans une rue calme, bordée de platanes tordus. Des oiseaux chantaient gaiement, ignorant les sombres pensées qui l’agitaient. « Ils sont trop cons ces zoziaux ! » aurait dit Fabrice. Passant sa veste de tweed, il ajusta son col de chemise et d’un pas décidé se dirigea vers un pavillon coquet, franchit le portillon agrémenté de figurines d’hirondelles ridicules, monta les trois marches du perron et sonna : dong dong.

Quoi ? « La sonnette est en panne, songea-t-il, il faudrait y remédier ». La porte s’ouvrit et une femme (vieille) au moins la quarantaine (!), menue, apprêtée apparut. Comment Fabrice avait-il pu la trouver trop belle ? Certes elle n’était pas désagréable et on peut même dire qu’il se dégageait d’elle une certaine séduction, mais de là à…

— Oui ? C’est pourquoi ?

— Une affaire de la plus haute importance… Puis-je… ?

— Hein ? Mais enfin monsieur… Monsieur ! Attendez !

— C’est une affaire de vie ou de mort… De mort en fait.

— Quoi ? Vous me faites peur ! Sortez !

— Vous devriez prendre la peine d’écouter ce que j’ai à vous dire… Je dis ça, je dis rien…

Jennifer (parce qu’en plus la Patato, s’appelle Jennifer, on croit rêver) resta un instant interdite, considérant cet homme distingué qui faisait irruption chez elle à l’heure de son émission quotidienne de santé féminine à la téloche (dysménorrhées ; oui, il y a des femmes qui n’en sont toujours pas revenues d’avoir des règles).

Lorenzo regardait, observait, notant tout, comme à son habitude, entra au salon, fit le bonjour au Loulou tout frétillant qui venait voir l’intrus tout curieux et s’assit avec nonchalance.

— Mais enfin monsieur, expliquez-vous !

— Ton mari veut ta peau. Il a placé un contrat sur ta tête.

La stupeur glaça Jennifer.

— Et vous…

— Moi.

— Vous allez me tuer ?

— Tu mérites de mourir ?

— Bah non ! J’ai rien fait ! Mais quel salaud ce René !

— Cherche bien… Tu dois bien avoir fait… La faute est en la femme, non ?

— Mais non ! s’indigna la ménagère. Rien, je vous dis ! Toujours aux petits soins pour monsieur ! C’est simple, je fais tout à la maison !

— Tu veux jamais donner du réconfort à ton homme, avoue !

— Bah même pas… fit-elle, songeuse. Parce qu’on peut dire que René est pas très porté sur la chose… C’est pas souvent ma fête…

Elle regarda intensément Lorenzo, de plus en plus intriguée par ce type improbable, très calme. Trop.

— Mais enfin monsieur…

— Quoi ?

— Vous allez m’expliquer ?

— C’est pourtant simple. Il a probablement trouvé une plus jeune, plus belle, plus baisable. Et surtout, il veut garder son fric et pas le perdre en frais d’avocat et de pension.

— Oh le… Mais oui… Et dire que c’est avec l’argent de mon père qu’il a monté son business… Il s’en tirera pas comme ça ! Venez, monsieur le tueur !

— Où ça ?

— Au bureau ! Au coffre !

À la surprise de Lorenzo, la Jennifer se précipita ; on entendit le cliquettement de ses mules sur le travertin, poursuivie par le loulou à sa maman.

— Venez voir, venez voir ! fit-elle.

Lorenzo pénétra dans le bureau cossu, plein de miniatures de voitures soigneusement rangées dans des vitrines, et son regard tomba sur l’inévitable poster de Johnny… ainsi que sur tout l’attirail du mauvais goût qu’on puisse trouver, entre autres une patate géante.

La pauvre femme était plantée devant un coffre manifestement bas de gamme avec combinaison à quatre chiffres.

— Mince, je ne me rappelle jamais la combinaison du coffre, gémit-elle.

Ses doigts pianotaient nerveusement sur le clavier, en vain. Lorenzo laissa vagabonder son regard sur le bureau, plein de papiers épars, de post-it, d’emballages de bonbons, de notes d’Urssaf, de taxe pro et autres délices fiscaux qui embellissent la vie des entrepreneurs Français.

— Laisse faire, fit-il, écartant avec douceur la pauvre femme, dépitée.

Il essaya 1111, puis 2222, puis quand il tapa 3333… le chevillette tira et la bobinette cherra ! Jennifer s’empara de la poignée avec une hargne inattendue et tira la porte à elle. Ce qu’elle découvrit la stupéfia littéralement. Elle poussa un gémissement orgasmique comme en font les femmes qui simulent avec leur homme (elles en font toujours trop), tituba et chut au sol comme une merde. Elle était morte de joie.

Le regard de Lorenzo s’attarda sur le contenu du coffre, bourré à mort de biftons au point d’en dégueuler au sol, sur la pauvre épouse. Il estima la somme avec une précision diabolique, parce qu’on peut se foutre de tout sauf du fric.

Combien ça fait ? Je ne m’en rappelle plus. Mais qui s’en soucie ? Qui veut savoir ? En France on ne parle pas d’argent, c’est sale ! C’est inconvenant ! D’ailleurs personne n’en a et on s’en passe très bien !

Reprenons.

Lorenzo considéra la pauvre femme inanimée. La mort lui allait bien. De là à dire qu’elle avait trépassé avec classe, il y avait loin : elle était en vrac, on voyait même sa culotte. Misère. Mais cela laissait notre héros bien indifférent tant il était tourmenté par des pensées bien plus élevées.

S’était-il trompé toute sa vie avec sa conception cartésienne de l’existence, basée sur la logique, l’expérience, les faits ? Manifestement, oui ! Il leva les yeux au ciel ! C’était une illumination, la même qui avait saisi Pascal : Dieu existe ! Il est bon, il aime aussi Lorenzo ! Dieu est amour ! Amen !

Pour une fois les choses tournaient bien : contrat rempli et en plus, plein aux as. Le début d’une nouvelle vie, du bonheur ! Enfin ! Les derniers seront un jour les premiers… Un jour… C’était LE jour.

À l’évidence, il avait eu tort de croire que sa vie n’était que galère et misère, vie perdue, temps passé à souffrir, regretter, envier, maudire le poing en l’air. Il avait injustement accusé le ciel et il se repentait sincèrement : il ferait pénitence, c’était promis. Une larme se dessina au coin de l’œil… lui qui n’avait plus pleuré depuis… Qui pouvait le dire ? A-t-on le temps de pleurer lorsque les coups pleuvent sur ta face ? Seulement, voilà, pour celui qui est habitué aux coups le bonheur est indicible, quasi insupportable, il submerge tout, l’émotion est trop forte. Alors on chiale !

Pour la première fois de sa putain de life, Lorenzo était heureux. Des évidences, des réponses se bousculaient dans sa tête en ébullition, toutes les réponses à toutes les questions étaient là, devant ses yeux : Dieu existe, enfin il y a bien un truc qui supervise les événements, tu l’appelles comme tu veux. Le bonheur n’est pas dans le sexe mais dans le fric, les femmes ne font pas la joie de l’homme mais leur mort… oui !

Il touchait au sublime, la transcendance l’avait amené au niveau supérieur, le God mode des jeux vidéo. Il avait les cartes en main, toutes les questions existentielles avaient enfin une réponse, tout s’organisait en un agencement harmonieux. Le parfait était là à portée de main : ses doigts se crispèrent sur l’impalpable.

Une force incontrôlable le submergea et il poussa un cri terrible, le cri primal du premier homme sur cette putain de planète de... : YALLLAAAAAAA !

Le loulou tout content, qui léchouillait la face de sa maman inanimée, aboya gaiement et lui grimpa sur la guibolle tandis qu’il marmonnait : « je veux tout, c’est à moi, c’est pour moi, tout pour moi, pour Lorenzo, c’est mon tour de profiter ! »

Dans la vie, il faut choisir le côté obscur. Le Jedi est un imbécile qui perd toujours et finit comme Yoda en haillons à bouffer des racines. La racaille de Sith qui n’a jamais fait la moindre étude, ni lu un livre, a tout compris ! C’est la seule leçon qu’il faut apprendre, le reste n’est qu’enfumage pour les gueux.

C’est à ce moment, que se produisit un évènement terrible, ou plutôt un séisme : une main s’agrippait désespérément à sa cheville.

— Oh putain, qu’est-ce qui m’arrive ? balbutia Jennifer, se massant le front, se redressant péniblement, sortant d’un malaise vagal (spécialité féminine).

— Bah merde alors, t’es pas décédée ? Comment ce fait-ce ? Ça se peut pas ! Qu’est-ce que c’est que ce binz ! Mé naaaaaan ! T’as pas le droit !

Le destin te donne pour mieux te reprendre. À peine tu as mordu dans la pomme savoureuse qu’il faut te farcir la vie de couple et la bonne femme acariâtre ! Parce qu’elles sont toujours insupportables, frérot, n’en doute pas, tu vas en baver ta race !

Il y avait bien un Dieu et c’était un salopard qui se jouait de lui et n’était là que pour lui pourrir la life.

Incrédule devant une telle perfidie du sort, Lorenzo regarda Jennifer se relever en s’agrippant à lui telle une arapède. Comme toutes les femmes, attirée génétiquement par le fric, elle s’empara d’un paquet de biftons et les serra sur son sein, fermant les yeux avec délectation : elle mouillait sa culotte et cela ne lui était pas arrivé depuis très très longtemps.

Enfin elle se tourna vers Lorenzo, incapable de cacher sa joie et demanda :

— Tu ne vas pas me tuer, hein ?

— Putain, j’aurais dû ! J’étais à ça… À ça !

— Mais non. Qu’est-ce que tu racontes. T’es un mec bien toi. Aide-moi à ramasser le fric !

— Je prends ma part et je me tire.

— Hé ! Tu ne vas pas me laisser comme ça ! T’as pas le droit !

— Bah, si.

Lorenzo prit une liasse, hésita, en prit une deuxième (pour la route) qu’il fourra dans ses poches. Il était en proie à une déprime profonde et totale. Anéanti, dévasté, explosé, ratatiné, cassé…

Soudain, il n’avait plus la force de lutter. Il se laissa choir au sol, adossé au mur du bureau, les yeux morts. Jennifer s’assit à ses côtés, le regardant.

— Bah qu’est-ce que t’as ? Tu pleures ?

— Laisse-moi !

— Tiens, prends en un peu plus, il m’en restera bien assez. Un tueur qui tue pas les gens… Tu dois pas rouler sur l’or.

— Je suis un artiste ! Tu peux pas comprendre… N’essaye même pas… Mais pourquoi je parle avec toi ?

— Mon pauvre… Tu fais pitié, tu sais...

— Ta gueule !

— Mais quoi… J’essaye de te réconforter, moi ! T’as l’air vachement mal...

— Tais-toi ! Tu comprends rien !

— Explique-moi…

— À quoi bon jouer une partie quand tu sais dès le départ que tu vas perdre… À quoi bon ?

— Mais de quoi tu parles ? C’est quoi le problème ?

— À quoi bon vivre, bordel, puisqu’on va mourir ?!

— Mais non ! On vit parce que la vie vaut la peine d’être vécue !

— Pff ! Connerie ! on vit parce qu’on a pas d’autre choix ! Et pis c’est tout !

— Tu délires. La vie est belle ! Regarde, je devais mourir aujourd’hui et je suis riche !

— Je m’en fous de toi ! Moi, moi et moi, on s’en fout de toi !

— Oh la la… Tu fais la grosse crise toi… C’est le fric qui te fais cet effet ? T’es en hypoglycémie…

— Arrête de parler !

Un silence se fit, pesant, dramatique. Jennifer regardait Lorenzo et le trouvait trognon, complètement barré mais trognon, d’ailleurs son loulou aussi aimait bien ce type et tout le monde sait bien que les chiens ne se trompent pas. Si !

— Tu veux que je te suce, fit-elle, soudain, d’une voix murmurée genre pub pour une voiture électrique que dans la vraie vie, jamais une femme parle comme ça.

Lorenzo fut frappé par la foudre et sursauta au point de décoller les fesses du sol.

— Tu me dis quoi ?

— Bah, tu veux que je te suce… Ça te fera du bien, ça te détendra. Laisse-moi faire…

— Comme ça tu parles à un type que tu connais même pas ? Mais t’es complètement malade ma pauvre fille !

— Mais quoi ? C’est rien ! Une fellation… Il n’y a pas de mal à se faire du bien, non ?

— Silence, la vilaine ! Va t’asseoir plus loin !

— Mais enfin… T’es timide, toi, mon chou.

— Va t’asseoir là-bas… À sept mètres !

— Il est fou ce mec ! Tu sais, te vexe pas, mais faut vraiment que tu changes de métier. C’est pas fait pour toi ce genre de vie. Tu te mets dans des états pas possible. Mon cousin Julien...

— Tais-toi ! Je veux plus t’entendre ! Dans quel monde on vit qu’une femme veut te sucer à peine elle te voit ! Mais si je dis le quart de la moitié du tiers à une meuf, je vais en ‘zon ! On me dilapide dans la rue, on met ma gueule sur les réseaux comme prédateur… Et toi...

— Bah, c’était pour t’aider, je suis compatissante, moi, je m’intéresse aux autres, moi. T’es complètement à la ramasse mon pauvre… T’aime pas les filles c’est ça ?

Lorenzo considéra longuement Jennifer, tout en opinant du chef.

— Je comprends pourquoi ton homme voulait ta peau, le pauvre, je le plains Patato.

— Dis pas des choses pareilles. Tu me fais de la peine. Moi qui suis si gentille… Pourquoi t’en fait toute une histoire, tu sais, au fond, une queue c’est comme une grosse saucisse, si on y pense…

Lorenzo éclata de rire et Jennifer avec lui, tout en prenant le selfie qui va bien. Il se releva et l’aida à en faire autant.

— Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ? demanda-t-elle.

— Le tordu va envoyer Gaspard ou Bachir, enfin un autre mec. Tire-toi d’ici, prends le fric, refais ta vie, parce que sinon ça va chauffer pour toi. Les autres seront pas des artistes.

— Mais non ! Pas d’accord ! C’est chez moi ! Ma maison ! Pas question.

— Toi qui vois.

— Tu dois m’aider !

— Je dois ? En quel honneur ?

— Tu auras ma mort sur la conscience !

— M’en fout ! J’ai mes problèmes… Pas le temps pour les tiens.

— Oui, je sais, toi, toi et toi ! Que toi qui comptes, s’indigna Jennifer.

— Dans la vie c’est chacun sa merde !

Jennifer le regarda avec les yeux brillants du cocker triste. La salope avait toutes les expressions des héroïnes de télé réalité. Manipuler les hommes c’est dans les chromosomes des femmes : il n’y a rien à faire. Inéluctable.

— Appelle ton homme. Dis-lui que tu sais tout de Denis le tordu et du contrat et qu’avec le fric tu vas payer le tueur. Enfin un truc du genre. Le marchand de patates va se déballonner.

— Tu crois ?

— Un mec qui collectionne les miniatures de voitures ? Sérieux ? Beurre-lui la tartine, il pensera à autre chose.

Jennifer méditait, tout en dodelinant du chef.

— Je ne sais même pas ton nom… fit-elle, moi c’est Jennifer.

— On s’en fout.

— J’ai besoin de savoir… Tu m’as sauvé la vie quand même… T’es pas sociable, toi !

— Fabrice.

— Tu t’appelles Fabrice ?

— Bah ouais.

— T’as pas une tête à t’appeler… Enfin… Après tout… Moui… Fabrice, merci.

— De rien. Je me casse.

— Attends…

— Quoi encore ?

— Tu as déjà tué quelqu’un ?

— Bah ouais. Plein de fois. Je suis un pro !

Jennifer ne put s’empêcher de sourire, manifestement pas convaincue.

— Et tu dis la vérité de temps en temps ?

— Jamais. Tcho !

Elle le suivit jusqu’à la porte d’entrée, pensive.

— Tu es marié, Fabrice, tu as une femme dans ta vie ?

— Nan !

— Pourquoi ?

— J’ai un problème avec les femmes. Elles m’aiment pas ! De toute façon, j’ai la tête d’un mec en couple ? Non mais sérieusement ! Tu trouves que ma vie est pas assez compliquée comme ça ?

Arrivant dans l’allée, jusqu’au portillon.

— Dis Fabrice, je te reverrai ?

— Mais nan !

— Et si j’ai besoin de toi ?

— Appelle la police, ça sert à rien vu qu’ils sont pas là pour protéger les citoyens mais pour maintenir le pouvoir en place, mais ça te soulagera. Oublie-moi ! Tu me connais pas, tu m’as jamais vu ! J’existe pas !

— En fait, je comprends mieux pourquoi les femmes t’aiment pas ! T’es pas aimable !

Lorenzo se retourna et considéra Jennifer avec son demi-sourire. Enfin, il se pencha vers elle et lui baisa le front, ce qui la scandalisa. La seconde d’après il avait disparu.

Quoi ? C’est un salaud ? Je m’inscris en faux ! Compte tenu des circonstances pouvait-il faire autre chose ? Est-ce sa faute si les femmes ne l’aiment pas ?

Et d’ailleurs, je vous rappelle qu’il n’avait pris ce contrat que pour rendre service à Fabrice ! Aidez les autres et voilà comme on vous remercie !

Par dessus tout, il avait ses problèmes et personne ne prenait la peine de s’en préoccuper. Personne ! Parce que quand tu as besoin d’aide… Pfff !

C’est ainsi qu’après avoir traîné sur le retour, tout pensif, désabusé, morose en un mot, il arriva au repère. Ce qu’il découvrit le stupéfia.

Mais ceci est une autre histoire…

Hein ? Quoi ? Bah faudra lire le chapter suivant, frérot ! T’es pressé ?

Bzzz !!!

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