Richard

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Richard était assis à son bureau. Le déjeuner avait été long. Marceau, qui assurait d'habitude l'animation des repas, semblait tracassé. Cela avait eu un effet étrangement réconfortant sur Richard, qui s'était senti un complice de terne humeur, mais des conséquences désastreuses sur l'ambiance de table. Pour ne rien arranger, la discussion entre Marion et Adèle s’était réduite à du small talk très protocolaire. On avait toujours l'impression que ces deux-là s'étaient entendues de manière tacite pour ne jamais franchir la ligne invisible du convenu. Si l'insipidité de leur relation avait pu revêtir l'aspect d'une réserve bien naturelle deux ans plus tôt, après quelques semaines de fréquentation seulement, la situation était devenue gênante aujourd'hui, alors qu'elles s'étaient vues des dizaines de fois lors de repas et de week-ends en famille. Elles n'avaient vraiment rien à se dire et ne se côtoyaient jamais sur Paris, pas plus que Marion et Marceau, qui s'adoraient mais préféraient se retrouver à Rions. Richard se sentait un peu coupable de ne pas avoir soutenu Isabelle dans ses tentatives pour égayer l'atmosphère mais il avait eu l'estomac noué tout au long du déjeuner.

Il attrapa sa pipe préférée et son pot de tabac sur la bibliothèque de son bureau. Il savourait ce rituel presque anachronique d'après repas. Il aimait bourrer consciencieusement sa belle pipe, évaluer la douceur du bois en faisant glisser la surface lisse et ronde sous ses doigts, puis l'allumer cérémonieusement en exhalant une fumée âcre et épaisse qui embaumait la pièce. Il n'y avait qu'ici – et dans le jardin –, qu'Isabelle l’autorisait à fumer. Ce bureau était le domaine de Richard, son sanctuaire, le seul endroit où même sa femme ne pénétrait jamais.

Depuis plusieurs semaines, il se torturait. Claire. Il n'arrivait plus à l'oublier. Claire faisait les cent pas dans sa tête. Elle était toujours avec lui. Non, pas physiquement bien sûr, mais finalement cela revenait au même. Les problèmes avaient commencé deux mois plus tôt, à la réception d'un simple faire-part de décès.

Richard s’était longtemps demandé s’il devait se rendre à l'inhumation du père de Claire. Ses relations avec la famille Leconte étaient compliquées et fruit de longues années d’amitié entre les grands-pères de Claire et de Richard. André Leconte et Bernard Roussin s’étaient rencontrés en 42. L'horreur de la guerre et l'isolement aidant, ils avaient noué des liens indéfectibles. Les deux amis et leurs épouses avaient été inséparables jusqu'à leur mort. Richard se souvenait comme si c’était hier de sa première vraie rencontre avec Claire. Leurs parents respectifs étaient moins proches que leurs grands-parents ne l’avaient été mais se connaissaient depuis l'enfance. Pour les Roussin, les Leconte étaient une sorte d'extension familiale et réciproquement, de ces gens que l'on connaît depuis toujours, ni cousins ni amis mais une entité floue quelque part entre les deux.

Finalement, après des semaines de réflexion, Richard s'était rendu le 06 mars à l'enterrement d'Henri Leconte, sans en informer Isabelle.

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