11 - Piégé

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Lucien voulait disparaître afin de ne jamais être vu dans cet état. Son corps, son âme, plus rien ne semblait lui appartenir. Ses pas lourds se succédaient sur le sentier, la fatigue gagnait ses jambes. Il espérait ne croiser personne qu'il connaisse en chemin, mais d'un coup, un bras musclé l'attrapa par derrière.

-Dis-donc, Lucien. Tu t'es bien foutu de nous. Tu peux très bien marcher, beugla Charles à proximité de ses oreilles.

À ces mots, l'esprit de Lucien ainsi que ses pupilles se vidèrent. Il regardait le sol sans comprendre ce qui lui arrivait. Il s'apprêtait à mourir, acceptant son destin pour de bon.

-Charles. Laisse-le. Il n'arrive même plus à respirer.

-M'en fous ! Qu'il crève, avec ses cheveux doux et son air hautain, il m'agace !

-Désolé, Lucien… J'ai pas pu l'empêcher de te sauter à la gorge, dit Émilien, navré.

-Hein, Lucien, hein, tu sais tout c'qu'on a fait pour toi et pour ta gueule de singe ?

La victime se laissa tomber lourdement sur ses genoux. Toutes ses forces le quittèrent. Charles lâcha sa proie et s’éloigna, satisfait. Il fit signe à son ami de le suivre, mais Émilien s'accroupit et tendit la main au pauvre garçon gisant sur le sol caillouteux. Lucien attrapa sa main et se releva dans un élan douloureux. Il reprenait doucement ses esprits tandis qu'Émilien entama un long discours :

-Nous n'avons pas trouvé de traces du soldat noir, mais on a un indice, murmura-t-il à Lucien. On a couru jusqu'à Villeveïnys, et on a demandé aux gardes s'ils ne l'avaient pas vu. Ils ont bien ri, ils se sont moqués de nous, et ils nous ont bien fait comprendre que jamais une armure noire n'avait été vue dans la ville. Je l’avais oublié, mais leurs armures sont beaucoup plus claires que celles de ton agresseur. Elles sont argentées, presque blanches. Celui qui t'a attaqué en créant cette espèce de lumière noire... n'est pas de Villeveïnys. Mais ce qui est sûr, c'est que c'est à toi qu'il en voulait. Dis-moi la vérité. Tu n'aurais pas rencontré d'autres choses qui t'auraient semblé bizarres, récemment ?

Lucien resta muet, mais ses souvenirs de la veille se mirent à défiler dans sa tête. Le soldat sorti des ténèbres, sa douleur à la poitrine, ce symbole. Et, enfin, cette femme... Toute sa vie était devenue soudainement si irréelle et incontrôlable. Tous ces malheurs avaient-ils un lien avec la calligraphie ? Le jeune érudit avait la sensation d’avoir vendu son âme à quelque entité supérieure.

-Je ne sais pas, dit Lucien d'une voix faible, à peine audible. Je dois te laisser. Je dois aller à la bibliothèque.

-Je t'y emmène, si tu veux. Tu nous avais dit que tu nous apprendrais à écrire des sorts.

-Non. Un autre jour. Va rejoindre Charles.

-Tu es têtu. Même en étant malmené et blessé, tu veux tout faire tout seul. Tu me caches quelque chose, insista-t-il.

-Je vous ai tout révélé hier. Je n'ai plus rien à vous cacher.

-Je vais te croire pour l’instant, mais n'oublie pas ta promesse. Ou sinon… je risquerai d'être tenté de te dénoncer. Moitié complice, moitié traître, ça annulerait mon châtiment. Tu nous as bien foutus dans la merde avec ta magie. Maintenant, assume, et j'assumerai avec toi si tu le désires.

Émilien partit. Lucien se remit en marche en soulevant avec difficulté son lourd fardeau que constituaient ses parchemins imbibés d'encre. Son visage tourné vers le bas, il arriva devant la porte de derrière et lâcha son sac. Il posa délicatement ses deux mains sur la porte, prêt à en découdre avec la Vérité. Mais, au moment de la pousser, elle demeura aussi inébranlable qu'un mur de pierres.

-Ma clé ! s'écria le garçon.

***

À l'intérieur, la vieille bibliothécaire était nerveuse. Elle l'avait attendu avec impatience depuis l'ouverture des lieux, espérant qu'il tente de se faufiler par la porte principale.

-Cette voix… c'est un de ces satanés gamins, grommela-t-elle.

Elle se leva et se cacha derrière une étagère. C'était l'occasion ou jamais de connaître l'identité de ce vaurien et de le dénoncer à l'Église.

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