Deuxième partie

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Elle se redresse un peu. Ça y est, elle regarde le paysage.

— Les campagnes existent encore à votre époque ?

— Oui, nous en avons beaucoup. De plus en plus. C’est l’un des nombreux changements qu’il y a eu ces dernières années. Vous appréciez ?

Elle continue d’éviter mon regard. Elle observe le décor que j’ai choisi en pensant à elle.

— Nous allions souvent en forêt avec mon mari. Il adorait chercher des champignons. Je l’accompagnais et m’ennuyais ferme. Des fois pour passer le temps, je câlinais les arbres et il se moquait de moi.

Je tourne la tête pour qu’elle ne devine pas mon trouble. Vu qu’elle ne me regarde pas, cette précaution est inutile.

— J’ai déjà vu mon père faire ça, je lui dis.

Elle réagit, se referme. Ses bras comme ses jambes sont croisés, double fermeture. Cynthia me fait signe de souffler. C’est plus difficile que prévu.

— Une fois ici ? je lui demande.

— Je fus accueilli par Cynthia. Elle se présenta comme étant ma marraine.

Astride se tourna alors vers elle. Surprise par ce geste, celle-ci se redressa et passa sa main dans ses cheveux.

— Elle est gentille, vous savez. Elle m’a beaucoup aidé depuis que je suis ici. Elle a souvent été là pendant mes moments de doutes. Pas tous, car pour cela il aurait fallu qu’elle soit tout le temps avec moi. Tu fais ça quand tu es tendue, lui dit-elle directement. Tu te passes la main dans les cheveux. Il est difficile de ne pas avoir un tic de nervosité. Vous c’est votre montre, dit-elle en se retournant vers moi. Vous jouez avec votre montre lors de situations de crise.

— Vous m’avez vu gérer des situations de crise ?

— Il y en a tout le temps ici et je vous ai souvent vu.

— J’essaie pourtant d’être discret.

— Vous êtes élégant. Vous ressemblez à mon mari.

Elle se tait. Elle a peu parlé de son mari. Je sais qu’elle en parlait tout le temps lors de son arrivée. Même récemment, elle demandait encore de ses nouvelles.

— Je vous ai vu dès le premier jour. Vous étiez dans l’un des appartements voisins lorsque Cynthia m’a amené au mien. J’ai tout de suite remarqué votre élégance.

Un frisson parcourt mon échine. Du regard, j’interroge franchement Cynthia. Elle me fait non de la tête. Puis, le récit reprend.

— Cynthia m’installa dans mon appartement. Elle me dit que cela serait provisoire. Elle prit le temps de choisir mes tenues. Elle demanda à en voir beaucoup. Je ne l’ai jamais remercié pour ça. Je pensais que j’étais là pour quelques heures. Je ne voulais pas comprendre que ce choix signifiait le contraire. Elle me demanda ensuite de me doucher et d’être prête d’ici une heure. Je ne lui posai aucune question. Pour moi il était évident que mon mari serait là et que nous repartirions chez nous. Je ne pris pas de douche et j’attendis. J’essayais de réunir mes idées. Je tentais de trouver une logique à ma journée. Je n’arrivais à formuler aucune théorie valable. Rien ne pouvait tout expliquer. Rien ne pouvait non plus expliquer les faits pris un par un. À son retour, Cynthia m’accompagna dans le bureau d’une femme entourée de machines. Celle-ci me dévisagea, puis se plaignit de commencer son tour de garde plus tôt que prévu. Elle me demanda quel était mon dernier souvenir. Je me souviens d’un gâteau. Un gâteau d’anniversaire. Pour l’anniversaire de mon mari. Je voulais lui faire une surprise. Cela n’allait pas fort entre nous à cause de.

Elle interrompt son récit. C’est cela dont Cynthia m’a parlé. Une femme amoureuse qui pleure l’absence de son mari. Cynthia m’a expliqué que c’était le plus dur. L’écouter sans pouvoir lui dire la vérité. C’est la première fois pour moi et je comprends maintenant.

— La femme derrière ses machines notait tout ce que je racontais. Je rajoutais que je ne me souvenais pas d’être sortie de chez moi. Elle ne répondit rien et reprit ses questions. Beaucoup me paraissaient absurdes. Puis, elle m’installa dans un fauteuil et approcha ses machines de ma tête. Cela ne me faisait pas mal. Il y avait du bruit et des couleurs apparaissaient autour de moi. Ces couleurs étaient fascinantes. Cynthia me conduisit ensuite dans ce qui semblait être une cantine. Il y avait d’autres personnes comme moi, sans uniforme ni repère. Cynthia resta avec moi. Nous déjeunions à l’écart des autres. Je mangeai peu. Je lui demandai si mon mari savait où je me trouvais. Elle me répondit de faire un effort de mastication. Elle me raccompagna ensuite dans ma chambre. Je retrouvais ce lit dont j’étais certaine peu de temps avant qu’il n’était pas le mien. J’étais épuisée. Vous voulez que je vous raconte autre chose ?

— Tout ce qui vous semble important.

Sans émotion, elle reprend son récit. Elle met un point d’honneur à ne pas me regarder. J’ai besoin de découvrir ce qu’elle a vu hier. J’ai besoin de savoir ce qu’elle sait.

— Le lendemain, je découvris que j’étais prisonnière de ma chambre. Je ne pouvais en sortir seule. Cynthia arriva peu après. Elle m’expliqua que cela était dans le but de me protéger. De quoi, je n’osai lui poser la question. Elle me conseilla de me doucher, ce que je fis. Mon corps était différent. Je me souvenais d’une cicatrice au genou faite lors d’une randonnée. Elle n’y était plus. J’étais plus mince. Mon corps, comme mon visage, était plus jeune. Cynthia me proposa une tenue. Elle était plutôt sophistiquée. Je me persuadai que cela était bon signe. Le signe que mon époux serait là. Puis, elle m’accompagna à la cantine. Il était tôt et nous étions les seules. Je n’avais pas une grande faim. Cynthia me conseilla de ne pas me forcer. Puis, elle me ramena voir la femme de la veille. Celle-ci me posa les mêmes questions. Je ne comprenais pas pourquoi et je le lui expliquai. Elle me demanda alors si j’avais d’autres souvenirs. Je ne comprenais pas. Je ne répondis à aucune autre question. Cynthia me ramena dans ma chambre. Je sentais qu’il y avait quelque chose que l’on me cachait. Je demandai de nouveau si mon mari savait où j’étais. Cynthia sortit sans me répondre. Je me mis à pleurer. J’avais peur comme jamais. Je me fichais d’où j’étais et avec qui. Je voulais seulement savoir que mon mari allait bien. Cela me prenait aux tripes. Peut-être avons-nous eu un accident dans lequel j’avais perdu la mémoire ? Peut-être mon mari n’était plus ? Je me ressaisis. Je ne pouvais même pas me formuler cette pensée. C’était impensable. Je ne serais plus rien. Il était mon tout depuis des années et finalement depuis toujours. Je ne pouvais lui avoir survécu. Je ne pourrais pas lui survivre.

Ses larmes l’obligent à s’arrêter. Elle sort un paquet de mouchoirs. Je vois que Cynthia a bien fait son travail. Ces derniers mois ont été tellement éprouvants pour elle. Je l’ai vue perdre du poids. Son compagnon s’en est plaint. Il m’a demandé de la changer d’affectation malgré son refus. Jamais elle ne me l’aurait pardonné. C’est son moment à elle aussi. Je dois me ressaisir. Il n’est pas question qu’Astride sente quelque chose. Cynthia a tenu bon, ce n’est pas à moi de craquer. Astride semble prête à reprendre son récit.

— Cette incertitude se transforma en colère. Je commençais à lancer ce que j’avais sous la main. Il y avait une petite bibliothèque. Les livres furent les premiers, les vêtements suivirent. Je n’avais pas un grand nombre de projectiles. Puis, un homme en uniforme entra. Il accompagna la femme médecin. Elle voulut me faire une injection. Je me débattis, mais l’homme me ceintura et ce fut le trou noir. Je me réveillais dans mon lit, en pleine nuit. Ma chambre avait été rangée. Une douce lumière m’éclairait. Elle venait d’en dehors. Cynthia passa la tête. Elle ne portait pas sa tenue habituelle. Je compris qu’elle me surveillait et savait que j’étais réveillée. Elle me proposa d’aller marcher. Je la suivis et nous montâmes sur le toit. Je ressentis un léger vertige en la voyant de nouveau. La sphère noire dans le ciel. Cynthia me demanda si je me souvenais de son arrivée. Ma bouche était sèche. Sans me regarder, elle me dit que je l’avais déjà vue. J’étais là lors de la panique provoquée par leur intrusion dans le ciel terrestre. Mes jambes ne voulaient plus me porter. Je dus m’asseoir au sol. Je ne sais combien de temps nous sommes restées sur ce toit. J’avais perdu la mémoire. Une seule question continuait de me terroriser. Je lui demandai si mon mari était en vie. Elle me répondit par l’affirmative. Je crois que je souris pour la première fois. Nous pourrions nous retrouver. C’était ma certitude. Je ne savais rien encore.

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