Les aventures du dragon - 9 - Jaipur

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Candra Mahala ⁽¹⁾

La mahārājñī Dalaja entra sans se faire annoncer dans le salon du mahārāja Vijaya, brandissant une palme, qu’elle lui tendit en lui intimant de la lire.

Avec un soupir d’agacement, il saisit la missive (autant obtempérer, je gagnerais du temps) et déchiffra :

« Mahārājñī,

J’ai regret à vous informer que nous n’avons trouvé aucune trace de votre fils bien-aimé, le rājakumāra ⁽²⁾ Candra.

Malheureusement, je dois également vous apprendre qu’alors que nous chevauchions côte à côte, le beṭā ⁽³⁾ de la devadāsī, que vous chérissez comme votre pōtā, a disparu sous nos yeux.

Il ne s’est pas volatilisé instantanément. Il fut effacé comme s’il avançait dans une rue perpendiculaire à la nôtre et que l’angle d’un bâtiment le dissimulait à notre vue au fur et à mesure de sa progression. Or, nous ne nous trouvions pas dans une ville, mais sur une laie ; il ne se déplaçait pas sur une voie croisant la mienne, il trottait de conserve avec moi ; il n’y avait aucun obstacle entre lui et moi, autre que sa sœur Sudaroli, pour le soustraire à mon regard. Laquelle réagit avec promptitude, sautant du dos de Vijayinī sur celui de Rādhikā (qui suivait Gaḍạgaḍạāhaṭa dont on ne discernait plus que la croupe) ; cependant, tandis que la jument pénétrait ailleurs, la beṭī ⁽⁴⁾ de la devadāsī fut repoussée sans brutalité, mais avec fermeté (selon ses dires). Sans son exceptionnelle agilité, elle serait tombée derrière la queue dissipée de la Kāṭhiyāvāḍạī.

J’ose avancer deux hypothèses :

– Une divinité est à l’origine de cette disparition (ou plusieurs). Bienveillante ou malintentionnée ? Je ne saurais me prononcer.

– Le rājakumāra Candra s’est très probablement évanoui au même endroit. C’est en revenant de chez la personne, chez qui il s’était rendu après le dernier cours que le guru Vâtsyâyana lui ait prodigué, que se sont produits les évènements que je viens de vous relater.

J’ai marqué quatre arbres délimitant l’espace dans lequel le jeune Karuppu ṭirākaṉ nous a quittés. Après l’avoir vainement cherché, sa sœur et moi sommes rentrés à Banārasa, où elle a aussitôt pris la route pour Thanjavur, pour aviser sa mère de ce qui est arrivé à son frère.

Dès que j’aurai terminé la rédaction de cette lettre, je demanderai au rājā Ajātaśatru Kāśya, qui nous héberge, d’avoir l’obligeance de vous le faire porter par son messager le plus rapide.

Je vais mettre en place un campement sur les lieux de la regrettable mésaventure que je n’ai su éviter, et m’y installer, dans l’espoir de les voir réapparaître.

Veuillez pardonner mon impéritie, dans l’attente de vos ordres.

Le savāra Vari. »

Songeur, le mahārāja roula la feuille de palmier, la posa sur la table et prit les mains de Dalaja dans les siennes.

Vari est toujours aussi fin stratège, il écrit tout ce qu’elle veut lire “votre fils bien-aimé”, “que vous chérissez comme votre pōtā”. Il encense la petite : “sa prompte réaction”, “son exceptionnelle agilité”… on pourrait croire qu’il désire l’épouser ? Mais non ! Il met un baume sur la mauvaise nouvelle.

« Mon amour, que souhaites-tu que je fasse ?

— Je ne sais pas, moi ! Envoie des hommes à la recherche de ton beṭā et du sien, qu’ils tentent de les rejoindre là où ils sont !

— D’accord, je vais y dépêcher trente cavaliers.

— Cent !

— Cinquante avec Bahādura à leur tête.

— Et des éléphants, les devatāoṃ seuls savent ce qu’ils devront affronter.

— Cela va considérablement les ralentir.

— La cavalerie n’est pas obligée de les attendre, ils la rallieront à Banārasa.

— J’en mobiliserai dix.

— Trente !

— Quinze ! Mais tout cela reste soumis à l’agrément d’Ajātaśatru, je ne peux expédier de tels détachements sur son territoire sans son autorisation.

— Mais ce n’est pas possible, cela va prendre une éternité.

— Je ne peux pas, il me faut également demander au rājā d’Āgrā pour traverser ses terres.

— Envoie un émissaire devant tes troupes, s’ils doivent contourner Āgrā, qu’ils le fassent. S’ils ne peuvent entrer en Banārasa, ils feront ce que tu auras résolu ! Si quiconque s’oppose à ce que tes soldats aillent porter secours à ton beṭā et ton pōtā, il t’appartient de décider, comment tu considéreras un tel affront !

— Tout doux, tigresse, aucun ne refusera que je porte assistance à Candra et à un protégé de la mahārājñī.

— Il faut des présents pour les brāhmaṇoṃ, pour nous concilier les devatāoṃ.

— Laisse la devadāsī s’occuper des devatāoṃ ⁽⁵⁾, n’est-elle pas l’épouse de Śiva ! Maintenant, retire-toi, je dois donner des ordres pour te donner satisfaction. »

Dalaja se leva, embrassa Vijaya et quitta le salon de celui-ci.

¤¤¤

Notes :

1) Candra Mahala चन्द्र महल ➢ Palais de la Lune.

2) Rājakumāra राजकुमार ➢ Prince.

3) Beṭā बेटा ➢ fils.

4) Beṭī बेटी ➢ fille

5) Brāhmaṇoṃ ब्राह्मणों (singulier, brāhmaṇa ब्राह्मण) ➢ brahmanes

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