Marceau

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Marceau était préoccupé. Il sentait Adèle prête à craquer. Il attendait avec inquiétude ce jour où elle lui dirait que son pays, sa famille et ses amis lui manquaient. Le jour où elle ne pourrait plus supporter d'être ici et voudrait repartir à Watford, lui laissant le choix entre la suivre ou pleurer. Seulement son travail, Marceau y tenait. Il était en train de construire sa carrière, il avait enfin ce job qui lui permettait de faire ses preuves, de bien gagner sa vie et d'étoffer son CV en prévision du futur. Comment pourrait-il tout abandonner pour partir en Angleterre ? La pluie et les murs de briques, très peu pour lui. Son truc, c'était plutôt les plages du Brésil. Non, décidément, le cœur de Marceau n'était pas à la noce. Il aimait plutôt bien les mariages, en tout cas il n'avait rien contre, même si aucun de ceux auxquels il avait assisté jusque-là ne lui avait laissé de souvenir impérissable.

Le problème des fêtes, c'est que tout le monde doit être joyeux, sinon c’est une fête ratée. Lui ne se sentait pas joyeux et devait le cacher. Après les discours de circonstance, certains invités galvanisés avaient plongé tout habillés dans la piscine. D’autres s’étaient regroupés autour du piano à queue blanc où un type qu'il ne connaissait pas jouait quelques morceaux.

Et puis, le repas avait été annoncé. Avec Adèle, ils s’étaient retrouvés à la table bâtarde, comme elle disait, celle des « jeunes du même groupe d'âge, à dix ans près, qui ne sont ni les témoins ni les meilleurs amis des mariés ». En gros, la seule table des gens qui ne se connaissent pas. Des individus souvent sympathiques, mais c’est un peu forcé, il faut sourire, apprendre à se connaître tout en sachant que l’on n’est presque jamais destinés à se revoir, ou peut-être, qui sait, lors d'un prochain mariage... Pour les invités, il y a toujours trop de monde dans ces cérémonies.

Un soir de Noël, c'était peut-être en 2006, Marceau vivait son premier chagrin d’amour. Il était triste. Personne ne le savait. Il n’avait pas eu le temps de présenter cette fille à ses parents, ni même de leur en parler qu’elle s’était déjà envolée vers un autre. Par élégance pour les convives, il avait joué la comédie de la fête, souriant, dansant, plaisantant. Il avait cru donner le change, mais certaines personnes sont plus douées que d’autres pour lire les états d’âme. Eustache, le frère d’Isa, qu’il aimait de manière inconditionnelle et considérait comme son oncle, s’était approché et assis près de lui sans le regarder. De but en blanc et sans attendre aucune réponse de sa part, il lui avait dit : « Tu sais, ça arrive de ne pas se sentir bien lors d'une fête. Quand tout le monde est heureux et rigole autour de soi, on peut se sentir très seul. » Cela lui avait fait énormément de bien à Marceau, d’entendre ça. D’un coup, il s’était senti plus léger.

Il n'y avait plus de vin sur la table. Le repas était bien avancé, les hôtesses rapatriaient les plateaux de fromage en cuisine, les convives étaient repus. C'est toujours à ce moment-là que le repas s'éternise, sauf si l’on va danser. C'est à ce moment précis, juste avant ou après l'arrivée de la pièce montée, que les animateurs de soirée doivent réchauffer l'ambiance pour éviter que les invités n'aillent se coucher trop tôt. Au bon timing, il faut trouver l'astuce pour que les gens se lèvent et repartent pour quelques heures de fête. Marceau se leva de sa chaise et annonça qu'il allait chercher du vin, autant pour boire un coup que pour échapper à la conversation mortellement ennuyeuse sur le prix des places de parking à Paris.

Légèrement ivre, il se dirigea vers la jolie dépendance où était entreposé l'alcool. Il lui sembla entendre du bruit dans la salle préposée au vestiaire. La voix de son père, qui devait discuter avec quelqu'un. En temps normal, Marceau aurait passé son chemin direction la cuisine, mais ce soir-là, sa douce ébriété associée à la perspective des bouteilles de bon cognac qu'il avait rangées près du frigo le matin-même lui donna envie de proposer à son père de s'en jeter un.

En s'approchant du vestiaire, Marceau réalisa, intrigué, que Richard chuchotait. Il avança encore de quelques pas, tendant l'oreille, jusqu'à ce que sa voix devienne nette, le discours audible : « … ne pouvais pas te répondre ! C'est le mariage d'Anthony. Non, le fils d'Eustache... Il y a des gens partout ici, ce n'est pas évident Claire. Toi aussi... Je vais venir passer deux jours avec toi. Moi aussi... Ce n'est pas évident. Moi aussi, je t'embrasse. »

Complètement hébété, Marceau entendit son père soupirer et réalisa qu'il venait de raccrocher. Mû par un réflexe idiot et la peur d'être découvert, il courut jusqu’aux toilettes, s'enferma à double-tour et s'assit sur la cuvette, tentant de recouvrer ses esprits. Son cœur battait la chamade, de colère ou de surprise, il ne savait pas. Il était bourré, il avait peut-être mal compris. Claire, LA Claire ?

Comment était-ce possible ? Depuis quand ? Son père ! Trahir Isa ? Les pensées se bousculaient dans sa tête. Isabelle n'était pas la mère de Marceau. Il ne pouvait même pas dire que c'était tout comme, il avait bien trop souffert de ne pas connaître sa génitrice pour que ce soit le cas. Mais elle l'avait élevé avec amour. Elle avait accepté sans restriction ce bébé de quelques mois qui était entré dans sa vie en même temps que Richard.

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