24 août 2069

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Cinq. J’avais compté dans ma tête : la fenêtre d’obscurité entre le passage de deux faisceaux de projecteurs. Cinq secondes, ce fut le temps qu’il me fallait pour me ruer contre le grillage. Un antique grillage qu’une malheureuse pince suffit à ébrécher. La sécurité était minimale sur ce site secondaire de Blue Sun. Arborant le nom d’une opaque filiale, nous n’aurions d’ailleurs jamais su qu’ils y cachaient ces systèmes relais sans tes informations.

Je dus sortir un pistolet à EMP pour neutraliser un drone veilleur, mais ne rencontrai pas d’autre résistance. Je me faufilai jusqu’à une entrée dérobée et pénétrai l’édifice comme un moulin. Tu avais pris soin de faire un double lorsque tu étais intervenue en maintenance sur ce site, plusieurs mois avant. Je me sentais fière : une agente secrète qui réalisait avec brio ses premières missions, en oubliant que je devais ma réussite à ton aide.

Après une courte recherche, je dénichai l’unité que tu nous avais décrite et y connectai mon portable.

Tu nous avais expliqué le fonctionnement de Blue Sun : les informations de la compagnie étaient évidemment stockées sur leurs serveurs principaux, au sein de leurs locaux de Blue Lyon, mais aussi sauvegardées en Chine, à la Barbade, dans le Deleware et en Irlande. L’un pouvait connaître une défaillance ; pas grave, les données étaient copiées ailleurs. Mais il existait une faille : ces serveurs relais que je m’apprêtais à attaquer. Ils effectuaient la jonction entre l’instance mère et ses rejetons éparpillés aux quatre coins de la planète. Saboter cette faiblesse donnerait à Loki accès à l’ensemble des transits et empêcherait à Blue Sun de pouvoir récupérer ses précieuses datas.

Toi, tu étais de service ce jour-là. Tu fermerais les yeux sur les alertes lorsque le module que j’avais installé grillerait le système de sécurité. Tu invoquerais la négligence ; tu croirais à une défaillance classique des capteurs et, ne repérant rien d’autre après scan, tu classerais l’alerte sans plus d’investigation. Bien sûr, tu serais limogée pour ça, mais tu t’en fichais tant que le plan réussissait, disais-tu.

Pendant ce temps, je me retrouvais là, accroupie dans ce recoin sombre et inconfortable, à attendre le feu vert de Loki pour lancer la procédure.

— À toi, siffla sa voix dans mon écouteur.

Sans hésitation, je pressai cette touche entrée sur laquelle mon doigt tremblait. Mon souffle s’était tu dans ma poitrine, les battements de mon cœur recouvraient le ronronnement des machines. Le moment de vérité. Le moment où le monde changerait ou celui nous aurons échoué en essayant.

— Ça marche… ça marche vraiment, putain !

La fébrilité dans sa voix me fit sourire. C’était celle du Loki des bons jours. Et moi aussi, je pouvais applaudir avec joie les commandes d’exécution qui s’affichaient sur l’interface.

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Mon sourire dégringola.

— Attends, attends, Loki, il se passe quoi, là ?

— Tout va bien.

— Non, tout ne va bien pas bien ! C’est pas des données financières, ça !

Et ça continuait. Les noms défilaient à une vitesse sidérale, mes yeux humains ne pouvaient pas suivre, ne pouvaient rien faire pour enrayer cette course funèbre.

— Je sais, répondit sa voix éteinte, navrée.

L’ordi glissa de mes genoux. Je reculai à quatre pattes, comme si m’éloigner de l’arme du crime pouvait me faire oublier. Je réalisai que c’était ce qu’il avait prévu – ce que vous aviez prévu ? – et qu’il n’avait pas jugé bon de me mettre au courant.

— T’es malade ! Arrête ça tout de suite, Loki !

Mes suppliques le laissèrent de marbre.

Finalement, je rattrapai le portable en désespoir de cause, mais il était trop tard. Il avait pris la main et j’eus beau m’évertuer à forcer l’arrêt, le programme ne me répondait plus. Il ne restait qu’une porte de sortie : ce câble à la merci de mes doigts.

— Je vais débrancher, Loki. Je sais que t’as bossé comme un forcené pendant des mois là-dessus, mais je ne peux te laisser faire ça.

Ma voix chevrotait, la sienne demeurait imperturbable.

— Peu importe. La connexion a été établie au moment où tu as lancé l’opération. Il n’a rien que tu puisses faire. Je suis désolé de te prendre au dépourvu, mais tu n’aurais jamais approuvé.

Comment avait-il osé ? Comment avait-il pu sceller ainsi mon destin, le sien et celui de millions de personnes ? Réduite à l’impuissance, les sanglots pour seul renfort, je me recroquevillai, tandis que la machine persévérait dans son génocide.

— Pourquoi Loki ? Pourquoi ? Ce sont des gens – des vies !

— Des vies ? Arrête, même toi tu n’y crois pas. Ces gens sont morts et enterrés. Ce que Blue Sun agite, c’est un ersatz d’animéité. Des pantins qui dansent au bout de leurs fils. Des pales imitations qui envoient des selfies au bord du joli lagon bleu imaginaire, pour rassurer leurs proches encore de ce bas-monde. À une autre époque, on aurait brûlé ces sorciers pour leurs actes de nécromancie. À quoi ça rime une existence qu’une copie de toi vivra, hein ?

— Tu peux pas nier que ça reste un progrès technologique incroyable, plaidai-je entre mes larmes. Une lueur d’espoir pour ceux qui n’ont pas eu la chance de vivre dignement.

— Justement. Et si au lieu de se réfugier dans l’attrait de ces paradis virtuels, on se sortait les doigts du fion pour refaire de notre terre un éden ? Tu vas me dire que c’est trop tard ? Moi je te dis que tant qu’il y a espoir d’anéantir des parasites comme Blue Sun, alors l’humanité peut se relever et revoir un vrai soleil.

Il coupa la com. Ce furent ses derniers mots.

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