Dans la clairière d'en folie
Ce soir-là, à une lune de l’équinoxe d’automne, la brise rafraîchissait la clairière. Bas sur l’horizon le soleil teintait de rouge orangé le lac dans lequel Mélusine pénétrait nue. De scintillantes vaguelettes léchaient sa peau, y laissant des écailles émeraude et or. Elle avait de l'eau jusqu'à la taille lorsqu’elle perçut sa présence. Elle se retourna, regarda vers l’orée de la sente qui sinuait à travers les halliers, y vit un halo qui se résorbait.
Sortie de l’onde sous sa forme anguipède, elle le distingua, il était noir. Venue du plus profond de sa nature même, une impérieuse urgence lui fit rejeter la reptation. En un spasme métamorphique – en moins de temps qu’il ne faut pour le prononcer – des ailes naquirent dans son dos, aussitôt elles claquèrent dans le vent. Dragonne⁽¹⁾, elle s’envola vers lui.
Le couchant enflammait les squames, brillants comme de l’onyx, du nāga qui se dressait devant elle. Ils s’empoignèrent, s’enroulèrent l’un autour de l’autre.
La brise tomba, la faune s’immobilisa, les oiseaux se turent, on n’entendait que la stridulation des écailles les unes contre les autres. Sur le dos du nāga, les mains de Mélusine découvrirent deux excroissances sur lesquelles elles se refermèrent. Vestiges ou ébauches ?
Leurs lèvres se trouvèrent, s’accolèrent ; les bouches s’ouvrirent, crochets repliés dans leurs gaines ; les langues bifides se mêlèrent ; les queues entrelacées glissaient l’une contre l’autre, invitation à l’accouplement.
Après que deux hémipénis du nāga eurent pénétré la fente cloacale de Mélusine⁽²⁾, seules leurs extrémités caudales ondulèrent.
La coïtation dura cinq heures, ponctuée régulièrement des cris perçants que poussait Mélusine lorsque les terminaisons nerveuses de ses hémiclitoris, stimulés par son partenaire, envoyaient de longs et puissants influx qui inondaient son cerveau faisant chavirer ses sens. Hurlements auxquels il répondait par des sifflements rauques, provoquant l’envolée de tous les volatiles des environs.
Sans qu’ils n’aient échangé un seul mot, alors que Mélusine regagnait la rive du lac, où elle creusa un trou dans le sable dans lequel elle pondit trois œufs, le nāga disparu dans un nouveau halo.
« COUPEZ !!!!!! C’est quoi ce bordel ? »
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Notes :
1) Comme je l’ai écrit en réponse dans l’annotation de Nicolas Raviere (Le conteur – 5, première mention du nom de Mélusine) son personnage est inspiré de l’héroïne du "Roman de Mélusine" de Jean d'Arras. Si vous ne le connaissez pas, en voici le résumé qu’en a fait Mathilde Grodet :
« Voici cette histoire, résumée rapidement, telle qu’elle se déroule dans le roman de Jean d’Arras. La fée Présine épouse Elinas, le roi d’Écosse, à la condition qu’il ne vienne pas la voir lors de ses couches s’ils ont des enfants. Mais lorsqu’elle accouche de trois filles, Elinas, fou de joie, oublie l’interdit et accourt la voir. Elle disparaît alors avec ses enfants : Mélusine, Mélior et Palestine. Plus tard les trois filles décident de se venger de leur père et l’enferment dans une montagne. Lorsqu’elle l’apprend, Présine les maudit : Mélusine est condamnée à se changer en serpent tous les samedis. Toutefois si un homme l’épouse et accepte de ne pas la voir ces jours-là, elle deviendra une femme comme les autres. Mélusine rencontre Raymondin et l’épouse en lui faisant jurer de ne pas chercher à la voir le samedi. Le couple est heureux : la fée construit des villes et des châteaux et donne à Raymondin dix garçons dont huit sont affligés d’une tare physique rappelant leur origine merveilleuse. Ils deviendront des personnages importants, certains seront même rois. Un jour, suivant les mauvais conseils de son frère, Raymondin épie son épouse au bain le samedi et l’aperçoit mi-femme, mi-serpent. Il se repend [sic] aussitôt d’avoir trahi sa promesse et se tait. Mélusine feint de ne pas le savoir et leur vie continue comme avant. Mais lorsqu’un de leur fils, Geoffroy à la grande dent, met le feu à une abbaye et brûle tous les moines y compris son propre frère entré dans les ordres, Raymondin s’emporte et en public accuse Mélusine, « tresfaulse serpente » d’être à l’origine de ce malheur. Mélusine est alors contrainte de disparaître et s’envole sous la forme d’un dragon. Elle revient cependant la nuit s’occuper de ses deux derniers enfants en bas âge. Raymondin quant à lui se retire dans un couvent. » [sic] (le soulignement est de mon fait)
Extrait de l’article de Mathilde Grodet Université Paris-Sorbonne (Paris IV) “Le secret de Mélusine dans les romans français et l’iconographie aux XIVe et XVe siècles” paru dans Questes, 16 | 2009 pages 64-83.
Illustration de la scène du départ de Mélusine.
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8a/M%C3%A9lusine.JPG
AnonymousUnknown author, Public domain, via Wikimedia Commons
Pour les curieux, en suivant le lien ci-dessous, vous trouverez la planche anatomique de Mélusine publiée dans "Créatures fantastiques Deyrolle" de Jean-Baptiste de Panafieu. ☺
https://indipest.files.wordpress.com/2021/09/img_20210926_091303.jpg
En suivant celui-ci, vous verrez ma vision de la rencontre :
https://drive.google.com/uc?&id=1ST2ZX6P-Ol958GPlqPScRXxPbhB6hK4F
Mélusine d'après La Fée Mélusine publiée par Sylvie de Batz sur pinterest.
Le naga d'après Ламии яой (Lamia yaoi) publié sur PHONOTEKA.org
2) Dans ton monde, les squamates (lézards, serpents et amphisbènes [étranges bestioles fouisseuses]) n’introduisent que l’un de leurs hémipénis dans le cloaque de la femelle. Pendant ce temps le second se recharge pour le prochain accouplement.
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