Chapitre 2 - L'adolescence
L’adolescence. Cette période est floue, confuse, instable. Celle où l’on commence à se regarder autrement, à chercher des réponses, à se comparer, à douter. Celle où l’on veut plaire, être acceptée, être vue — parfois à n’importe quel prix.
Je me suis cherchée. Beaucoup. Dans les regards des autres, dans des vêtements trop grands ou trop courts, dans des silences mal compris, dans des mots qu’on n’aurait pas dû me dire. Je me suis comparée. À tout le monde. Tout le temps. À celles qui semblaient mieux, plus jolies, plus sûres d’elles. Et à force de me comparer… je me suis oubliée.
Il y a eu des moments où mon corps n’a pas été respecté. Des moments où j’aurais voulu crier "non", mais où je ne l’ai pas fait. Où je ne savais même pas que j’en avais le droit. Et peu à peu, mon âme s’est abîmée. Pas en une seule fois. Mais doucement. Comme une lumière qu’on éteint, sans faire de bruit.
Je me suis éloignée de moi-même, et aussi de Dieu. Non pas parce que je ne croyais plus… mais parce que je ne savais plus comment Lui parler.
Parce que je ne me sentais ni digne, ni entière. Et pourtant, dans tout ce brouillard, il y avait encore quelque chose en moi qui criait doucement. Une petite voix. Un écho. Une flamme. Faible, vacillante, mais encore vivante.
Je me suis comparée. À tout le monde. Tout le temps. À celles qui semblaient mieux, plus jolies, plus sûres d’elles. Et à force de me comparer… je me suis oubliée.
Mes journées étaient rythmées par le lycée, entourée d'autres adolescents eux aussi un peu perdus, cherchant, comme moi, à comprendre qui ils étaient vraiment. Mais moi, je n’allais pas toujours en cours. Comme si fuir l’intérieur — des salles, des murs, de moi-même — était une façon d’exister autrement. Je ne prenais pas la vie au sérieux. Pas par rébellion. Plutôt par fatigue. Par abandon. Comme si ça ne servait à rien d’essayer. J’essayais déjà de grandir au cœur d’une famille qui, peu à peu, se déchirait. Et cette déchirure, je la portais en moi, comme un tissu qu’on ne recoud plus. C’était une période compliquée. Je me suis enfermée dans de mauvaises habitudes, des réflexes de survie qui, à force, sont devenus des prisons. Et ces prisons m’ont coûté cher. Ma santé mentale, surtout. J’étais là, physiquement présente, mais à l’intérieur, ça se vidait. Un peu plus chaque jour.
Au bout de quelques années, j’en ai eu marre. Marre de tourner en rond, de me faire mal, de m’oublier. Je voulais avancer. Guérir. Avoir foi en quelqu’un d’autre avant même d’avoir foi en moi. Comme si je cherchais un pilier à l’extérieur, parce qu’en moi, tout tremblait encore.
Alors j’ai cherché des réponses dans d’autres religions, d’autres façons de penser. Je voulais trouver une lumière ailleurs. Mais pas dans celle qui m’avait accueillie enfant. Pas dans celle que j’avais connue au début. J’avais honte d’elle. Honte de ce qu’elle représentait à mes yeux blessés. Alors j’ai tout fait pour trouver mon bonheur ailleurs.
J’ai essayé d’éviter le plus longtemps possible celui qui avait toujours été là, derrière moi pour me soutenir, m’encourager, m’applaudir lors de mes réussites. Celui qui pardonne, qui aime et qui relève après les premières chutes. Celui qui donne la foi, la force et le courage d’avancer même dans les moments les plus sombres.
Je me souviendrais toujours d’un soir de Noël, en repas de famille, où j’ai ressenti un décalage énorme entre les membres de ma famille et moi. Ces mauvaises habitudes m’avaient tellement emprisonnée, que pour la première fois je n’avais rien à dire, et rien à penser. Le vide total. Aucune émotion, aucune envie.
Je me souviendrai toujours de ce soir de Noël. Un repas de famille, des sourires, des rires, des conversations à table. Et moi, là, assise parmi eux, comme étrangère à tout.
J’ai ressenti un décalage énorme, un vide entre eux et moi. Pas un vide qu’on peut combler avec des mots ou des gestes — un vide silencieux, invisible, mais lourd.
Ces mauvaises habitudes m’avaient emprisonnée si fort, qu’à ce moment précis, je n’avais rien à dire. Rien à penser. Le vide total. Plus d’émotions, plus d’envies. Comme si quelque chose en moi s’était figé.
Par anxiété, par peur, par besoin de respirer, je suis sortie prendre l’air. Dans le froid de décembre, sous les guirlandes de lumière, je me suis effondrée. Un de ces pleurs qui ne demandent pas la permission, qui viennent du fond, du trop-plein, ou du trop-vide.
Et c’est là que ma mère est venue. Elle a essayé, tant bien que mal, de comprendre ce qui se passait derrière mes larmes.
Mais comment expliquer l’indescriptible ? Alors j’ai juste dit, en pleurant : "Je suis différente. Je ne ressens rien. J’ai l’impression d’être un extraterrestre. J’y arrive pas.”
Et c’était vrai. À ce moment-là, je n’y arrivais plus. Plus à prétendre, plus à participer, plus à faire semblant d’aller bien.
Cette nuit-là, quelque chose s’est fissuré. Pas une grande révélation, pas un miracle. Juste une petite faille dans ce mur de silence et d’indifférence que j’avais construit autour de moi. Peut-être parce que j’avais enfin mis des mots. Peut-être parce que, pour la première fois, quelqu’un avait vu que je me noyais.
Rien n’a changé tout de suite. Je suis retournée à mes habitudes, à mes fuites, à mes doutes.
Mais cette phrase — "j’y arrive pas" — elle est restée en moi. Elle a résonné longtemps. Et si je n’y arrivais pas seule… peut-être qu’il fallait que je sois aidée. Peut-être que le problème, ce n’était pas moi. Peut-être que c’était ce que je portais, ce que je n’avais jamais appris à déposer.
Alors j’ai commencé à chercher. Pas de façon spectaculaire, non. Juste à ma manière : des vidéos sur le sens de la vie, des livres de développement personnel, des conversations qui n’étaient pas comme les autres. Je voulais comprendre ce qui clochait chez moi. Mais surtout, je voulais croire qu’il y avait encore un espoir. Et lentement, un désir est revenu. Pas encore la foi. Pas encore la lumière. Mais un appel. Un besoin. Une intuition. Comme si quelque chose — ou Quelqu’un — me soufflait doucement : “Tu n’es pas perdue. Reviens."
Mais au lieu de revenir à Dieu, j’ai cherché ailleurs. Dans quelque chose de plus mystérieux, de plus fascinant aussi. J’ai commencé à m’intéresser à la magie. Pas celle des tours de cartes ou des spectacles de scène, non — la magie comme on la voit dans les livres, comme celle qu’on murmure dans les forêts, ou qu’on met en scène dans les séries comme Charmed.
La magie blanche, la magie verte, la magie noire… Chaque type avait ses promesses, ses rituels, ses énergies. Et moi, j’avais besoin de croire en quelque chose. En un pouvoir, en un ordre invisible, en une forme d’espoir qui ne ressemblait pas à celle que j’avais connue enfant.
C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai commencé à aimer la lecture. Je me suis plongée dans les livres comme on entre dans un refuge. Je voulais comprendre. Apprendre. Je me documentais, encore et encore, sur les pratiques, les symboles, les bienfaits, les dangers aussi. Chaque mot me donnait l’impression de reprendre un peu de contrôle. Un peu de pouvoir sur ma vie, sur mon corps, sur mes émotions. Je voulais guérir, même si je ne savais pas encore comment.
À cause de mon passé, j’ai perdu foi en l’être humain. Je ne pouvais plus faire confiance à personne. Trop de blessures. Trop de masques. Trop de déceptions. Je regardais les autres avec distance, méfiance, parfois même indifférence. Comme s’ils appartenaient à un monde auquel je n’avais plus accès. Sauf ma mère. Elle, je la voyais. Elle portait aussi ses blessures, elle aussi avait traversé des tempêtes. Différentes des miennes, mais souffertes en parallèle.
À sa manière, elle vivait avec moi cette confusion.
C’était la seule présence humaine à qui je pouvais encore ouvrir un morceau de mon cœur.
Alors cette décision de me rapprocher d’un univers nouveau, de mettre ma foi dans quelque chose d’invisible, de mystique, ne me faisait pas peur. Au contraire. C’était presque rassurant. L’inconnu ne me trahissait pas et ne pouvait pas le faire. Il ne me jugeait pas. Il ne me forçait pas à parler, à me justifier.
Il me laissait expérimenter, croire, espérer, rêver.
Trouver la foi dans quelque chose de nouveau, c’était comme renaître sans avoir à tout expliquer. Comme poser mon cœur dans des mains que je n’avais jamais vues, mais qui semblaient douces et bienveillantes à la fois.
Malgré mes recherches, malgré les pratiques, les rituels, les lectures, je n’ai pas trouvé ce que mon âme cherchait tant. J’ai pourtant essayé. Encore et encore. J’ai cherché à obtenir, par la magie, ce que je n’arrivais pas à trouver dans la réalité. Des réponses. Du réconfort. De la force. De l’amour. Je voulais guérir. Je voulais réparer ce qui avait été brisé en silence. Et je pensais que le faire de cette manière, à travers ces voies mystérieuses,m’aurait permis d’y arriver. Mais il me manquait quelque chose. Une chaleur. Une vérité. Une présence.
Quelque chose de plus doux que le pouvoir. Quelque chose de plus profond que le contrôle. Parce qu’au fond, ce n’était pas un pouvoir que je cherchais. C’était la paix. Un abri pour mon âme fatiguée. Un regard qui ne juge pas. Une main tendue, même dans mes contradictions.
Peu à peu, en trouvant un moyen de reprendre contrôle de ma vie, j'ai commencé à sortir la tête de l'eau. Ce n'était pas facile, et ce n'était pas rapide, mais petit à petit, je suis parvenue à prendre un peu de distance. Je me suis remise à respirer. J'ai retrouvé le goût des choses simples. Les balades dans la forêt, par exemple. Il y avait quelque chose de magique, non pas dans une magie mystique, mais dans le calme que me procurait l'air frais, dans la douceur des arbres qui me parlaient en silence. J'ai commencé à apprécier ces moments-là, tard le soir, lorsque tout était tranquille, quand je m'installais sur le seuil de la porte du garage ouverte, regardant les étoiles qui brillaient, là, si proches, dans le ciel noir de la nuit.
J'ai toujours aimé l'endroit où ma mère habitait. Elle vivait bordée par la forêt, un peu à l'écart du monde. Il y avait un lac tout près, et cette paix étrange flottait dans l’air. Tard le soir, on pouvait entendre les grenouilles chanter, les oiseaux de la forêt, les criquets chantants dans l'obscurité… Tout ça, c'était la promesse d'un monde plus vaste, plus naturel. Il y régnait une certaine paix. Une paix que je n'avais pas encore trouvée en moi, mais que je commençais à comprendre, pas comme une solution, mais comme un chemin.
J’ai aussi découvert la méditation. Un moment où je pouvais vraiment être seule avec moi-même, sans fuites ni distractions. Un instant de calme, où je pouvais me poser, faire taire le bruit extérieur, et écouter ce qui se passait à l’intérieur, écouter cette petite voix, parfois hésitante, mais toujours présente. C’était une manière de retrouver le souffle, de me reconnecter à moi-même, à la paix que j’avais perdue. Les responsabilités, qu’elles soient professionnelles ou personnelles, ont également commencé à prendre un peu plus de place dans ma vie. C’était un chemin, certes exigeant, mais qui me permettait de reprendre ma place, de me sentir utile, d’être en mouvement, de participer à la construction, plutôt qu’à l’effondrement de ma personne.
Dans tout cela, j’ai trouvé un équilibre. Ni magie, ni illusion, mais une réalité qui, bien que parfois difficile, portait une certaine beauté. Une beauté qui ne venait pas d’une promesse lointaine, mais d’un travail constant, d’un engagement à m’améliorer, à guérir, pas à pas.
Pendant des années, j'ai enchaîné les saisons en restauration. Des petits boulots, certes, mais qui m’ont forgée, qui m’ont appris à me débrouiller, à tenir face aux horaires décalés, à gérer les pressions, les clients exigeants, les collègues parfois difficiles. Ce n’étaient pas des métiers prestigieux, pas ceux qu'on rêve d’avoir quand on est plus jeune, mais ils étaient ma réalité. Ils étaient un moyen de vivre, de respirer, de me reconstruire, même si chaque journée était une bataille. Certains diront que c'était une sorte de déviation, un écart par rapport à ce que j'aurais pu faire. Mais pour moi, c’était une façon de rester à la surface, de continuer, malgré tout, à avancer.
Je n'avais pas terminé mes études, je n'avais pas suivi le parcours "traditionnel". La scolarité m’avait échappé, comme un train que j'avais raté, et avec elle, l’espoir d’aller plus loin dans mes études, d'avoir un avenir brillant et valorisé. Je l’avais laissé passer, cette opportunité, comme si ce n'était plus possible. La route semblait tracée ailleurs.
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