chapitre 7
Je m'étais levée plus tôt ce matin-là car je voulais profiter un peu de Pégase avant mon cours "d'éducation à la civilisation" (comprenez : j'avais rendez-vous avec Apollon pour apprendre une dance tribale d'un peuple dont je n'arrivais même pas à prononcer le nom sans faire au moins trois fautes). Je me dirigeais donc vers la vaste plaine bordant le temple d'Athéna où le magnifique dieu-cheval aimait paître. J'étais presque arrivée lorsque, au détour du bosquet de cerisiers du Japon, quelqu'un m'attrapa par le col et m’entraîna de force vers la caverne qui se trouvait quelques dizaines de mètres sous le promontoire d'Athéna. J'essayai toutes les techniques de dégagement qu'Arès m'avait apprises mais en vain. A peine avais-je pu ennuyer le colosse, qui avait fini par me jeter en sac à patates sur son dos. Très valorisant... J'arrêtai de gigoter en vain et commençai plutôt à observer (merci Athéna...) : le gaillard était assez costaud, de taille moyenne, mais le plus étonnant était qu'il avait trois troncs !
- Géryon, murmurai-je, me souvenant de mes cours - terrestres cette fois -.
Le Géryon en question gloussa, ce que je regrettai puisqu'au lieu d'avoir une épaule dans le ventre, j'en avais deux. Bonjour la nausée.
- Que me voulez-vous, demandai-je d'une voix calme, une fois mon estomac apaisé.
- Oh moi rien, répondit-il d'une voix nasillarde qui faillit me faire éclater de rire. Mais elle, elle veut parler.
- Elle ? Ne me dites pas que c'est encore un sale coup d'Aphrodite, grognai-je en m'appuyant sur un coude (à moi) que j'avais bloqué entre deux omoplates (du monstre)
Le bouvier haussa les épaules et je cru que j'allais finir avec quelques côtes en moins. Heureusement pour moi, on arriva et il me déposa sans ménagement sur le sol. Hésitant entre vomir et partir en courant, je choisis une option transversale : l'ironie.
- Bien, merci pour ce chouette voyage, mais là faut que j'y aille.
-Pas si vite, résonna la voix haut-perchée de Madame Superficielle en personne.
Je soupirai et me tournai vers la grotte :
- Que faites-vous là Aphrodite ? Ce n'est pas vraiment un endroit où traîner.
La déesse sortit et je hoquetai devant son état lamentable : ses cheveux étaient sales et emmêlés, sa tunique point en meilleur état et son maquillage avait coulé. Je fus prise d'un accès de pitié : je ne l'aimais peut-être pas mais c'était une des pires choses qui pouvaient arriver à la déesse de l'Amour et de la Beauté. Je n'eus cependant pas l'occasion de m'exprimer car elle se jeta sur moi telle une furie avec une évidente envie de m'étrangler à main nues. Je sautai en arrière et m'écriai, choquée:
- Mais enfin que se passe-t-il ? Que vous arrive-t-il ?
- C'est de ta faute, sale petite garce ! Si tu ne m'avais pas ridiculisée, les autres me tiendraient toujours en haute estime !
Je l'évitai habilement, et lui demandai le lien avec son état.
- Pauvre cruche, éructa-t-elle. Ne sais-tu donc rien ? Je suis le ciment de la société et à cause de toi, personne ne croit en moi. Je deviens quoi moi alors ?
Je restai un court instant bouche bée : je m'étais souvenue d'une réflexion faite par Poséidon, quelques jours plus tôt. Un dieu tire son pouvoir de son attribut. Et celui-ci tire son pouvoir des croyants de toutes sortes. Mais si les dieux ne croyaient plus en la Beauté donnée par Aphrodite, elle perdait de facto toute substance, au propre comme au figuré !
- Mais comment est-ce possible ? Personne ne peut s'arrêter de croire en l'Amour et en la Beauté, soufflai-je.
Mes paroles semblèrent calmer quelques instants la déesse :
- Tu as osé mettre en doute mon apprentissage, et maintenant tous les dieux font pareil, gémit-elle. Regarde-moi ça, soupira-t-elle en montrant Junon se rendant au temple d'Athéna. Cette couleur de chiton ne va pas du tout avec ces chaussures. Et son maquillage lui rajoute trente ans !
J’acquiesçai en silence : il était connu et prouvé que la reine des dieux n'avait pas beaucoup de goût question vêtements.
Aphrodite se tourna soudain vers moi et ses yeux se plissèrent:
- Attrape-la et jette-la à Charybde.
Géryon m'attrapa (à nouveau) par derrière et je me débattis en hurlant à pleins poumons. Bon sang, dans un monde de dieux, on devait bien entendre ce genre de cris non ?
Malheureusement mes cris restèrent vains et je vis le bord de la falaise jumelle de celle d'Athéna se dessiner bientôt devant moi. Je me débattis de plus belle, mais rien à faire.
Je rageais intérieurement de mon incapacité à me dégager alors que l'à-pic se rapprochait de seconde en seconde.
- Athéna ! Poséidon ! m'époumonai-je, en vain.
J'au alors une idée, la plus stupide, sans doute, mais la seule qui avait une chance de me sauver : l'insulte.
- EEEEH, ZEUS ? T'ES QU'UN STUPIDE BOUFFON IGNARE ET GROS ! ET TOI POSÉIDON, VA TE NOYER AVEC TES POISSONS GLAUQUES ! ET TOI, ATHÉNA, TOUT LE MONDE SAIT POURQUOI T'ES VIERGE : PERSONNE NE VEUT DE TOI !!
Je sentis même ce stupide Géryon hésiter devant de tels sacrilèges, mais au mois cela eut l'effet escompté : je vis presque aussitôt trois silhouettes se matérialiser entre mon ravisseur et moi et la falaise.
- Comment oses-tu ? rugit Zeus, déjà prêt à me foudroyer.
Les yeux furieux d'Athéna me firent regretter mes paroles mais avant que j'eusse pu dire quoi que ce soit, ses yeux dérivèrent vers Géryon -qui me tenait toujours-, et elle retint le bras de Zeus juste à temps.
- Attend père, je crois qu'il y a méprise. Regarde bien.
Zeus fixa le groupe et tilta dans la seconde, suivit de Poséidon. Et la colère couvant dans le regarde de ce dernier changea de cible, en se décuplant.
Le bouvier à trois corps, comprenant (enfin) ce qu'il se passait me lâcha aussi sec. Je courus dans les bras d'Athéna, pleurant comme une gamine, tellement mes sentiments, de peur puis de joie, avaient fait yo-yo.
Géryon voulut ouvrir la bouche pour s'expliquer mais Poséidon le visa avec son trident et il se tordit de douleur pendant quelques secondes. Puis il se transforma en flaque d'eau, qui s'évapora. Je sentis alors la caresse glaciale révélatrice de la présence d'Hadès, dieu des Enfers. Il nous regarda :
- Qu'ai-je encore manqué ?
Les adultes se tournèrent vers moi et Athéna me repoussa tout doucement, m'enjoignant du menton à expliquer la situation.
- Aphrodite, commençai-je, elle...
Encore une chose que je ne pu jamais finir car à ce moment, l'interpellée arriva et me lança une énorme boite de fard à paupière, dans le mètre cinquante de diamètre. J'essayai de bouger mais la boîte m'atteignit en plein flanc et je trébuchai. Je me sentis alors perdre l'équilibre, et basculai. Je ne hurlai même pas, tellement la terreur m’enserrait. Je fus retournée par les vents et vit les rochers constituant la gueule de Charybde s'approcher à grande vitesse.
Annotations
Versions