Retour en Summerland

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Journal d'Aristomaque.

Sa voix douce et murmurante s'était approchée de mon chevet, et sa main chaude s'était posée sur mon front.

"Comment te sens-tu aujourd'hui ?"

Sa main se fit caressante tandis qu'il me peignait les cheveux de ses longs doigts fins, décollant leurs racines de mon cuir chevelu trempé de sueur.

Il n'attendait pas de réponse de ma part, parfaitement capable qu'il était de diagnostiquer mon état sans que j'aie à desserrer les lèvres. D'ailleurs, je n'avais pas envie de parler. Je comprenais, depuis le temps qu'il me soignait, qu'il lisait dans mes pensées. Ses collègues l'appelaient François... et parfois, le médium. Si c'était le cas, alors il devait entendre les moindres balbutiements des phrases qui se formaient dans ma tête.

Il dégageait un amour si intense que je détournais la tête pour laisser mes larmes tomber sur l'oreiller. Il reprit dans un murmure.

"Oh oui... C'est encore douloureux dans ta tête... Je le sens, tu sais... Mais je ne te laisserai pas sortir d'ici dans cet état. Bien que tes muscles et ton épiderme se soient bien cicatrisés, j'attendrai que tu arrêtes de te torturer l'esprit et de te faire souffrir."

Sa main dégageait une telle chaleur que les yeux clos, je voyais des étoiles... non, je voyais sa lumière. Les média ont une lumière en guise de signature. Sa main était au-dessus de mon front. Il était en train de me sonder. Et je voyais sa lumière de médium... Un médium parmi les guérisseurs ! Mais qu'est-ce qu'il faisait au centre de réparation ? Ce n'était pas sa place ! Je voyais sa lumière. Elle avançait vers moi, tâtonnante, explorant la pointe de mon âme avec une prudence pleine de délicatesse. Elle illuminait mes pensées les plus sombres et les plus profondément enfouies, les ramenant à la surface pour les en arracher, une à une, presque avec douceur, comme un chirurgien détachant des chairs vives, les tissus gangrenés.

"Aristomaque, mon frère, ne regarde pas ta venue brutale parmi nous comme un échec, mais comme un moyen expéditif dont tu as fait l'expérience.""

Je le trouvais d'une indulgence malvenue face à mon crime. J'attendais la visite d'Emmanuel, qui devait me transmettre le verdict des Hautes-Sphères, et je le pressentais pire que la douceur de François. J'avais conscience que mon regard se fatiguait à supplier, mais quand j'ouvrais la bouche pour m'exprimer, ma gorge ne m'obéissait pas et il n'en sortait plus que des hoquets haletants, tandis que mes yeux brûlaient de larmes amères. Les yeux dorés de François, qui ornaient un visage hâlé aux cheveux auburn, se rivaient aux miens, dont la vue se brouillait.

"Non, mon frère, ne te fatigue pas davantage, tu dois te reposer !"

Sa main me massait le front, de la racine des cheveux jusqu'au bout du nez, ce qui forçait mes yeux à se fermer, tandis que mes sanglots s'apaisaient et que je finissais par m'endormir d'épuisement. Je n'avais jusqu'ici pas vraiment eu la possibilité de parler à qui que ce soit. Les contacts étaient très limités, sans doute à cause de ce que j'avais fait.

Moi, Aristomaque, de la maison Ludovicii, j'étais de retour dans la vallée de l'éternel été. J'aurais dû revenir, chargé d'années et couvert de gloire... J'aurais dû marcher sur la colline, vers les murs de la ville qui auraient ouvert leur porte principale devant moi. Emmanuel, le gouverneur de l'Olympe, Gabriel, du ministère de la communication, Michel, du ministère de la défense, Raphael, du ministère de la santé, et Uriel du ministère de la vie incarnée, m'auraient accueilli. Emmanuel m'aurait serré sur son cœur. Les congratulations auraient dû pleuvoir sur ma tête ! Raphael m'aurait mené au centre de régénération. J'aurais eu une chambre pour moi tout seul, afin d'y recevoir mes amis qui m'avaient précédés, et surtout ma famille. J'aurais pu lire dans les yeux de mon patriarche toute la fierté face à la réussite de ma mission. Athènes et Sparte en paix, les Hellènes pacifiés de la Macédoine au Péloponèse, et Lacédémone unie avec nous dans un traité commercial... J'aurais subi le traitement du régénérateur le plus doué. J'aurais eu tous les honneurs de mon rang, puisque j'aurais été inclus parmi les dignes membres de ma maison. Je serais devenu un maître du jeu reconnu et adulé. J'aurais pu, en tant que maître, dispenser mes connaissances dans des conférences où les âmes les plus nobles seraient venues prendre quelques leçons sur l'art de gouverner un peuple.

Mais j'étais venu en rampant, affaibli, exsangue et fiévreux, les dents serrées par l'effort. Je sortais à peine de l'enfance. Raphael, Emilius, et Cæsar m'avaient trouvé agonisant sous un chêne calciné à quelques pas du Seuil où je m'étais traîné. Je fus transporté, inconscient, en civière jusqu'à la salle commune du centre de réparation. Ce fut Cæsar, un simple guérisseur volontaire, qui se pencha le premier sur mes blessures... puis ce fut François, le médium qui murmurait ses phrases et dont la présence rayonnait d'amour. La salle commune bourdonnait de pleurs, de gémissements, au milieu des murmures des guérisseurs d'office qui nettoyaient les blessés et malades dont les corps, ou plutôt, ce qui leur restait de forme corporelle étaient gravement détériorés... Je me retrouvais parmi la plèbe, comme un paysan grossier et sans instruction. Ma famille était maintenue éloignée de moi, pour ne pas les contaminer de mes pensées macabres. Athènes et Sparte étaient en guerre. Ma mission était un échec total. Je n'étais plus pris en compte parmi les maîtres du jeu. Je n'étais plus qu'Aristomaque. Le suicidé !...

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