Journal de Marion
29 décembre 2018, Desmurs, Eddy de Pretto.
Cher Journal,
Noël est passé, et avec lui mon anniversaire. « On ne va pas se mentir », comme disent les gens de la télé-réalité, anniversaire + fêtes de fin d'année ne donnent pas droit à deux fois plus de cadeaux. Les gens sont occupés par les préparatifs, ils n'en peuvent déjà plus d'enchaîner les réveillons et n'ont plus de tunes, alors j'avoue que je passe un peu à la trappe. Ça m'est égal. J'adore Noël. Donc, après ce mois interminable, le 24 décembre a fini par arriver. Il a neigé, un peu. Comme lorsque j'étais petite et “qu'il y avait encore des saisons.” J'ai mangé du foie gras en me demandant ce que faisait Karim. Où était-il ? Vaine question.
Cette année-là, les discussions des "grands" m'ont paru aussi chiantes et sans intérêt que lorsque j'étais petite et que je me demandais ce qu'ils y trouvaient de plus passionnant que de jouer à cache-cache sous la table. Le sapin trônait au centre du séjour, avec sa guirlande multicolore des années 80. Pas le sapin tout blanc et argent de notre époque chic et sobre, non, le vrai sapin clignotant de mon enfance, rose, bleu, vert, jaune, rouge. Même lui ne m'a pas émue.
Le jour du 25, j’ai passé l’après-midi à regarder des replays d’émissions sur le voyage. Avec ce présentateur qui te sort du « Derrière le décor de carte postale se cache une effroyable réalité » à toutes les sauces. En plus, Marceau n’était pas là, parti en Angleterre chez la grand-mère d’Adèle. On s'est envoyés un texto de merde pour se souhaiter Joyeux Noël. Dieu merci, je suis rentrée à Montmartre. Pour le Nouvel An, cette année, c’est Bruxelles entre filles. On a décidé ça sur un coup de tête, Zélie, Lolo et moi. Lolo car ça fait des années qu’elle est avec son mec, elle aime « prendre congé de lui », comme elle le dit avec humour, et Zélie car elle a fait le deuil de Monsieur Connard et se sent prête à « revivre » (entendre « draguer »).
Journal de Marion, 1er janvier 2019, et la nouvelle année.
Cher Journal,
Je t’écris de ma suite à l’hôtel Marivaux de Bruxelles. Si tu veux mon avis, ce devait être un 4 étoiles dans les années 70, et pour économiser de grands frais de rénovation, on l'a transformé en hôtel pour conférences et séminaires d'entreprise. La déco est très vieillotte, dans son jus, mais on a une super baignoire et des échantillons Nuxe. C’était chouette, la soirée du Nouvel An.
J’ai bu des bières et mangé indien. Le digeo et une coupe de champagne nous ont été offerts, on a eu l’autorisation de fumer à l’intérieur du restaurant et on est montées à l'étage pour trinquer avec les cuisiniers (oui, bizarrement les cuisines étaient à l’étage), car nous étions les trois dernières clientes. On a dansé sur les tables d’un établissement dans lequel les bartenders étaient torses nus, puis nous nous sommes retrouvées dans un « bar maison » très sombre et circulaire qui passait de la vieille variété et dans lequel chacune des pièces, alcôves et escaliers accueillaient les clients pour un verre sur des fauteuils vieillots et confortables, à la lueur des bougies. On se serait crues chez mamie. Enfin, on est allées dans le célèbre bar qui propose le plus de bières au monde, ou presque. Couchées 7 heures.
Lolo nous dit que, normal, elle peut faire caca la porte ouverte sur le salon où son mec regarde un film, que même si c'est un film pourri c'est plus facile de le regarder que de se dire « Chérie, ce soir, tu revêts ta plus belle robe de soirée juste pour moi, parce qu'on va se faire un bel apéro sur la terrasse, oui juste là, chez nous, avec un bon vin blanc bien cher qu'on va apprécier pendant des heures en discutant, en se découvrant, en cherchant à apprendre ce qu'on ne sait pas de l'autre ». Elle dit que c'est ça, la routine, c'est être avec l'autre comme avec soi-même, en fusion. On peut être malade en jogging devant lui et ça c'est cool, mais le désir en prend un coup, et c’est aussi de plus en plus dur de faire l'effort de croire, le temps d'une soirée, qu'on se rencontre pour la première fois, histoire de raviver la flamme... Elle dit que le jeu de rôle, le fait de se déguiser, ça aide.
Ai-je envie de devenir un couple, dans le fond ? Est-ce que je veux sacrifier la liberté, la liberté de désirer, la liberté de désirer le changement, au profit de la sécurité et de cette assurance d'un regard bienveillant sur moi ? Est-ce-que j'attends vraiment celui qui me connaîtra enfin parfaitement ? Est-ce-que quand il sera là, disponible pour moi, mon envie de liberté de m'étreindra pas de nouveau pour vouloir tout recommencer ailleurs, avec un autre ? « En amour, il n’y a que les débuts qui soient charmants, c’est pour ça qu’on prend plaisir à recommencer souvent », dit toujours oncle Eustache. Une citation sortie de je ne sais où. Est-ce-que je veux des très hauts et des très bas dans ma vie, seule, ou est-ce-que je préfère une ligne moyenne, sans grandes tristesses ni grands frissons ? Est-ce-que voir le bout du chemin, certes paisible, n’est pas plus angoissant que d'attendre une surprise de chaque lendemain ? La vie, c'est comme une boîte de chocolats, nous dit Forrest Gump. Est-ce-que Lolo n'a pas l'impression d'avoir déjà mangé ou vendu la boîte ? C'est un peu la question que je me pose quand elle nous raconte ses soirées, sa vie, où seuls ses amis semblent aptes à lui rendre ce battement de cœur un peu plus intense que les autres.
Et pourtant, moi, je voudrais aussi tellement vivre cet amour platonique et quotidien avec toi, Karim. J'aimerais m'ennuyer avec toi, en sécurité, en sachant que tu ne me largueras jamais. Je voudrais qu'on soit un couple. Qu'il n'y ait que mon odeur dans ton lit. Que tu vives avec moi, loin de cette Natalia qui avait l'avantage d'être à deux pas de toi.
07 janvier 2019.
J'ai trouvé un petit paquet kraft dans ma boîte aux lettres. À l'intérieur, la culotte Petit Bateau laissée chez toi, lavée, pliée, et un petit mot. Tiens, je te rends ce je t'aime que tu as laissé sur le plancher. Je ne t'ai rien répondu. Tout était dit.
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