Journal de Marion

2 minutes de lecture

09 mai 2018, prendre sa vie en main et démissionner.

Cher Journal,

Ce matin, je me suis enfoncé la putain d'aiguille de l'antivol dans le doigt, juste sous l'ongle. J'ai pissé le sang et vu le monde en gris. Depuis quatre heures, je ne faisais rien qu'accepter les colis de la collection automne/hiver 2018, c'est-à-dire les scanner un à un dans le stock virtuel. SS18, comme on dit dans le jargon. AW 18/19. C'est sans intérêt, mais le temps passe plus vite que lorsque je suis en boutique. Je sais que certains de mes collègues se sentent une véritable vocation pour le métier de « conseiller de vente », mais c'est loin d'être mon cas. Ma condition hiérarchique au sein de cette enseigne cotonneuse me permet tout juste de passer mes journées à dépoussiérer les meubles, antivoler les fringues et cirer les pompes des clients, au sens propre comme au figuré, tout en essayant de devancer des désirs dont ces derniers n'ont eux-mêmes pas la moindre idée. J'exècre ce boulot. L'équipe est sympa, c'est déjà ça. Sympa, sans plus. À l'image de l'enseigne. Classique, précieuse, sympa. Lisse, beige et un peu ennuyeuse. Entre vendeurs, nos échanges se limitent à la bonne technique de pliage des pulls et quelques arguments relatifs à la nécessité de positionner le manteau bleu canard près du jean blanc cassé. Bref, mon doigt lui pissait rouge et Camille, ma responsable, a appelé le SAMU puisque, comme elle me l'a notifié, c'est la procédure. J'aurais refusé d'alerter les urgences pour si peu si cela n'avait eu l'avantage d'écourter mon interminable journée. Quelques heures et un pansement plus tard, me voici chez moi. Je bois un thé brûlant à petites gorgées en regardant le doux soleil printanier jouer avec l'ombre des grands immeubles parisiens. Je noircis tes pages et je rêve en observant les platanes dorés. Je suis bien. J’ai envie d'une virée à New York, d'une expo de Tim Burton. J'ai envie d'un bain de mer salé, me damnerais pour du champagne, des sauts dans la rivière, une balade en forêt, le soleil brésilien, la plage. Je donnerais n'importe quoi pour plonger dans ce putain d'arbre face à ma fenêtre et effacer le décor parisien tout autour. Je veux un peu de magie dans ma vie. Du luxe, le vrai : du temps devant moi, du temps pour ne rien faire. Il y a des mots que je veux bannir de mon univers. Antivol. Brioche Dorée. RER A.

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