Chapitre 20 : La nature du Mal
Dans la plus large tente du camp, celle du commandant, Uliriena était attablée devant une imposante pile de dossiers, consultant rapidement les derniers rapports de son armée. Cela faisait maintenant plusieurs semaines qu’elle s’était établie au pied de la sortie de Babel, pariant sur le passage prochain de sa cible. Tout avait commencé un peu après l’Épreuve du Premier Étage, quand une missive qu’elle ne pouvait négliger arriva sur son bureau. Le Roi des Rois s’était réveillé et l’avait sommée de se rendre sans délai dans la capitale. Or, personne ne pouvait ignorer une telle convocation. Grâce aux portails dévolus aux fonctionnaires de l'État, elle parcourut des centaines de milliers de kilomètres en quelques heures, jusqu’au cœur de l’Empire. Ce n'était pas sa première rencontre avec le souverain absolu de la Tour. Il y a plusieurs siècles de ça, avant de plonger dans son long sommeil, l'empereur lui avait proposé une première fois ce qu'elle ne put refuser à nouveau. Durant l’audience où elle ne cessa jamais de garder la tête basse, la Princesse des lilas accepta sans broncher ses nouvelles responsabilités. Devenir maréchal était autant un grand honneur qu’une prison dont on ne peut s’échapper. Mais cette fois, elle n'avait pas l'intention de fuir. Elle avait soif de réponses, et c'était l'occasion pour elle d'assouvir ce besoin.
L’intervention du Roi Pur ; la trahison de Yakha ; et puis ce moment étrange durant l'Épreuve, où les combats s'étaient subitement interrompus. Tout devint clair et c’est avec joie qu’elle apprit que sa première mission consistait à poursuivre et attrape le dénominateur commun à tous ces événements.
Sa décision de surprendre le candidat n°1848 à la sortie de Babel n’était pas anodine et reposait sur deux raisons solides. Lorsque les Conquérants s’étaient exceptionnellement retrouvés à l’occasion d’une réunion, une minorité s’était fermement opposée à la capture ou l'élimination de la cible, malgré la menace d’une sévère répression. Parmi eux, la Reine Indomptable s'était montrée particulièrement véhémente, allant jusqu'à défier ouvertement Sa Majesté Impériale. Par conséquent, toute coopération avec elle risquait d’être difficile, pour ne pas dire impossible. En outre, de par l’immensité de la Tour, débusquer une personne n’était pas une mince affaire. Les cachettes ne manquaient pas, et même si l’Empire disposait d’un excellent service de renseignement, il avait été tenu en échec plus d’une fois par certains des plus terribles criminels. Les murs de Babel formaient dès lors une remarquable cage, la seule sortie étant contrôlée par la Maréchale et ses troupes.
Las d’attendre, Uliriena s’abandonna dans sa chaise, la tête en arrière. Le poids qui pesait sur sa conscience ne s’était pas allégé malgré les réponses. Le candidat n°1848 n’en avait jamais été la cause, car la raison se trouvait ailleurs. Le film de son affrontement dans les fondations obscures de Re'Shiyth se joua à nouveau dans son esprit. Depuis sa naissance, la Princesse des Lilas était une élite solitaire, promise au sommet. Beauté, force, position. Elle possédait tout, et ce qu’elle désirait, elle l’obtenait sans le moindre mal. Pourtant, depuis la disparition de son ancienne collègue, elle goûtait pour la première fois de son existence à l’amertume. Son image ne cessait jamais de la hanter, et son esprit si parfait, incapable de saisir la véritable nature de cette émotion, s’en agaçait.
Si le garçon est en danger, elle finira par se montrer. Je te ferais sortir de ta cachette, Yakha.
Un officier fit brusquement irruption dans la tente sans le moindre respect pour le protocole. Alors qu’elle s’apprêtait à le réprimander, l’homme essoufflé débita l’information d’une traite.
- Maréchale, nous sommes attaqués !
Cette annonce l’extirpa de sa léthargie. Coutumière de ces situations, elle s’était déjà redressée, prête à prendre ses responsabilités. Elle attrapa le fourreau de son sabre et se dirigea vers la sortie avec détermination.
- Combien sont-ils ? demanda-t-elle.
L’officier mis du temps à répondre. Sa précédente course l’avait laissé exsangue, mais l’injonction le poussa à s’ignorer pour outrepasser ses propres limites.
- Ils ne sont que six !
Surprise par ce nombre, une violente explosion la fit sursauter. Elle se précipita dehors, découvrant le camp en proie au chaos. La panique avait pris le pas sur la discipline d'hommes et femmes pourtant reconnus pour leur expérience militaire. Des ordres et contre-ordres fusaient de toutes les directions et il semblait que personne ne comprenait réellement ce qui se déroulait. Le cerveau d’Uliriena se mit alors à réfléchir à toute vitesse. Un groupe aussi restreint ne pouvait être la cause d’une telle anarchie. Sauf si ce dernier comptait dans ses rangs une Puissance remarquable, peut-être même une Domination.
- Les rapports mentionnaient pourtant qu’ils n’étaient que cinq… murmura-t-elle.
L’évidence lui apparut, tout naturellement.
Yakha ! Ça ne peut être qu’elle !
- Rappelez toutes les patrouilles, qu’elles prennent à revers les attaquants, ordonna-t-elle. Interdiction de tuer qui que ce soit, le candidat n°1848 se trouve peut-être parmi eux. Prévenez également les Puissances disponibles, qu’elles se rendent immédiatement sur les lieux de l’affrontement. Nos ennemis ne sont pas des Candidats ordinaires, traitez-les donc en conséquence.
L’autorité naturelle de la Princesse des Lias ramena momentanément le calme. Les soldats proches lui adressèrent un salut militaire avant de se disperser. La Maréchale prit spontanément la direction des Escaliers Célestes. Si comme elle le supposait, la traîtresse était bien présente, alors c'était l'endroit parfait pour régler ses comptes. Plus elle y pensait, plus elle peinait à réfréner la ferveur qui la consumait. L’idée de croiser le fer avec Yakha l’obnubilait au point que la capture du garçon était presque secondaire à ses yeux. Mais cette allégresse nouvelle ne l’empêchait pas de garder en tête le facteur importun pouvant compromettre son désir. Le Roi des Rois avait affecté son champion à la Maréchale pour l’assister. Quand celui-ci remarquera la présence du jeune Magicien, il risquait de vite passer à l’action. Or, personne dans toute la Tour ne pouvait arrêter un tel monstre.
Profitant de la distraction offerte par Liliana et Amjest, le reste du groupe remontait tout le camp en direction du bâtiment abritant les escaliers. La désorganisation rendait la progression fluide et les rares obstacles étaient rapidement écartés. Mais, alors que l'objectif était en vue, une dernière silhouette se dressa, immobile.
CLIIING.
Emma usa de toute sa force pour dévier l'acier, mais la puissance de l'impact la projeta sur plusieurs mètres en arrière. Pris de court par la vitesse de l’agression, le reste du groupe s’arrêta net pour faire face à l’opposante solitaire. Celle-ci nargua la jeune épéiste.
- Pas mal du tout, fillette !
En découvrant son identité, Huori s’écria avec rage :
- La Princesse des Lilas !
Les lèvres de l’intéressée se retroussèrent pour former un sourire carnassier, et elle bondit sur Emma pour l'achever. Mais ses crocs n’atteignirent pas la cible, puisqu'Amélia s’interposa. Les tatouages bestiaux de ses bras s’illuminèrent et des griffes spectrales s’enroulèrent autour de ses poings. Un court moment de flottement suivit la première interaction, juste avant que les deux femmes ne se jettent à nouveau l’une sur l’autre. L’échange fut brutal, mais aucune des deux ne parvint à briser la garde adverse, ce qui ne manqua pas de surprendre la maréchale. La lionne en profita pour pousser son avantage. L'éther tourbillonnant des griffes se changea en un imposant poing. Elle pivota sur elle-même pour mettre tout son poids dans le coup à venir et d’un hurlement rageur, libéra toute l’énergie accumulée. Propulsé par le choc, Uliriena s’écrasa sur le dos en glissant. Admiratif, Gabriel en oublia presque le danger.
- Impressionnant...
- Ne baisse pas ta garde ! intervint Huori. La Princesse des Lilas est une Domination appartenant au top trente de la Tour !
Ses propos trouvèrent confirmation quand l’épéiste se redressa presque instantanément. Son regard violet passa sur Gabriel avant de se planter dans celui d’Amélia.
- Toi ! Tu es celle qui avait obtenu les meilleurs résultats parmi les Candidats. J’admets que ce n’est pas un hasard !
- Être indemne après une telle attaque... Vous êtes digne des éloges de ma camarade ! répliqua Amélia avec excitation.
Après un nouveau round d’observation, le second acte de cette mortelle danse débuta. Le physique hors norme d'Amélia parvenait à faire jeu égal avec le raffinement et la technique d’Uliriena. Mais il était clair que l’aventurière s’épuisait la première. Maintenant qu’elle respectait son adversaire, la Princesse des Lilas, sérieuse et appliquée, prenait doucement, mais sûrement l’ascendant dans la confrontation directe. Cependant, cet affrontement n’était pas un duel. Gabriel et Huori s’immiscèrent subitement dans les échanges, contraignant Uliriena à reculer encore. Quand celle-ci, par fierté, refusa de concéder plus de terrain, Emma surgit depuis un angle mort et effleura le bras tenant l’épée. Ce n'était qu'une égratignure, mais la frustration engendrée accentua d’autant plus les erreurs d’Uliriena, et l’issue du combat devint prévisible.
Néanmoins, la Princesse des Lilas ne saurait être vaincue aussi aisément. Consciente de son inéluctable défaite si elle persistait dans son orgueil, elle cessa de foncer tête baissée et abaissa sa garde. Emma crut alors tenir la clé de la victoire. Une ligne incolore qu’elle seule pouvait voir apparut brièvement, symbolisant le chemin désiré vers le succès.
- Emma, non ! cria Amélia.
Malgré l’avertissement, la jeune femme réalisa trop tard que ce n'était qu'une fausse note. Subitement, toutes les cellules de son corps l’avisèrent du péril, et la Mélodie disparut derrière l'intense rayonnement d’une lumière blanche. Emma comprit instinctivement que le piège s’était déjà refermé sur elle, et impuissante, se prépara à encaisser le coup. Pourtant, aucune douleur ne vint. En rouvrant les yeux, elle découvrit avec stupeur que l’impossible avait eu lieu. L'attaque avait été bloquée.
- Rien ne peut entraver l'épée d’un Alrai, si ce n’est celle d'un autre Alrai, déclara Liliana. N'est-ce pas, petite sœur ?
L’Épée Solaire toisait la Princesse des lilas, dont le visage s’était momentanément décomposé. Les certitudes d'Uliriena s’effondrèrent, ne laissant plus qu’une colère aveugle.
- Liliana ! Réalises-tu seulement la portée de ton geste ?!
Les deux lames se séparèrent dans une gerbe d’étincelle.
- Quoi ? Je n'ai plus droit de jouer avec mon adorable Ul, comme au bon vieux temps ?
Submergée par la rage et la déception, la Maréchale hurla et s’abandonna à la destruction. Elle enchaîna les techniques des Alrai, contraignant Liliana à faire de même. Une tempête cataclysmique explosa au cœur du camp, soufflant les toiles des tentes et couchant les tours de guet. Gabriel et les autres luttèrent pour ne pas être balayés par les ondes de choc né des différents impacts. L'avertissement agacé d’Amjest les ramena à la raison.
- Ne restez pas planté là ! Bougez !
Le prodige des Lars Bie s’adressait à eux depuis les airs, affrontant simultanément de nombreuses Puissances. Profitant d’un moment d’accalmie, il désigna les marches avant de dévier un éclair rouge.
Comme d’habitude, la plus réactive fut Amélia. Elle attrapa sans ménagement Emma pour la mettre sur son épaule comme un sac, avant de s'élancer à vive allure. Immédiatement, les deux autres la suivirent. L’affrontement entre autant de Puissances déchaînait les éléments, rendant l'ascension des Escaliers Célestes d'autant plus périlleuse. Gabriel perdit la notion du temps, focaliser sur sa propre progression. Il ne remarqua pas l'absence soudaine de soleil, ou la disparition graduelle du ciel bleu. Ce n’est qu’après la dernière marche de cet infernal escalier qu’il comprit que c’était fini, avant de s’effondrer de fatigue. À côté de lui, Emma et Huori l’imitèrent, et même Amélia, d’ordinaire si solide, ne put s’empêcher de poser ses mains sur ses genoux.
- Nous y voilà, souffla-t-elle.
Ignorant la douleur née de l'effort, Gabriel redressa son cou. Il ne se trouvait pas à proprement parler sur le toit de Babel. L’escalier débouchait dans une haute et vaste salle circulaire, avec pour unique issue un couloir faiblement éclairé.
- Misère, ça ne finit jamais ! se plaignit-il.
Amélia l’attrapa par le col pour le relever avant de s’y diriger. Les autres suivirent, non sans une certaine méfiance. Ce couloir rappelait celui de l'entrée et le mauvais souvenir auquel il était lié. Cependant, aucune gravure ne déformait la surface lisse d’une pierre nettement plus récente. Pendant un temps, les lointaines explosions des affrontements furent la seule chose troublant la quiétude des lieux, jusqu’à progressivement s’estomper. Alors qu’ils marchaient en silence, l’apparition d’une silhouette à l’horizon du corridor sans fin les ramena à la réalité. Drapé de la tête au pied dans un long voile, elle patientait résolument immobile. Sans d’autre choix que d’avancer, ils s’approchèrent avec méfiance. Quand l’inconnue esquissa ses premiers mouvements, l'ensemble du groupe s'arrêta, prêt à se défendre. Mais rien ne pouvait les préparer à ce qui se trouvait derrière la capuche.
- Ainsi donc, le blocus impérial n’a pas été suffisant pour vous stopper, déclara Amarumas.
Dans la voix de la paysanne résonnaient à présent les accents d’un pouvoir ancien qui figea tout le monde sur place. Ce n’était pas la seule chose différente chez elle. Ses cheveux sombres aux splendides reflets mâtent, étaient maintenant relâchés et encadraient les traits gracieux et surnaturels de son visage, dont chaque facette, chaque pommette, semblaient avoir été taillé par le plus talentueux des sculpteurs, produisant là un inégalable Magnus opus. Elle dégageait une aura mystique qui sublimait d’autant plus la perfection de sa peau d’amande, conduisant instinctivement quiconque l’observant à éprouver de l’adoration. Une inexplicable et intense vague de bonheur les submergea, et aucun d’entre eux ne put contenir les chaudes larmes de joie qui brouillèrent les regards.
NON !
La féroce injonction éclata en un millier d’échos dans l’esprit de Gabriel, qui se frappa la joue d’un violent coup de poing. Avec des trésors de volonté, il parvint péniblement à refouler cette merveilleuse chaleur apaisant son âme, et put alors poser un œil sincère sur son interlocutrice. Constatant ce changement, une première émotion supplanta l’impassibilité d’Amarumas. De la satisfaction.
- Bien.
La paysanne relâcha son emprise sur les autres, dont le douloureux retour à la réalité les laissa momentanément hagards. Seul Gabriel était pleinement maître de ses moyens, son esprit s’étant enflammé sous l’effet d’une terrifiante haine dont on percevait le brasier au creux de ses pupilles brillantes de colère. Amarumas ne parut pas s’en formaliser et continua de maintenir une façade contrôlée.
- Inutile de faire les présentations, je suppose.
- Oui.
- Est-ce pour cela que tu me dévisages ainsi, avec le regard d’une bête prête à sauter sur sa proie ?
- Oui, répéta-t-il.
Un sourire amusé rehaussa un peu plus la spectaculaire beauté de son interlocutrice. Revenant progressivement à la raison, quoiqu’un brin sonnée, les autres découvrirent à leur tour alors l’identité véritable de la personne en face. Elles eurent un mouvement de recul, quand Amélia constata que Gabriel ne les imitait pas et demeurait immobile.
- Nino ! l’invectiva-t-elle.
- Tout va bien, assura-t-il. Elle n’est pas ici pour nous arrêter.
En réponse, le sourire d’Amarumas s’assombrit.
- Tu affirmes cela avec aplomb. Ne réalises-tu pas qu'à mes yeux, tout ceci n'est qu'un simple jeu, et que je me délecte de votre désespoir à venir ?
La mâchoire de Gabriel se contracta sous l’effet de la colère, mais il ne s’abandonna pas aux pulsions qui le déchiraient.
- Cessez donc de faire semblant. Vous êtes une abominable personne. Vos crimes sont innommables et une éternité ne suffirait pas pour les expier. Mais le plaisir de faire souffrir autrui n’est pas le moteur qui vous anime. Vous n’êtes pas ce genre de monstre.
- Tu parles avec certitude. Pourtant, ce n’est que la seconde fois que nous nous rencontrons, et la première que nous avons une conversation véritable.
Gabriel ferma les yeux pour mieux se concentrer. Maintenant qu’il avait instinctivement saisi l’ensemble du tableau, il devait choisir les bons mots. Progressivement, les pièces du puzzle s’assemblèrent.
- La nature même de Babel est immorale. Manipuler la vie de millions, non de milliards d’individus, simplement pour étancher sa propre curiosité... Seule une créature de la pire engeance procéderait de cette façon. Voilà quel était mon sentiment à votre égard, la source de toute cette aversion. Mais je me rends compte maintenant que c’était un jugement puéril, avoua-t-il. J’en ai oublié pendant un temps que le pouvoir avait cette terrible faculté de corrompre les cœurs, de transformer la plus merveilleuse des vertus en vices. L’humain n’est ni bon ni mauvais, il n’est que le fruit de son vécu. Vous êtes un monstre Sammu-Ramat. Mais ma haine irrationnelle pour vous ne trouve pas sa source dans l’injustice de vos actes. Elle n’est que la conséquence de mes propres traumatismes, du fantôme qui jusqu’à très récemment hantait mon esprit. Voilà pourquoi, maintenant que j’en ai pris conscience, je peux poser sur vous un regard plus neutre. Je ne réfuterais pas ce que vous êtes. Mais je n’imposerais plus mon point de vue biaisé.
Le faciès de la Reine Bâtisseuse demeura impassible pendant quelques instants. Puis, tout doucement, le masque s’éroda. Tout le monde, même Gabriel, fut désarçonné par la sympathique sincérité qui se cachait derrière.
- Qiu Jin semble avoir vu juste. Tu peux être le porteur du changement nécessaire.
- Grand-mère ? murmura Huori.
Sammu-Ramat ignora la jeune femme. La précédente fêlure sur son impeccable profil s'était déjà résorbée.
- Au terme du couloir, il y a un escalier qui permet d’accéder au sommet. Là-haut se trouve le portail pour le Quatrième Étage, mais vous ne pourrez pas l'allumer avec le code que l’on vous a fourni à Babylone. Les forces impériales l’ont temporairement désactivé, expliqua-t-elle.
- Merde ! s’insurgea Amélia.
- Ne paniquez pas. L’Empire pense vous avoir coincé ici, mais cette certitude est une erreur. Couper la connexion avec l’autre côté n’empêche pas le portail de fonctionner. J’en ai donc profité pour vous offrir une alternative, même si celle-ci est particulièrement dangereuse. Si vous choisissez cette voie, cherchez le symbole de la Conquête et suivez-le.
Gabriel dévisagea la Reine, décontenancé par son attitude. Il ne s’attendait pas à une telle aide. Quand il s’exprima, incrédule, les ultimes braises de sa colère avaient été soufflées par l’incompréhension, plongeant son esprit dans la confusion.
- Vous aviez déjà prévu de me laisser partir ?
Le regard de la Bâtisseuse ne disait plus rien. Comprenant que la discussion était close, Amélia s’élança, suivie d’Emma et Huori. Alors que s’éloignaient ses camarades, Gabriel hésita encore avant de finalement tourner les talons.
- Je n’ai jamais cru en la moindre prophétie. Rien n’est jamais éternel, pas même le rêve de ce pauvre monarque. L’heure du douloureux réveil approche, et je n’ai plus de doute sur le fait que tu en seras un acteur primordial, annonça Sammu-Ramat.
Coupé dans son élan, Gabriel se retourna pour répliquer, mais aucun son ne sortit de ses lèvres. Cette fois, il n'avait pas de réponse, et cela le frustrait d’autant plus. Quand il reprit sa course, c'est avec la désagréable sensation d'avoir perdu la joute verbale.
Alors que la Reine observait ceux en qui elle avait placé ses espoirs s'éloigner, de l’autre direction résonnait l'écho funeste d'une démarche implacable.
- Excellent timing. Ashur, tu peux sortir, ordonna-t-elle.
L’un des murs pivota pour révéler la cachette de son subordonné. L’homme qui se rangea à ses côtés avec la peau bronzée et de beaux cheveux bruns ondulants. Élégant dans son allure et ses atours, il tenait autant du noble érudit que du guerrier. Il était le champion de la Maison Adad, le Second Ainé et l’un des Sept, les Dominations les plus craintes et respectées de la Tour.
- Je suis prêt, ma Reine, annonça-t-il placidement.
Ils attendaient calmement pendant que l'ombre de la faucheuse s'étirait sur les murs. Un homme, solitaire, avançait. Sa chevelure blanche avait des reflets dorés. Il était vêtu d’un long manteau de cuir où étaient brodées les armoiries des Gjallarhorn, avec à sa taille le fourreau d'une épée. Quand il ne fut plus qu’à quelques mètres de Sammu-Ramat, il s’arrêta. L'acier froid de son regard était comme un vide vertigineux. Néanmoins, cela n’intimida pas la Reine Bâtisseuse qui adopta une posture arrogante.
- L’éminence grise de Sa Majesté Impériale en personne ! Je songeais justement à ton maître lors de ma précédente conversation.
Chaque mot suintait de mépris, mais l’homme ne s’offusqua pas pour autant. Il était pareil à une épée, un instrument sans âme dont la seule fonction était d’exaucer les souhaits de son détenteur. Quand il s'exprima, sa voix reflétait cette volonté, placide et inflexible.
- Majesté, je vous prie de vous écarter. Le garçon doit être appréhendé.
- Tu oses m’ordonner, moi, la Reine Bâtisseuse ?
- Vous vous méprenez. Ce n’est pas moi, mais le Roi des Rois qui l’exige.
- Misérable chien de garde, je n’ai que faire des demandes de ton maître. Ces terres ne connaissent pas d’autre dirigeante que moi.
Stoïque, l’homme dégaina lentement sa lame. Les inscriptions gravées dans l’acier s’illuminèrent, annonçant le violent combat à venir. Ashur s’interposa avec un long bâton doré, déterminé à défendre sa Reine. Néanmoins, même avec son soutien, l’issue était incertaine pour Sammu-Ramat. Après tout, l’Épée de l’Empereur appartenait également aux Sept, et ses exploits le plaçaient naturellement au sommet de la hiérarchie.
- Je constate que vous êtes prête à assumer vos responsabilités, déclara-t-il sans la moindre émotion.
- Tu penses pouvoir triompher de moi ? s'amusa la Reine. Quelle arrogance ! Laisse-moi donc te rappeler ce qu’est un Conquérant !
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