Tu avais tout prévu, paraît-il. Tu t’étais fait embaucher comme ingénieure sécurité chez Blue Sun dans l’espoir de les faire choir de l’intérieur. Mais tu n’étais pas assez forte, trop seule, alors tu guettais l’occasion, un coup de main extérieur. Du moins, c’est ce que tu prétendais. Je me méfiais du peu que tu rechignais à dévoiler de toi. Loki, lui, plongea tête la première dans le lac de tes yeux velours.

Tu nous avais aidés à shunter les balayages auto qui auraient dû détecter mon sabotage. En quelque sorte, tu avais sauvé notre opération et nos fesses. Cela suffisait au hacker pour qu’il t’accorde sa confiance, t’ouvre même les portes de son antre d’ours. Tu y déambulais à pas prudents ; un félin qui reniflait le terrain, avant d’attaquer toutes griffes dehors, rectifiant telle ou telle erreur dans son programme. Je m’attendais à le voir rugir, défendre son territoire ; il te félicita de ton attention acérée. Sur toi, il levait les yeux. Des yeux tendres et épris d’admiration.

Il était amoureux de toi – tu t’en doutais, j’imagine.

Si j’étais jalouse ? Oui. Tu l’avais conquis là où je ne pouvais l’atteindre. Il t’avait reconnue comme au moins son égale, et ensemble, vous élaboriez ce qui aurait dû être notre plan.

En quelques semaines, tout avait été calculé par vos soins ; je me retrouvais exclue, stratosphérisée de notre projet. Avec le recul, je comprends que Loki agissait de la sorte pour me préserver, il n’empêche que je vous en ai voulu à tous les deux.

Je n’avais pas trop le moral en débarquant ce jour-là dans le cagibi. Vous ne m’aviez même pas entendu claquer la porte. Tu étais penchée sur son dos, sur ces lignes de code à la signification obscure, traquant pour la énième fois la moindre erreur susceptible de faire capoter le tout.

— On pourra pas synchroniser nos IA. Si l’un de nous se fait prendre, ils remonteront à l’autre de la sorte. Non, il faut qu’on s’accorde en manuel. Il faut deux secondes au programme pour démarrer un rafraîchissement et réinitialiser la procédure. Ça fait court comme laps de temps, donc te loupe pas. Une fois que t’auras lancé ton attaque sur les serveurs principaux, ta copine aura le même délai pour s’occuper des serveurs de secours. Si on laisse à ces derniers le temps de prendre le relais, alors l’effacement n’aura servi à rien.

— C’est pas ma copine.

Cette réponse laconique me déchira le cœur, mais je restai forte. Nous avions d’autres priorités. Je m’éclaircis la gorge pour attirer votre attention.

— Ne t’inquiète pas, j’ai bien compris le plan. Appuyer sur un bouton, ça devrait être dans mes cordes.

J’essayai de m’octroyer un sourire pâle. Tu te tournas vers moi et hochas la tête avec gravité.

— Bien. Je pense que nous en avons terminé, dans ce cas. Nous ne nous recroiserons pas jusqu’au jour J. Ni après, sans doute. Personne ne doit me soupçonner.

Tu me tendis la main. Je la scrutai de longues secondes avant de comprendre qu’il s’agissait d’un adieu. J’hésitai à la saisir avant de me rappeler que nous œuvrions ensemble. Je la serrai, entre réticence et reconnaissance. Tu t’apprêtas à partir quand Loki fusa d’un bond vers toi.

Il eut ce geste qui me pétrifia sur le moment, que je n’arrivais pas à concevoir malgré ce tableau trop réel. Il te prit dans ses bras et te serra fort. J’aurais dû comprendre ce que ça signifiait, mais la brume dans mes yeux m’aveuglait trop.

C’est ainsi que se solda notre brève collaboration. Dans l’aigreur et la confusion.