Chapitre 5 - Le début d'une nouvelle vie
Un samedi après-midi pluvieux.
La pluie tambourinait contre les vitres comme pour me rappeler à quel point j’étais seule. Seule, comme les jours précédents. Seule avec mes pensées, mes regrets, mon vide. Je regardais le ciel gris et je me sentais aussi terne que lui. Il n’y avait plus rien qui m’animait. Plus d’élan, plus de rêve. Juste une envie constante de disparaître pour ne plus sentir cette douleur sourde qui me traversait du matin au soir.
Je ressentais un vide immense, un gouffre intérieur que je n’arrivais plus à combler. Tout ce que j’avais essayé de fuir me rattrapait. Tout ce que j’avais caché, nié, minimisé… revenait comme une marée noire.
Je ne voyais plus de porte de sortie. Aucune solution. Et tous s’ajoutaient les uns aux autres comme une montagne insurmontable.
Professionnellement, je ne m’épanouissais plus. Ce que je faisais n’avait plus de sens. Je me levais sans but, je traînais mes pas dans des journées vides de passion. Je ne me reconnaissais plus dans ce travail qui ne nourrissait ni mon cœur, ni mon esprit. Et je ne savais pas vers quoi me tourner. Comment rebondir quand on n’a pas poursuivi ses études, quand on doute de sa valeur, quand on a l’impression d’avoir manqué le coche ?
Je me disais : À quoi bon ? Je suis fatiguée. Épuisée de devoir tout porter, tout cacher, tout encaisser.
Je ne pleurais même plus. C’était pire que les larmes : c’était l’absence totale. L’absence de tout.
Alors j’ai pris la décision d’en finir.
Le geste fatal a été commis dans ce silence gris, ce samedi après-midi sans couleur. Ce n’était pas un cri, c’était un abandon.
Le point final que je pensais poser sur une vie que je ne parvenais plus à aimer. Je ne cherchais pas l’attention, ni à alerter qui que ce soit. Je cherchais juste le repos. Le silence profond. L’effacement.
Mais mon ex-conjoint est arrivé. Il a compris, il a appelé les secours. Et me voilà partie pour l’hôpital, entre les mains de ceux qui, sans me connaître, allaient tout faire pour me “sauver”.
Durant ce séjour, au milieu des murs blancs, des allers-venus de personnel médical, des silences pesants et des pensées encore embrumées… j’ai compris.
Ce que j’avais fait n’était pas la solution.
Ce n’était pas une délivrance. Ce n’était pas la paix que je cherchais. Ce n’était qu’un geste désespéré d’une âme qui criait à l’aide sans avoir trouvé d’autres mots.
J’ai compris que je n’étais pas à ma place, là, entre ces draps d’hôpital, branchée, surveillée, fragile au point de ne plus me reconnaître.
Mais malgré cette réalisation, malgré le fait que je sois encore là… la tristesse ne s’est pas envolée. La solitude non plus. J’étais vivante, oui. Mais toujours blessée, toujours vide, toujours seule au milieu de moi-même.
C’est peut-être là, justement, que le chemin de retour a commencé. Lentement. Dans ce constat amer mais lucide : Je ne veux plus mourir. Mais je ne sais pas encore comment vivre.
J’ai commencé à ouvrir les yeux.
Sur ma situation. Sur mon état mental. Sur ce que j’étais devenue à force de tout encaisser, de tout taire, de tout porter seule. J’ai regardé la vérité en face, et même si elle faisait mal, elle m’a réveillée. Je ne pouvais pas continuer comme ça. Je ne voulais plus vivre dans le flou, dans le vide, dans une existence sans ancrage ni direction.
Alors je me suis ressaisie.
Pas d’un coup. Pas comme dans les récits où tout change en une journée. Mais petit à petit. Un pas après l’autre. J’ai cherché un travail, et j’en ai trouvé un. Ce n’était pas un métier de rêve, ce n’était peut-être même pas ce que j’avais imaginé pour moi… mais c’était une première marche. Une preuve que j’étais encore capable. Que j’étais encore là. Que je pouvais encore bâtir quelque chose.
Et puis, j’ai ouvert les yeux sur mon avenir.
Je n’avais peut-être pas suivi le parcours « classique », pas poursuivi d’études longues, pas coché toutes les cases de la réussite telle que la société la définit… Mais j’étais encore là. J’avais survécu à l’insupportable. J’avais touché le fond, et je remontais. Lentement, avec pudeur, mais sûrement. J’ai commencé à me demander ce que je voulais vraiment. Pas ce qu’on attendait de moi. Pas ce que les autres pensaient être le mieux. Moi. Qu’est-ce que moi, je voulais ?
Et pour la première fois depuis longtemps, j’ai vu une porte s’entrouvrir. Pas grande, non. Mais assez pour laisser passer un peu d’air. Un peu d’espoir.
J’avais également pris une autre décision. Une décision qui, rétrospectivement, a été l’un des plus grands actes d’amour que j’ai pu poser envers moi-même : j’ai décidé d’aller parler à un spécialiste.
Je n’en pouvais plus de garder tout ça à l’intérieur. Toutes ces mésaventures accumulées, ces traumatismes lourds, ces douleurs plantées comme des épines dans mon cœur, ces souffrances que j’avais tenté de balayer, d’oublier, de supporter en silence. Il fallait que ça sorte. Il fallait que quelqu’un entende. Que quelqu’un m’écoute sans juger, sans interrompre, sans minimiser.
Les premières séances n’ont pas été faciles. Mettre des mots sur ce qui fait mal, c’est comme retirer un pansement qu’on a laissé coller trop longtemps. Mais j’ai tenu bon. Parce que, pour une fois, j’étais décidée à ne plus fuir. À regarder mes blessures en face. À apprendre à les comprendre au lieu de les camoufler.
Parler, c’était ouvrir une fenêtre dans une pièce étouffante. C’était respirer à nouveau, même si l’air était chargé d’émotions brutes. C’était sortir du rôle de la fille forte, de celle qui encaisse tout sans broncher. Là, dans ce cabinet, je pouvais être vulnérable. Et pour la première fois, c’était permis.
Ce chemin, je ne le parcourais plus seule. J’étais accompagnée. Soutenue. Et surtout : entendue.
Ce travail sur moi, cette parole que j’avais enfin libérée, a eu un impact profond.
Petit à petit, j’ai commencé à me redécouvrir. Ou plutôt, à faire connaissance avec une version de moi que je n’avais jamais vraiment regardée. Une version blessée, oui, mais aussi sensible, forte, courageuse… Une femme qui avait tenu debout malgré les tempêtes, même les plus silencieuses.
En parlant, j’ai compris que tout ce que j’avais vécu n’était pas une fatalité, ni une condamnation. Ce n’était pas non plus une honte. C’était mon histoire. Et mon histoire, même cabossée, avait le droit d’exister. Elle avait le droit d’être racontée. Elle méritait d’être entendue.
J’ai commencé à faire la paix avec certaines parts de moi. Celles que j’avais jugées, haïes, cachées. J’ai appris que je n’étais pas faible d’avoir souffert. Que je n’étais pas indigne d’amour parce que j’avais des blessures. Que mes réactions, mes silences, même mes erreurs, avaient eu une logique — celle d’une personne en survie.
Ce travail m’a donné des mots. Et avec les mots sont venus les compréhensions, les déblocages, les premières respirations un peu plus profondes. J’ai compris que ce n’était pas à moi de porter toute la misère du monde, ni de me punir pour des douleurs qui ne m’appartenaient pas entièrement.
Et au fil des séances, quelque chose de nouveau est né : un début de douceur envers moi-même. Une envie de me traiter avec plus de patience, plus d’écoute, plus d’amour.
J’ai compris que je pouvais devenir un lieu sûr pour moi-même. Que je n’avais plus besoin d’attendre que quelqu’un d’autre me sauve. Que je pouvais commencer, doucement, à me reconstruire… de l’intérieur.
Mais aujourd’hui, je sais que je mérite mieux. Non pas parce que j’ai changé qui je suis, mais parce que j’ai enfin ouvert les yeux sur ma propre valeur. J’ai cessé de croire que l’amour devait faire mal pour être réel. Que je devais me battre pour exister aux yeux des autres. Que je devais me plier, me taire, m’effacer pour être acceptée.
J’ai compris que la paix, la douceur, la sécurité émotionnelle… ce ne sont pas des luxes. Ce sont des droits. Et que moi aussi, j’ai le droit d’y goûter. De les accueillir dans ma vie. De les construire, pas à pas, avec patience et amour.
Alors j’ai fait de la place. J’ai laissé partir ce qui me tirait vers le bas. Je ferme maintenant les portes aux situations confuses, aux relations bancales, à tout ce qui me fait douter de ma lumière.
Après cette prise de conscience, s’en est suivi des améliorations, aussi petites soient-elles, mais qui signifiaient beaucoup pour moi. Comme si chaque geste, chaque pas en avant, venait confirmer que je reprenais doucement les rênes de ma vie.
Me lever un peu plus tôt pour prendre soin de moi. Dire non sans culpabiliser. M’éloigner de ce qui me pesait, même si ce n’était que par petites touches. Me choisir, un peu plus chaque jour.
Il n’y avait pas de grande révolution, juste des choix simples, portés par une volonté nouvelle : me respecter. Et c’est dans cette lente progression que j’ai commencé à me sentir vivante autrement. Sans cette agitation intérieure constante. Sans ce besoin de prouver. Juste… être. Exister, avec douceur.
Ces petits changements n’étaient pas anodins. Ils étaient les fondations d’une vie nouvelle. Une vie où je ne me trahissais plus.
J’ai commencé à être en paix. Pas une paix bruyante, spectaculaire. Une paix silencieuse, discrète, mais profonde. Celle qui s’installe quand on cesse de fuir. Quand on accepte d’habiter pleinement son corps, son cœur, son histoire.
J’ai voulu libérer mon âme des tourments, la délester de tout ce qu’elle portait depuis trop longtemps. Alors j’ai semé des graines de douceur là où régnait le chaos. J’ai commencé à jardiner. À mettre les mains dans la terre, à voir la vie surgir du silence. C’était comme réapprendre à faire confiance au rythme lent de la nature… et au mien.
J’ai aussi pris un pinceau, presque par hasard. Et sans m’en rendre compte, j’ai laissé mes émotions couler sur la toile. Sans règles, sans attentes. Juste l’envie de m’exprimer autrement, de donner une couleur à ce que je n’arrivais pas toujours à dire.
La musique m’a aussi tendu la main. J’ai commencé à l’aimer autrement. À en jouer, timidement d’abord. Puis avec le cœur grand ouvert. Comme si chaque note venait réaccorder une partie blessée de mon être.
Mais il y avait toujours une forme de résistance. Comme un écho tenace de mes anciens mécanismes. Mon esprit, trop longtemps aux commandes, avait du mal à céder la place. À laisser mon âme effacer, doucement, ce qui n’avait plus lieu d’être.
Je voulais bien faire. Trop bien, peut-être. Alors même dans ces activités qui auraient pu me libérer, je gardais un contrôle silencieux. Trop d’eau pour certaines plantes. Trop de soleil pour d’autres. Comme si inconsciemment, je cherchais encore à tout maîtriser, à faire « juste », à éviter l’échec ou l’erreur.
Avec la peinture, c’était pareil. Mon imagination, pourtant là, vivante, restait enfermée derrière les barreaux d’une exigence intérieure. Je ne pouvais peindre que ce que je voyais. Recopier un dessin ou une photo était ma manière de calmer le tumulte. De faire taire les voix qui me jugeaient, me comparaient, me coupaient de ma spontanéité.
Je le faisais pour retrouver la paix, et pourtant… ce besoin de tout contenir, de tout cadrer, me ramenait à mes chaînes les plus anciennes.
Ces résistances m’ont permis de comprendre une chose fondamentale : le contrôle, ce besoin constant de tout maîtriser, et ce manque de lâcher-prise… c’étaient les véritables prisons. Pas les événements extérieurs, pas les autres. Mais cette tension intérieure qui m’éloignait sans cesse de l’instant présent.
J’ai compris que si je voulais vraiment guérir, vraiment vivre, il fallait que j’apprenne à relâcher. À laisser faire. À faire confiance, un peu plus chaque jour. À l’invisible. À la vie. À moi.
Ce n’était pas facile. L’équilibre à trouver n’était pas un état fixe, mais un mouvement. Un jeu subtil entre volonté et abandon. Entre intention et accueil. Mais j’ai su que c’était sur ce fil-là que je voulais avancer : celui qui me permettrait enfin d’aimer la vie dans l’instant. Pas demain, pas quand tout serait parfait. Maintenant. Avec ses imperfections. Ses imprévus. Sa beauté brute.
Et à partir de là… quelque chose en moi a commencé à s’ouvrir.
J’ai recommencé à méditer. Pas pour devenir parfaite ou pour fuir mes pensées, mais pour leur offrir un espace où elles pouvaient simplement exister… sans m’engloutir. Focaliser ma respiration, revenir à l’air qui entre, qui sort. À ce battement simple de la vie en moi.
Pendant ces instants, j’apprenais à ne plus lutter. À accueillir. À me laisser traverser.
Parfois, je mettais un fond sonore — le murmure de la pluie, une musique douce, une rivière qui s’écoule. D’autres fois, c’était une voix bienveillante, dans une vidéo de méditation guidée, qui m’aidait à retrouver un peu de lumière au milieu du tumulte.
Ce n’était pas toujours facile. Il y avait des jours où le calme semblait inaccessible. Mais rien que le fait d’essayer, de me poser, de respirer… c’était déjà un acte d’amour envers moi-même. Une manière de dire à mon âme : « Je suis là. Je t’écoute. »
Et à force de ces rendez-vous silencieux, j’ai commencé à sentir un changement subtil. Comme si je dégageais enfin un peu de place, à l’intérieur, pour la paix. Tout cela était accompagné d’un encens et d’une bougie blanche. Comme une manière de sanctuariser ce moment. De dire à l’univers, à Dieu, à la Vie : « Je suis prête à me relier. À recevoir. À déposer. »
À cette période, la magie était encore un peu présente dans ma vie. Une magie douce, discrète, mais bien réelle. Celle qui murmure que tout est connecté. Que les gestes que l’on fait dans le silence peuvent résonner dans l’invisible.
Alors je faisais en sorte que cet instant ne soit pas seulement un exercice, mais un espace sacré. Je choisissais mon encens comme on choisit un compagnon de route : lavande pour l’apaisement, sauge pour la purification, bois de santal pour l’ancrage. Et cette bougie blanche, posée là, comme une flamme gardienne, témoin de mon intention de lumière.
Dans cet espace, je me sentais moins seule. Reliée. À mes ressentis. À mes ancêtres. À la terre. Aux énergies mystiques que je sentais vibrer au creux de mon cœur, même si parfois elles semblaient lointaines.
C’était ma façon à moi de prier. D’honorer ce que je traversais. Et de me rappeler que la guérison, c’est aussi une forme de magie.
Au fur et à mesure des méditations, la magie a peu à peu disparu. Ce n’était pas un départ brutal, mais un effacement naturel. Je ressentais, tout simplement, qu’elle n’avait plus sa place dans ma vie. Peut-être qu’elle ne l’avait jamais vraiment eue. Peut-être que je m’étais accrochée à cette sensation de liberté, à ce vent léger de possible que j'avais ressenti lors de mon premier rituel. C’était une liberté douce, éphémère, qui me permettait de me sentir reliée à quelque chose de plus grand, de plus vaste.
Mais au fond de moi, je savais que ce que je cherchais n’était pas dans l’extérieur, dans les symboles ou les rituels. C’était en moi, tout près, dans l’essence même de mon être. La véritable liberté n’était pas dans la magie des objets ou des gestes, mais dans la clarté de ma propre âme. Dans l’acceptation de moi, dans la paix qui s’installe lorsque l’on cesse de chercher ailleurs ce qui est déjà là, en soi.
La magie s’est transformée. Elle est devenue plus subtile. Moins visible. Mais plus profonde.
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