Vanille

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La mère de Marceau s'appelait Vanille.

Elle était très grande, brune, voluptueuse, sur les photos en tout cas. Elle avait vécu quelques mois seulement avec Richard, qui exerçait à l'époque la médecine à Paris. Elle était tombée enceinte, par accident ou par négligence, ça, Marceau ne l'avait jamais su. Ce qui était clair, c'est qu'il n'était pas attendu. Au départ, elle avait été enthousiaste. Un bébé, c'est mignon. Un peu plus compliqué à gérer qu'une poupée, mais ça, Vanille ne l'avait réalisé que quelques mois après sa naissance. Elle courait d'auditions en auditions, ne rêvant que de percer dans la musique, traînant dans les bars de Saint-Germain et de Montparnasse dans l'espoir de rencontrer des gens connus, artistes ou producteurs, qui lui donneraient sa chance.

Elle jouait de la guitare sur toutes les places touristiques de Paris, et de son charme dès qu'elle rencontrait quelqu'un susceptible de l'aider. Ses espoirs chaque fois déçus ne la faisait pas renoncer. Déterminée, artiste de rue le jour, mondaine la nuit, il n'y avait pas de place pour un berceau dans sa vie. Richard avait évidemment de quoi payer une nourrice. Le problème n'était pas là. Vanille ne se sentait pas responsable du bébé, incapable de donner à la baby-sitter une heure fiable pour le récupérer.

Richard gérait Marceau de A à Z, Vanille le câlinait quand ça lui chantait, c'était le cas de le dire. Elle avait vingt-trois ans, elle ne voulait pas se sentir entravée, elle n'arrivait pas à s'adapter au rythme d'une vie de famille. Parfois, entraînée dans l'une de ses interminables soirées bohèmes, elle rentrait 48 heures après avoir quitté l'appartement, sincèrement désolée d'avoir oublié de prévenir. C'était sa liberté, son libre arbitre, comme elle disait.

Le couple se délitait lentement. La mère voyait de moins en moins son gamin jusqu'à ce qu'un jour, un ami peintre lui propose un long voyage pour l'Amérique du Sud. Là-bas, il connaissait du monde. Vanille n'avait pas hésité une seconde. Elle avait embrassé son bébé sur le front, Richard sur la joue et était partie. Ce n'était pas qu'elle se fichât de Marceau. Elle n'avait juste pas la place, pas d'énergie à lui consacrer. Au début, Richard avait attendu, il recevait des nouvelles de temps à autre. Elle disait toujours vouloir rentrer. Et puis, il en avait eu marre de Paris. Avait-il jamais été amoureux de Vanille ? Pas vraiment. Elle avait été son pansement après Claire. Il ne savait même plus ce qu'il attendait. Alors, il avait pris son bébé qu'il chérissait plus que tout au monde sous le bras et arrêté d'attendre après cette femme, cette mère qui ne s'épanouissait que dans son rôle d'artiste. Il ne lui en avait pas tenu rigueur. C'était trop tôt pour elle.

Vanille avait beaucoup sacrifié pour essayer de se faire une place dans un monde machiste et hermétique : ses études, ses relations avec sa famille, une certaine idée du confort social et financier. Richard avait compris que quelles que soient ses motivations profondes et peu importe le fameux jugement moral que les gens portaient sur elle, chanter n'était pas important pour Vanille, mais essentiel, au sens d'essence vitale.

Il lui avait envoyé sa nouvelle adresse à Bordeaux et le numéro de sa ligne fixe ; elle n'avait jamais rappelé. Isa était entrée dans leur vie un an plus tard. Elle n'était pas la mère de Marceau mais l'avait élevé comme un fils, tout en laissant la juste distance pour le cas assez improbable, il fallait bien le dire, où sa génitrice referait surface, émergeant du néant. Marceau aimait Isabelle et se sentait blessé pour elle.

Il n'aurait jamais imaginé que son père, pour qui rien n'avait l'air de compter plus que cette famille qu'il avait enfin réussi à construire, puisse prendre le risque de tout bousiller. Encore moins à cause de cette fameuse Claire surgie du passé. Pour Marceau, Richard et Isa formaient un couple formidable. Il respira un grand coup. Se calmer. Ne rien tenter sur un coup de tête. Être intelligent, ne pas gâcher la fête. Garder ça pour lui, pour le moment, avant de réfléchir à tête reposée et trouver que faire de cette information. Surtout ne pas blesser Isa inutilement.

Encore sous le choc, Marceau sortit des toilettes et reprit le chemin du parc en oubliant la bouteille de vin.

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