Richard

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Lorsque son téléphone sonna, Richard retirait ses bottes boueuses après une longue marche dans la campagne. La communication avait été brève ; Adèle et Marceau arriveraient dès le lendemain par le train de 11 heures 08 et passeraient le week-end à Rions. Richard était content. Il avait besoin de se changer les idées et toute occasion était bonne à prendre.

En ce jeudi de mai, quelques rayons de soleil étouffés par de gros nuages blancs nimbaient le ciel d'une drôle de luminosité. Dans le jardin, la terre imbibée d'eau de pluie dégageait des senteurs printanières réconfortantes.

Richard était quelqu'un de sain. Depuis toujours, lorsqu’il avait un coup de blues, il se raccrochait à ses deux essentiels : le bavardage des hommes et le silence de la nature. Le grand air. L'odeur de la forêt. Le repas du dimanche. Le pépiement des oiseaux. L’apéro de fin de semaine. Mais ces derniers jours, il ne se sentait pas d'humeur sociable et n'arrivait à se détendre qu’au cours de ses promenades, confiné dans la bulle protectrice de son bureau ou concentré sur ses patients endormis. Avec son fils, ce serait différent. Il ne l'avait pas vu depuis plusieurs mois déjà et se réjouissait de sa venue.

Richard glissa ses pieds humides dans les charentaises tartan que lui avait offert Isabelle huit ans plus tôt et accrocha sa polaire au portemanteau. Un claquement net et régulier provenait de la cuisine, bruit caractéristique d'un couteau heurtant une planche à découper. Richard avança dans le couloir, s'appuya contre le chambranle de la porte et observa sa femme avec tendresse. Sur fond d'une émission de radio, elle avait comme à son habitude chaussé de larges lunettes de soleil pour émincer les oignons.

— Ça ne sert à rien... Tes lunettes. Tu finiras quand même en larmes... lança Richard, moqueur.

Un grand sourire aux lèvres, Isabelle leva la tête vers lui et essuya d'un revers de main ses joues humides.

— Ah, chéri, tu veux bien prendre le relais ? Quand est-ce qu'on inventera une technique vraiment

révolutionnaire pour couper ces horribles oignons sans pleurer...

— Je te l'ai déjà dit cent fois mais tu ne m'écoutes pas. Il faut mouiller la lame de ton couteau avant de les émincer. Point.

Isabelle leva les yeux au ciel, l'air de dire je la connais ta technique ça ne marche pas, posa son couteau en céramique sur le plan de travail et se dirigea vers le réfrigérateur d'où elle sortit une bouteille de Sauvignon.

— Alors, j'ai entendu ta conversation, Soso et Adèle viennent ce week-end ? Qu'est-ce-que je suis contente ! Marion sera là aussi, tu te souviens ? Elle nous prévient toujours à l'avance, elle. Pas comme son frère. Du coup, il faut que je finisse de corriger mes copies ce soir, je n'aurai pas le temps demain. Je ne sais pas trop ce qu'on va leur faire à manger, à nos petits parisiens. Remarque, il faut aller les chercher à la gare à quelle heure ? On peut toujours passer chez le boucher dans la matinée, s'il fait beau on fera cuire une viande à la plancha. Je vais regarder la météo, si c'est comme aujourd'hui, on fera un rôti...

Isabelle s'abandonnait parfois à un bavardage excessif. C'était pour elle un moyen de clarifier ses idées plus que d'engager une réelle discussion, aussi cette logorrhée replongea Richard dans un mutisme anxieux assorti de pensées agitées. Il s'installa à la table de la cuisine et décida de noyer son attention dans la montagne d'oignons qui attendait encore d'être émincée. Ses enfants seraient là demain, le temps d'un week-end.

Être le chef de famille, devoir afficher le visage de l'homme fort et protecteur qui ne se plaint jamais était depuis toujours la force de Richard dans les moments de doute. De cette incarnation, il puisait habituellement tout son allant, son énergie. Mais pas aujourd'hui, non. Avec culpabilité, il réalisa qu'en dépit de l'amour infini qu'il portait à sa famille, ou peut-être à cause de lui, sa femme et ses enfants semblaient être aujourd'hui un obstacle à son bonheur immédiat plutôt qu'un moteur. D'un coup, Richard sentit son humeur s'assombrir. Non, demain, les rires de Marceau, la joie de vivre de Marion et la bienveillance amusée d'Isabelle à leur égard ne le distrairaient pas.

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