3 - Aubejade

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 La forêt d'Aubejade, avoisinant Auberrhilde ainsi que le ville fortifiée de Villeveïnys à son opposé, était associée à de nombreuses légendes. Pour les adolescents d'Auberrhilde, ces légendes étaient fictives et il n'y avait aucun danger à l'explorer. Charles et Émilien en avaient d'ailleurs fait leur passe-temps favori et, dès qu'ils avaient l'autorisation de quitter le champ, en fin d'après-midi, ils s'y réunissaient. Mais il leur arrivait de tomber sur des patrouilleurs armés de Villeveïnys s'ils s'aventuraient trop loin, et leur petite escapade s'était déjà terminée à la prison de la cité. Sur le chemin, le groupe serpentait entre les buissons par une ouverture étroite qui semblait avoir été formée par les passages répétés des deux habitués.

 Lucien n'allait pas souvent à Aubejade. Lorsqu'il partait du champ, il rejoignait sans même saluer les garçons son lieu d'étude des lettres. Il ne se souvenait quasiment plus du chemin pour rejoindre la cascade, tellement son dernier périple était lointain. Il observait autour de lui, tentant de se raccrocher à ses souvenirs pour savoir où ils en étaient. Les rayons du soleil, encore hauts dans le ciel, filtraient entre les feuilles vertes, offrant à la canopée une ambiance rassurante. Quelques rongeurs fuyaient à la venue du groupe : en tendant l'oreille, on les entendait entre deux mots prononcés par Charles. Lucien jeta un œil derrière lui et ses yeux croisèrent ceux d'Annie, qui regardait fixement devant elle, le visage rouge. Lucien lui dit :

 - Est-ce que tout va bien, Annie ?

Elle se mordit les lèvres et baissa le regard.

 - Oui, je vais bien, enfin tout va bien.

 Ce n'était pas prévu que Lucien soit du trajet, mais depuis qu'il avait rejoint le groupe, Annie le regardait avancer de dos et cherchait le moment opportun pour lui adresser la parole. Elle admirait en cachette ses cheveux châtains aux reflets platinés qui glissaient le long de sa nuque bronzée. L’envie de les caresser tendrement lui avait traversé l’esprit, mais ces pensées impures devaient être abdiquées, contraires aux dogmes du clergé. Derrière elle, Cathie faisait mine de ne rien comprendre à ce qui se tramait entre ces deux-là, en bonne religieuse, mais au fond, elle aussi voulait qu'ils finissent ensemble.

 - On est arrivé. Installez-vous sur le gros tronc là-bas, le temps que je fasse un feu, annonça Charles.

 Ils apperçurent enfin la cascade. Le bruit de l'eau coulant à flots apaisait les âmes, le décor était idéal pour établir un campement.

 - Tu avais dit pas longtemps, dit Lucien.

 - T'inquiète ! On sera rentré avant le crépuscule.

 - Mais c'est dans super longtemps ! Je dois être rentré pour 19 heures, et pense aux filles !

 - Nous on a dit 20 heures, dit Cathie.

 - Votre père nous suit depuis tout à l'heure, dit Émilien en pointant son index vers le chemin du retour.

 - Mais arrête de nous faire peur ! T'es trop bête ! lança Annie.

 Soudain, le ciel se couvrit de nuages noirs, faisant taire d'emblée les cinq adolescents. Ils ne croyaient pas aux légendes, et pourtant, un halo sombre les entourait, comme dans cette histoire de monstre dévoreur d'enfants. Annie s'évanouit et tomba sur sa sœur, qui la rattrapa de justesse, tandis que Charles commença à crier :

 - Tout va bien, ne paniquez pas !

 Une main s'échappa des ténèbres et attrapa Lucien par la gorge. Il eut à peine le temps de sortir un rouleau de son cartable et de le plier du bout des doigts. La lumière qui s'échappa de la calligraphie fit fuir l'assaillant, qui était armé jusqu'aux dents, semblable à ces soldats de Villeveïnys.

 - C'était quoi, ça ? s'écria Charles, témoin de toute la scène.

 - Qu'est-ce que tu lui as fait, imbécile de Lucien ! ajouta Émilien.

 - Donne-moi ce papier !

 Lucien se mit à courir, mais rapidement essoufflé, il abandonna et se fit voler le parchemin consumé.

 - Tu viens de quel pays, traître ? C'est quoi ton langage ? Comment ça se lit, c'te foutoir ?

 - Attendez, je vais vous expliquer ! haleta-t-il. J'ai essayé de vous en parler…

 - Un sorcier. C'est un sorcier !

 Sur le tronc, Annie retrouva ses esprits à ce moment précis, et demanda, perdue :

 - Lucien, comment il va ? Où sont les garçons ?

 - Il n'est plus des nôtres. Oublie-le, d'accord ?

 - Il est... mort ?

 De leur côté, les garçons débattaient. Charles, qui se trouvait en possession de la feuille, s'écria :

 - Comment tu as activé cette lumière, enfoiré ?

 - Je l’ai juste pliée ! C'est tout !

 Charles la plia de toutes ses forces, mais rien ne se produisit. Un sourire en coin se traça sur le visage de Lucien. Si seulement il savait que le sort était à usage unique...

 - Tu te moques de nous en plus ?

 - Tu l'as eue comment ? Réponds ! le secoua Émilien.

 Lucien resta silencieux.

 - Je suis sûr qu'il en a plein d'autres dans son sac.

 À ces mots, Charles se jeta à la gorge de Lucien et Émilien en profita pour lui prendre ses affaires. D’un coup, Annie, essoufflée, s'interposa pour défendre son protégé.

 - Rends-le-lui ! C'est pas à toi ! Voleur !

 - Reste en dehors de ça, petite !

 Émilien renversa le cartable du pauvre Lucien, qui se ruait de douleur sur le sol. Annie s'agenouilla à ses côtés et tenta de le rassurer en lui murmurant que ce n'était rien, mais le jeune homme avait le regard figé sur son sac. Si les deux idiots pliaient tous les parchemins en même temps, qui sait quel malheur s'abattrait sur eux...

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