Magie - 1 - चंद्र
Si toute parole est action,
alors, toute parole est magie.
Tzvetan TODOROV.
À la fin du festin, le roi Liam se leva, imité par la reine et tous les convives, et porta un toast à la victoire de l’union des nations présentes dans leurs combats contre les Orcs. Des serviteurs débarrassèrent les tables ; une fois celles-ci vides, après avoir vérifié que personne n’était en contact avec elles, ils les faisaient disparaître ; prenant la même précaution, ils escamotaient également les sièges. Alors que six autres circulant entre les invités – lesquels se rassemblaient en petit groupe ou en couple – leur offraient des coupes en cristal de roche qu’ils proposaient de remplir d’hydromel, vin d’anis ou d’absinthe, hypocras, piquette ou clairet, contenus dans des buires.
J’observais avec curiosité de nombreux comportements de séduction, quand une scène surprenante se produisit. La Bandrui Maebd approcha de Bhediya, se mit à genoux devant lui, enlaça son cou et posa son front contre le sien. Tous et toutes suspendirent leurs gestes et leurs mots. Tétanisés, pendant plusieurs minutes nous regardâmes quelque chose qui dépassait notre entendement. Lorsqu’elle se releva, Maeb rejoignit Liam et Eileen. Nul n’osa l’interroger et mon compagnon fit très exactement comme s’il ne percevait pas mes questions. Les parades amoureuses reprirent. Quelques femmes me demandèrent si le loup accepterait qu’elles le touchent. Il répondit toujours par l’affirmative. Ces caresses furent furtives et craintives à l’exception de deux d’entre elles qui plongèrent profondément la main dans le pelage de Bhediya. Aucun homme ne formula semblable requête.
Plus tard, le couple royal convia Bhediya à se rendre sous les dômes afin d’y observer sur les représentations des ciels les prémisses du phénomène astronomique ; le roi précisa que tous étaient les bienvenus et invita ceux qui ne souhaitaient pas aller sous le dôme-est à quitter la pièce. Je les accompagnais bien entendu en qualité d’interprète de mon compagnon de voyage. Les hôtes, dans leur quasi-totalité, suivirent le mouvement – ou devrais-je dire : furent déplacés ? Car de mouvement, il n’y eut point. Nous étions dans la salle du banquet, je ressentis un léger trouble, nous étions sous le dôme-est.
Je réalisai aussitôt que la sensation de pesanteur consécutive aux plaisirs de la table avait disparu. Je n’eus guère le temps de m’interroger sur le comment de ce voyage, car Bhediya décida d’improviser un cours d’astronomie, que je dus bien sûr prononcer pour lui.
« Comme vous le savez, l’observation d’un mouvement a deux causes possibles. La première, la plus évidente : l’objet – par objet, j’entends tout ce que l’on peut observer, inerte ou vivant, matériel et immatériel. Bhediya disait donc, que la cause la plus évidente est que l’objet est en mouvement. La seconde, c’est que l’observateur est en mouvement tandis que l’objet est immobile. On parle alors de mouvement apparent, lequel est inverse au mouvement réel de l’observateur. La plupart du temps, un mouvement réel est concomitant au mouvement apparent.
La lune tourne autour de la Terre, laquelle tourne autour du soleil qui tourne autour du centre de notre galaxie, la Voie lactée.
Notre galaxie, comme les autres, est en mouvement. Mais les distances qui nous séparent des objets célestes extrasolaires sont telles que : bien que la vitesse de révolution de notre soleil soit sept – virgule quelque chose – fois plus rapide que celle de la Terre, la durée de sa révolution est deux cent vingt millions de fois plus longue. Tout cela pour vous dire qu’à votre échelle... Pardon, à notre échelle – Bhediya pense votre, mais je suis l’un des vôtres – ces mouvements ne sont pas perceptibles.
Seul le mouvement apparent des étoiles est discernable. Les observateurs que nous sommes subissent les mouvements de notre planète. La partie du ciel que nous voyons semble tourner autour de l’axe de rotation de la Terre. On nomme “équatorial” le plan perpendiculaire à cet axe. Chaque étoile devrait par conséquent se trouver à la même position chaque jour à la même heure, mais notre planète ne se contente pas de tourner sur elle-même, elle tourne également autour du soleil. »
À ce stade de l’exposé, bon nombre des auditeurs les plus éloignés des monarques s’étaient déjà éclipsés. Il faut bien reconnaître qu’un étrange phénomène régnait là comme ailleurs dans le palais, je ne saurais comment le décrire. Les hommes qui n’avaient pas de partenaire – habituelle ou dont il venait d’obtenir l’assentiment – tentaient d’en séduire ; certains s’affrontaient du regard. Il en était de même des femmes qui telles des tigresses, rôdaient à la recherche de celui à qui elles allaient accorder leurs faveurs.
Pour ma part, j’aurais volontiers déserté pour rejoindre celle dont le sourire m’avait ébloui, mais je dus enchaîner :
« Les étoiles semblent donc également tourner autour de l’axe de révolution de la Terre. On nomme “de l’écliptique” le plan perpendiculaire à cet axe. Le zénith de l’observateur parcourt la sphère céleste en se déplaçant d’environ un degré par jour. Chaque étoile devrait de ce fait se retrouver à la même position chaque année le même jour à la même heure, mais l’axe de rotation de la Terre subit un changement graduel d’orientation.
Pour comprendre ce mouvement, nommé la précession des équinoxes, raisonnons sur la moitié de cet axe. Ce demi-axe se comporte comme la génératrice d’un cône de révolution dont le sommet serait le centre de la Terre et le rayon de la base au pôle Nord, puisque c’est le ciel de cet hémisphère que nous avons sous les yeux. L’autre moitié de l’axe génère évidemment un cône opposé. J’ai pris le pôle comme base pour expliquer le mouvement, mais – bien que leur hauteur n’ait aucune incidence – ces cônes se poursuivent à l’infini. Ce qui nous intéresse, c’est la vitesse à laquelle l’axe de rotation de notre planète circule ; en l’occurrence, il ne parcourt qu’un degré en soixante-douze ans. Chaque étoile retrouve dès lors la même position dans notre ciel, approximativement tous les vingt-six mille ans. »
À ce moment de la présentation, il ne restait qu’une vingtaine de personnes dans la salle, dont celle avec qui j’échangeais des regards complices. Jamais je n’avais perçu ainsi le désir chez les autres. Bhediya poursuivit son laïus comme s’il ne remarquait pas la débandade de son auditoire. Je me demande, maintenant, si son discours n’était pas volontairement rébarbatif afin de nous faire fuir.
« Les étoiles semblent donc se déplacer principalement en sens inverse de la rotation de la Terre, donc dans le plan équatorial.
Les autres planètes de notre système tournent elles aussi autour du soleil. Pour des raisons que je vous exposerai plus tard, elles opèrent leurs révolutions dans le même sens et dans le même plan que la Terre, leur rotation s’effectue également dans le même sens (1). Le déplacement de chacune dans notre ciel est donc une combinaison de sa propre révolution et des mouvements de la Terre, essentiellement sa rotation. Les planètes ne se déplaçant pas dans le même plan que les étoiles, vous pouvez donc facilement les distinguer. Ce sont ces cinq objets qui suivent le soleil, la lune se situe actuellement dans l’autre hémisphère céleste, je vous invite à venir l’admirer sous le dôme-ouest. »
Saisissant l’occasion, la reine Eileen quitta les bras du roi, dans lesquels elle était pelotonnée depuis un bon moment, se dirigea vers moi, posa une main sur mon épaule et me déclara :
« Sajjan, veuillez nous excuser auprès de Bhediya, mais d’autres obligations nous appellent, nous sommes désolés de vous abandonner. »
Son sourire et le regard qu’elle échangea avec celle qui m’avait choisi démentaient ses paroles. Elle rejoignit le roi et tous deux disparurent.
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, les rares couples encore présents s’engagèrent dans l’escalier, ou appliquèrent la main sur un sigle de transport. Nous n’étions plus que trois, elle me prit par la main et m’entraîna vers l’escalier.
Les dieux seuls savent comment Bhediya réussit à teinter ses pensées d’ironie, mais le « bonne nuit ! » qu’il m’adressa avait une connotation grivoise.
Je viens de me réveiller et de me remémorer les évènements qui m’ont amené à le faire seul, courbatu, dans ce lit qui ressemble à un champ de bataille. J’aime les femmes, j’aime faire l’amour avec elles, mais là, depuis la fin du banquet, il y avait en moi un besoin impérieux, quelque chose d’animal, et manifestement tous et toutes le ressentaient. Le rut nous gouvernait.
Machinalement, je porte la main à mon oreille gauche. Une vague de panique déferle en moi, je cherche frénétiquement dans les draps, où est ma briolette ?
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Notes de celui que Chandra nomme Bhediya :
1) Dans cet univers divergent, le sens de rotation de Vénus ne s’est pas inversé comme il le fit dans le tien.
Il existe dans ton monde un lieu virtuel [ https://www.astronomes.com/carte-du-ciel ] qui permet de simuler les déplacements apparents des objets célestes, selon des progressions (ou régression) minute par minute ou journalière (à six vitesses différentes) pour tout point de la planète. Tu remarqueras que : plus tu es proche de l’équateur (latitude 0), plus le plan équatorial est proche d’une droite reliant l’est à l’ouest de ton hémisphère céleste. A contrario, plus tu es proche d’un pôle (nord latitude 90 ou sud latitude -90), plus le plan équatorial est proche de la circonférence de cet hémisphère céleste, il passe par les quatre points cardinaux.
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