Retour psychographique

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Journal de François

Une fois le message transmis, ce qui me prit un bon huitième de clepsydre[1], j'émergeai dans la dimension familière, où m'attendait un thé aux fleurs, infusé à cœur, dont l'amertume me remit complètement les idées en place.

— Notre contact au bord de l'Indus se fait vieux... dis-je entre deux gorgées. Il faudra penser à envoyer un remplaçant.

Les yeux aciers d'Emmanuel me donnèrent une sensation fulgurante en me scrutant... J'en compris la raison aussitôt : il s'était aperçu que je ne m'étais pas du tout reposé, et forcément, il en était furieux ! Je ne peux hélas pas changer son opinion sur mes forces et mes faiblesses !

— Je demanderai à Lao ce qu'il en est en Extrême-Asie ! Nos frères incarnés sont sensiblement du même âge. Ils doivent tous deux attendre la relève avec impatience. Nous pourvoirons à leur renforts, répondit-il, comme si de rien n'était, alors que ses pensées violentes me parvenaient par voie spirituelle. Il ajouta sur le même ton : le deuxième message peut encore attendre quelques heures, le temps que le contact indien se remette du premier.

Il me regarda droit dans les yeux, selon son habitude lorsqu'il s'adressait à quelqu'un. Il changea de sujet.

— Qu'en est-il d'Aristomaque ?

Ah ! Je savais bien qu'il finirait par me demander des comptes.

— Il souffre beaucoup de l'indifférence de son père... Le patriarche de la famille en est tout retourné... Il souhaiterait qu'Aristomaque retourne dans la villa familiale. Mais il est encore trop tôt, je le crains.

— Sa famille ne pourrait-elle lui apporter quelque réconfort ? me demanda-t-il.

Qu'il me demande mon opinion sur un sujet qui regarde Raphael était une nouveauté. Mais je sais qu'Emmanuel n'agirait pas sans l'accord des Hautes-Sphères. Sa question devait venir directement des sphères supérieures et m'était personnellement adressée.

— Je crains bien que la situation ne soit pas si simple, dis-je. Vois-tu, mon ami, je l'ai vu dormir et ses rêves sont agités. Il s'est passé quelque chose d'imprévu pour le détériorer à ce point !

— Que s'est-il donc passé qui n'ait pas été prévu ?

— Il ne s'en est pas encore ouvert à moi ! Un petit détail m'a troublé.

Emmanuel eut un sourire amusé :

— il te trouble depuis 3 lunes, ce me semble !

Je ne pouvais nier mon sentiment. Mais en l'occurrence, un autre sujet me préoccupait.

— Il connaît les prophéties de frère Johannis... dis-je dans un souffle, tant j'hésitais à aborder le sujet.

Emmanuel fronça les sourcils imperceptiblement. Je sentais que je l'avais touché sur un point sensible. Johannis et Emmanuel étaient issus de la même sphère, celle de Sion. Ce n'était un secret pour personne qu'ils préparaient ensemble un plan de vie. Emmanuel serait une incarnation d'un Rabbi, et Johannis serait un de ses acolytes qui recevrait en son temps l'inspiration prophétique qu'il avait préparée sous la dictée d'Emmanuel... Que j'aborde le sujet le mit sur la défensive.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? me demanda-t-il en me lançant un regard méfiant. Comment en êtes-vous venus à parler de ces prophéties ?

Je me sentis rougir sous son regard métallique acéré comme des lames, en lui parlant de mon petit faible pour la lecture. J'ai toujours de quoi lire dans mon sac lorsque je prends un temps de Crédit pendant les jours de Chronos[2]. Et cette fois, je lisais quelques prophéties en langue grecque. Après tout, avec Aristomaque à mes côtés, j'avais bien l'intention de me documenter dans cette langue.

— Il n'a pas eu une réaction digne d'un "revenu" récemment." poursuivis-je. Il semblait ne pas craindre la mort... Est-ce une réaction normale pour un... suicidé ?

— Je ne saurais te dire, me répondit-il troublé. Je demanderai à mon épouse. Les suicides, c'est un peu sa spécialité. Sans doute que le cas d'Aristomaque ne la laissera pas indifférente.

Je me souvenais de ma dernière incarnation où les grandes huiles des gouvernements rivalisaient d'astuces pour ne pas vieillir, ni mourir, voire tomber malades. Les médecins étaient légions, en Asie, sans doute plus qu'en Europe. Nos frères et sœurs incarnés ont peur de la mort qui leur est inconnue... mais Aristomaque n'avait pas éprouvé de soulagement à la lecture de la prophétie, comme s'il avait déjà conscience de l'inexistence de la mort. Normalement, il faut un certain temps avant qu'une âme prenne conscience de la réalité de la vie dans un corps spirituel et causale. À ce sujet, il était plus tourmenté d'avoir échoué sa mission que d'être vivant dans une dimension qu'il ne comprenait pas, simplement parce qu'il la comprenait, comme s'il en avait toujours eu le souvenir.

Emmanuel leva un doigt soudainement. Son visage exprimait une illumination intérieure, et à la limite de mon ouïe, une musique se propagea dans l'air. Instinctivement, je tournai la tête vers mon holographe qui restait silencieux et éteint. Le message venait du Grand-Holographe-Central, et ses vibrations avaient traversé les murs et l'espace jusqu'à nous. Quelques instants plus tard, Emmanuel sortit de sa transe.

— Il est normal qu'Aristomaque n'ait montré aucun signe de peur face à la mort, puisque, incarné pour apporter en Olympie un âge d'or, il gardait la mémoire des mondes spirituels, m'expliqua-t-il.

— Il eut mieux valu qu'il ne s'en souvienne pas ! Pour peu qu'un imprévisible se fût présenté, et il aurait mis fin à ses jours, répliquai-je avec humeur.

— Les Hautes-Sphères ne sont pas exemptes d'erreur, répondit le gouverneur. Et cela explique leur décision de le laisser servir au-dessus du Seuil. Apparemment, elles compensent leur manque de prévoyance en ne punissant pas sévèrement notre petit grâcieux en le maintenant sous le Seuil.

Emmanuel poussa un long soupir avant de se lever. J'aimerais lui rendre une petite visite, à ce jeune homme en perdition...

— Il doit être dans son bureau à rédiger quelque rapport sur ses derniers semis... Nous nous rejoindrons pour le déjeuner sous le chêne-pleureur.

Emmanuel tiqua avant de répondre :

— Pas aujourd'hui. Uriel a besoin de moi. Mais bientôt ! J'ose croire qu'il sera serein lorsque je le verrai.

— Je ferais tout pour qu'il le soit, lui dis-je en me sentant rougir encore.

— Je n'en doute pas, mon frère ! répondit le gouverneur, en déposant sa main sur mon bras, en signe de réconfort et d'encouragement.

J'avais non seulement la bénédiction de Raphael, mais Emmanuel lui-même se mettait au diapason de mes sentiments. Je me laissai aller à rêver que les Hautes-Sphères me combleraient tout autant de leur bénédiction.

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[1] Environ 20 minute pour une clepsydre courte de 2h.

[2] Samedi

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