Richard
Quand il était rentré du cabinet, Richard avait trouvé Isabelle dans la cuisine, en train de remuer une soupe qui réchauffait à feu doux. Elle lui avait raconté la scène incompréhensible qui s'était déroulée dans l'après-midi, une grosse dispute entre Marceau et Adèle.
Perplexe, Richard était monté et avait frappé à la porte de la chambre de son fils. Il en était redescendu une demi-heure plus tard, l'air éteint. Il avait pris Isabelle par l'épaule et lui avait demandé de s'asseoir. Il avait tout raconté. Tout, ou presque. Comment il avait revu Claire, sans arrière-pensées, au départ. Le feu qui l'avait envahi lors des retrouvailles. Ce besoin irrépressible de revivre une histoire tuée dans l’œuf trente années plus tôt. Et puis, comment, après quelques mois d'exaltation, il avait dû se rendre à l’évidence. Claire n’était plus celle qu’il avait aimée. La revoir lui avait permis de faire le deuil. De clore enfin – symboliquement –, cette histoire. Mais elle était une étrangère. Plus il la voyait lors de rendez-vous adultérins – quel horrible mot, avait dit Isabelle –, et plus il réalisait à quel point il se sentait à l’aise auprès de sa femme. Claire n’avait rien à perdre, elle. Alors, elle l’appelait trop souvent. C’était devenu oppressant. Il avait eu peur de lui devoir quelque chose. Il n’était pas prêt à sacrifier pour elle tout ce qu’il avait construit. Il n’était pas amoureux.
Richard avait dit à Isabelle comment il avait compris, après quelques semaines, que cette passion était pour lui passagère, qu'il avait simplement eu besoin de trouver une fin à cette histoire jamais écrite. Comment il avait quitté Claire parce qu'il ne l'aimait plus depuis très longtemps et qu'il lui avait fallu en être sûr. Il avait dit à Isabelle son amour indéfectible pour sa famille et raconté comment Marceau avait appris l’infidélité de son père en surprenant une conversation téléphonique, le jour du mariage d'Anthony. Comment, travaillé par la culpabilité du silence, il était devenu exécrable avec Adèle. Il avait d’abord été honnête. Et puis, il avait menti en racontant, pour justifier la dispute de l’après-midi, que cette dernière s'était effondrée lorsqu'elle avait appris ne pas avoir été sélectionnée par Bacardi-Martini pour les premiers entretiens d'embauche et avait émis le souhait de rentrer en Angleterre. Il avait ajouté avoir lui-même conseillé à Claire d’embaucher Adèle, et que, peut-être, sa maîtresse s’était vengée sur cette dernière parce qu’il l’avait quittée.
Non, Richard n’avait pas raconté le chantage exercé par Marceau sur Claire. Il connaissait assez sa femme pour savoir qu’elle pardonnerait sans délai à son beau-fils de n’avoir rien dévoilé concernant l'aventure amoureuse entre Claire et son père, mais qu’elle serait intransigeante si elle apprenait qu'il s’était servi de cette histoire à des fins personnelles. Elle était si droite… Alors, pourquoi la blesser davantage ? Richard comprenait son fils, qui lui avait tout raconté en pleurant comme un enfant. Il ne lui en voulait pas. Pas plus qu'à Claire. Il devait assumer ses actes et protéger sa famille.
A la fin du discours de Richard, impassible et digne, comme toujours, Isabelle avait soupiré. Puis elle avait rallumé le gaz sous la soupe qui avait refroidi, comme si de rien n'était. Elle avait attendu le moment du coucher pour lui annoncer qu'elle partait. Elle allait prendre une disponibilité. Elle avait envie de voyager, de vivre des choses pour elle. Tout ce qu'elle n'avait jamais fait. Richard venait de lui donner l'occasion de le faire sans culpabilité, d'autant que le fait de s'éloigner quelques mois était peut-être la seule option susceptible de sauver leur mariage.
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