Chapitre 4

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Quand Ace arriva à l'université, son visage était aussi fermé et inexpressif qu'une pierre. Il avait passé une mauvaise nuit, Vanessa n'avait cessé de hanter ses pensées. Il n'avait pu trouver le sommeil qu'à une heure avancée, pour se faire réveiller en sursaut par son réveil. Autant dire qu'il appréhendait la journée qui l'attendait.

L'Espagnol repéra ses amis devant la faculté. Il s'alluma une cigarette tandis qu'il les rejoignaient. Il devait se calmer sur la nicotine, il fumait de plus en plus ces temps-ci.

— Comment vas-tu aujourd'hui ? le salua Abby.

— Pas d'humeur, grogna-t-il en retour.

Abby et Mathew s'échangèrent un regard surpris.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Je n'ai pas envie d'en parler.

Abby vint se placer devant Ace pour le forcer à la regarder.

— Tu ne vas pas être grognon toute la journée alors lâche le morceau et on n'en parle plus.

— Tu veux pas me foutre la paix un peu ?

La jeune femme lui fit un grand sourire.

— Si ça arrive, sache que c'est très mauvais signe. J'aurais probablement attrapé une maladie incurable qui m'empêcherait de parler.

Ace arqua un sourcil et Matthew gloussa derrière elle.

— Une simple extinction de voix suffirait, Abby.

— Ne vous liguez pas contre moi, vous deux ! s'écria-t-elle en les menaçant de son doigt. Et toi, parle !

Elle l'enfonça dans le torse de son ami.

— J'ai vu Vanessa, hier. Elle veut officialiser notre relation.

Abby pinça ses lèvres pour ne pas rire.

— Je croyais que c'était clair entre vous ? fit remarquer Matthew.

Ace souffla la fumée qui emplissait ses poumons.

— On peut parler d'autre chose ? J'en ai déjà eu assez d'hier.

Ses amis hochèrent la tête. Ils se rendirent au cours de droit public, matière qui ne passionnait pas du tout Ace : le professeur était soporifique au possible et la matière peu intéressante, rendue complexe par le système de Common Law.

Pour couronner le tout, Ace aperçut Vanessa au rez-de-chaussée. Son esprit s'échauffa quand il repensa à son comportement de la veille. Il tenta de chasser ces souvenirs, sans succès. Devait-il s'excuser ? Plus il y réfléchissait, plus cela tombait sous le sens. Mais d'un côté, il rechignait à le faire. La jeune femme lui avait bien envoyé quelques messages la veille au soir, mais il n'avait pas répondu. Devait-il faire comme si rien ne s'était passé ? Ou devait-il purement et simplement mettre fin à leur relation ? Le dernier choix le séduisait plus, il n'aurait pas à se mouiller de trop. Mais cela n'excuserait en rien ce qu'il avait fait. Avait-il réellement fait quelque chose ? Il ne savait plus trop, tout se bousculait dans sa tête, ce qui ne manqua pas de lui provoquer un facheux mal de crâne.

Mal de tête qui s'accentua pendant le cours. Il avait du mal à se concentrer sur le cours, que le professeur, un homme bedonnant d'une cinquantaine d'années, le crâne dégarni et portant des lunettes carrées trop grosses pour sa tête, présentait d'une voix monocorde. Soudain, il fit une pause dans ses propos incohérents et indiqua que le cours était terminé. Les quelques étudiants dispersés dans la salle papillotèrent des yeux, et commencèrent à ranger leurs affaires lorsque Mr. Johnson les apostropha.

— Je sais que vous êtes pressés de quitter cette pièce le plus rapidement possible mais il y a quelque chose dont je souhaite vous parler.

Les étudiants se jetèrent des coups d'œils interrogatifs. Ace sentit poindre la mauvaise nouvelle.

— Comme vous le savez sans doute, l'université est attachée à certaines valeurs comme l'entraide et la générosité entre autres. C'est donc dans cette optique que j'ai le plaisir de vous présenter le programme « Échange et Apprentissage » dont je suis le président. Celui-ci a été mis en place il y a déjà quelques années et j'ai obtenu l'accord du doyen de la faculté pour reconduire cette expérience cette année. Étant votre professeur, votre participation est obligatoire !

Un brouhaha d'indignation s'éleva dans la salle.

— Je le déteste, chuchota Ace.

Abby haussa les épaules. Il fallait attendre d'avoir plus d'explications, peut-être était-ce une bonne chose.

— Bien, maintenant, laissez-moi vous indiquer en quoi cela consiste. Vous devrez produire un court mémoire sur le sujet de votre choix et une soutenance en rapport avec vos cours de l'année, peu importe les matières sur lesquelles vous souhaitez travailler (Ace redressa la tête : pourra-t-il choisir du pénal ?). Vous aurez accès à toutes les ressources de votre choix. Ce travail devra être réalisé en binôme avec un étudiant de quatrième année.

Il fit une pause, et Ace crut le voir sourire.

— Bien entendu, les groupes sont déjà constitués.

Une vague de protestation retentit à nouveau, mais le professeur ne releva pas.

Ace soupira en se balançant sur sa chaise. Il ne savait pas ce qui était le pire : rédiger un mémoire qui lui prendrait le peu de temps libre qu'il avait, ou travailler avec un type qui n'allait rien faire. Il croisait les doigts pour ne pas tomber sur ce genre de personne. D'autant plus qu'il devra sympathiser.

— Votre écrit et votre oral pourront prendre la forme que vous voulez, reprit Mr. Johnson. Le principal est que vous mettiez en pratique les connaissances que l'équipe enseignante vous a transmises au cours de ces deux années à la faculté. Mais rassurez-vous, nous n'allons pas vous lâcher dans la nature comme ça : un professeur sera votre référent et vous aidera tout au long de votre projet.

— Pour quand devons-nous l'avoir terminé ? demanda un étudiant.

— Tout dépendra de vous. Libre à vous de soumettre votre travail au jury dès que vous l'avez terminé. Le délai butoir est le début de votre session d'examens.

— Qui sont les étudiants qui travailleront avec nous ? interrogea Ace d'une voix forte.

— Je vous les communiquerai dans quelques minutes. Juste avant, je tiens à préciser que demain après-midi sera banalisé. À la place, vous devrez vous rendre à la bibliothèque universitaire pour faire la rencontre de votre binôme et réfléchir à votre sujet.

Ace fit retomber la chaise sur ses quatre pieds. Entre ses séances à la salle, son boulot à la Jouvay et le nouveau travail que venait de leur coller Mr. Johnson, il n'allait plus avoir une minute à lui. Il posa son front contre la table et souffla.

Arriva le moment où Mr. Johnson annonça les binômes. Un silence religieux planait dans la salle tandis qu'il les énumérait chacun leur tour. Il demanda Ace, qui leva la main pour se signaler.

— Mr. Cruz, vous serez avec Tyler Scott. Comme vous êtes bon élève, j'espère que vous réussirez à le motiver un peu.

Tous les étudiants se retournèrent dans sa direction : certains affichaient un air étonné, d'autres lui lançaient un regard compatissant. Abby se retourna brusquement dans sa direction et lui donna un coup de coude avant d’écarquiller les yeux.

Mais Ace s'en foutait. Il n'avait retenu que la dernière phrase du professeur. Il réalisa qu'il allait devoir se charger de tout le travail s'il ne voulait pas se récolter une mauvaise note. Il voulait crier de frustration.

Lorsqu'enfin, Mr. Johnson les libéra, Ace rangea rapidement ses affaires et quitta la salle. Abby et Matthew durent courir derrière lui pour le rattraper.

— Ace, attends-nous ! s'écria Abby. Putain, j'y crois pas !

— Quoi ? demanda-t-il sévèrement en se tournant.

— Tu sais qui c'est, Tyler Scott ? Bien sûr que non, ricana-t-elle, sous le coup de l'excitation. Il a redoublé sa troisième année, mais c'est pas le plus important. Le plus important, Ace, c'est que c'est un putain de canon ! C'est genre, le mec le plus friqué et le plus beau de la faculté. Et crois-moi, je ne suis pas la seule qui le pense. Toutes les filles rêvent de finir dans son lit !

— Je dois comprendre que toi aussi.

Mais Ace riait jaune. Abby souffla bruyamment et derrière elle, Matthew rougit avant de baisser la tête, sous l'oeil inquisiteur d'Ace.

— Ne dis pas n'importe quoi. D'après les rumeurs qui courent, Tyler ne se contenterait pas que des femmes, si tu vois ce que je veux dire...

— Je m'en fous que ce soit un gosses de riches doublé d'un homo, d'un bi ou de quoi que ce soit d'autre. Ce que je retiens, c'est qu'il a redoublé son année et qu'il risque de faire foirer la mienne !

— Tu exagères un peu...

Mais Ace n'écoutait déjà plus. Il se dirigeait vers la sortie, laissant en plan ses amis. Il n'avait jamais demandé à participer à ce fichu programme et à défaut, il aurait préféré le faire seul.

La matinée avait mal commencé, l'effet boule de neige était lancée et la journée était loin d'être terminé.

XXX

— Tu peux me dire ce qui ne va pas ? résonna pour la première fois la voix d'Andreï depuis qu'il avait rejoint Ace à la salle.

Au volant de sa voiture, le Russe jeta un regard à son ami qui s'enfonça un peu plus dans son siège. Il tourna la tête pour observer le paysage à travers la vitre.

— Ne me prends pas pour un con, je sais très bien quand ça ne va pas, Ace. Et depuis quelques jours, c'est de pire en pire.

— Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? J'y peux rien si tout va de travers en ce moment.

— Et qu'est-ce qui va mal, cette fois ?

Ace préféra ne pas relever ces derniers mots, il ne voulait pas en plus se fâcher avec son meilleur ami. Il se contenta de lui retracer un rapide résumé de l'annonce de Mr. Johnson et du projet.

— Et tu penses que ce Tyler ne t'aidera pas ? demanda Andreï quand il eut fini. Lui aussi est tenu par la note.

— J'en suis même sûr. C'est un fils-à-papa qui n'a même pas besoin de faire des études !

— Mais tu ne l'as pas encore rencontré, répliqua le blond. Comment tu peux le savoir ?

— Comment veux-tu qu'il en soit autrement ? Je les connais ces gens-là, ils n'ont aucune conscience de la valeur de l'argent et du travail.

Andreï préféra changer de sujet car il n'obtiendrait rien en allant sur ce terrain, Ace était trop borné.

— Quand est-ce que vous vous voyez pour commencer à travailler ?

— Demain après-midi. Il faut qu'on commence à réfléchir à un sujet.

— Tu m'as dit qu'un professeur vous sera attitré. Il pourra t'aider et si jamais tu te rends compte que l'autre ne travaille pas, tu pourras lui en parler. Il fera quelque chose.

— Peut-être, réfléchit Ace.

Andreï lança un regard réconfortant à son ami. Quelques secondes plus tard, ils arrivèrent chez eux.

Cette nuit-là, un cauchemar agita le sommeil d'Ace.

Un homme suivait un sentier qui serpentait entre des tombes. Ace reconnut le cimetière de sa ville natale, Morristown. Il pleuvait des cordes mais le jeune homme ne semblait pas s'en apercevoir, bien que ses vêtements fussent imbibés d'eau. Il finit par s'arrêter devant une pierre tombale. Un bouquet de roses avait été déposé. Les fleurs luttaient difficilement contre le vent violent et quelques pétales étaient éparpillés autour de la tombe. Le garçon resta quelques temps debout. Soudain, il tomba à genoux, et se mit à pleura. Prostré sur la pierre froide, les larmes ruisselaient sur son visage, se mêlant à la pluie. Il serrait tellement fort le marbre poli que ses jointures devinrent blanches.

Il resta ainsi de longues minutes, son corps parcouru de violents sanglots. Il frissonna, chassa de sa main l'eau qui lui brouillait la vue et caressa du doigt la stèle. Il colla sa joue chaude contre la froideur de la pierre. Il aurait tant aimé sentir une dernière fois sa peau tiède et pouvoir se blottir contre elle.

— Je te demande pardon, maman, chuchota-t-il. J'ai essayé de réaliser mon rêve, notre rêve, mais j'ai échoué. Je ne veux plus de cette vie...

Le jeune homme leva son visage vers le ciel et cria de toutes ses forces. Il hurla son désespoir, sa haine et sa tristesse. Lorsque le silence retomba sur le cimetière, l'homme ne bougeait plus.

Des écritures, ternies par le temps, étaient gravés sur la stèle.

Isabella Cruz

(1975-2017)

« À l'épouse, la mère et l'amie merveilleuse que tu as été. Ton sourire et ta joie de vivre resteront à jamais gravés dans nos cœurs. »

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