Chapitre 11

7 minutes de lecture

Ace ne savait pas s'il avait bien fait d'inviter Tyler chez lui ce week-end. Il avait proposé ça sur un coup de tête, parce que rien d'autre ne lui était venu en tête afin de se faire pardonner. Il ne savait même pas si, finalement, l'acceptation de Tyler signifiait qu'il ne lui en voulait plus. Il aurait peut-être dû se taire. Le regard inquisiteur du blond l'avait déstabilisé. Il prenait toujours des mauvaises décisions lorsqu'il ne réfléchissait pas. Il était trop tard pour se rétracter, cela signerait la fin de leur collaboration. Qui plus est, il passerait pour un couard et il n'en était pas question.

Lui qui était de nature secrète, faire venir un presque-parfait-inconnu chez lui le mettait mal à l'aise. Surtout que Tyler n'avait certainement pas l'habitude des petits appartements du Queens. Sa chambre devait certainement faire le triple de la sienne. Ace secoua la tête. Qu'en avait-il à faire de ce qu'il penserait ? Il ne dirai rien ou Ace se chargera de lui faire fermer sa petite gueule d'ange. Il n'avait qu'à pas accepter de venir.

Non, ce qui le préoccupait le plus était le pourquoi du comment ; il ne comprenait pas vraiment ce qui l'avait poussé à faire cela. D'ordinaire, il se moquait éperdument de l'impact de ses mots. Mais il était un camarade de travail ; pour cela, Ace avait plus de bienséance à son égard.

Une paire de fesses surgit dans son champ de vision lorsqu'il releva la tête de ses affaires. Il leva les yeux sur une Abby tout sourire, assise sur la table.

— Je t'ai vu discuter avec Tyler avant qu'il ne parte, lança la jeune femme de but en blanc. Ça va mieux entre vous ?

Ace fit une petite moue.

— Mouais, non. On va dire que c'est moins dur qu'au début.

— C'est déjà pas mal, s'exclama Matthew. Il devrait se sentit privilégié, il fait désormais partie du très restreint cercles de connaissances d'Ace Cruz.

Ace lui lança un regard désapprobateur.

— Tu ne vas pas t'y mettre toi aussi.

— Tu lui as dit quoi ?

— On t'a déjà dit que tu étais trop curieuse, Abby ?

La jeune femme ne répondit pas, se contentant de le fixer. Ace soupira.

— Je l'ai invité à venir à l'appart'.

— Quoi ?

Abby avait crié dans la bibliothèque. Matthew émit un sifflement entre ses dents.

— Eh bien, pour une surprise... Il nous a remplacés, c'est ça ?

— Dites pas de conneries, grogna Ace.

Il se dirigea vers la sortie, ses amis sur les talons.

— Pourquoi ? Explique-nous, Ace ! Comment ça se fait qu'il peut venir chez toi ? On a mis deux mois avant que tu ne nous invites et lui, en une semaine, c'est fait !

— Arrête de faire ta crise de jalousie, Abby. J'avais... une dette avec lui. Et puis, pourquoi je n'aurais pas le droit de l'inviter ?

— Je ne suis pas jalouse ! renchérit-elle. Je suis surprise.

— C'est ça, railla Ace.

Ils arrivèrent sur le perron et Ace sortit une cigarette.

— Et sinon vous, ça avance ?

— T'as intérêt de tout nous raconter, lança Matthew.

Son sourire en coin indiqua à Ace qu'il le taquinait, se positionnant du côté d'Abby juste pour l'embêter. Ou peut-être juste parce qu'il aimait être au côté d'Abby.

— Ça roule pour moi ! Même si le beau mec qui m'accompagne ne m'aide pas pour me concentrer, souffla Abby, tout sourire.

Elle arracha la cigarette des lèvres d'Ace. Il se laissa faire, lui adressant un regard appuyé auquel elle répondit en lui tirant la langue.

— Morgan, c'est ça ? Je crois que c'est un ami de Tyler.

— Ça m'étonne pas. Vous ne trouvez pas qu'ils se ressemblent ? demanda Matthew.

Ils se comprirent.

— Raison de plus pour se le mettre dans la poche !

Les deux garçons levèrent les yeux au ciel. Ils reçurent chacun un coup de poing dans l'épaule. Ace tira sur sa cigarette en jetant un coup d'œil à Matthew. Il était peut-être resté stoïque lorsqu'Abby avait évoqué Morgan mais le sourire qu'arborait son ami ne le trompait pas.

— Bon, je dois y aller, je travaille ce soir.

Ace salua ses amis avant de jeter le mégot dans une poubelle. Pour le moment, il devait oublier Tyler. Il avisera en temps voulu.

XXX

— Я ухожу Ace, увидимся вечером !

Ace s'empressa de rejoindre Andreï avant qu'il ne quitte l'appartement.

— Encore merci de me laisser l'appart.

— Ne t'inquiète pas, répondit Andreï en souriant. Vous allez bosser votre mémoire et je ne veux pas vous déranger.

— Tu es sûr ? Tu dois aussi avancer sur ton projet... On ira dans le salon ou dans ma chambre.

— Justement, je vais rejoindre des amis pour en discuter. Sans doute qu'on ira se changer les idées par la suite. Tu devrais en faire autant, de temps en temps, ajouta-t-il d'une voix douce.

Ace se contenta de hausser les épaules. Il n'aimait pas trop sortir, être entouré d'inconnus. S'il pouvait y échapper, alors il ne s'en priverait pas.

— Bon, j'y vais ! s'exclama Andreï. Sois patient avec Tyler, cette fois-ci.

— Je sais, ronchonna son ami. Trabajo esta noche, probablemente comería antes que tú.

Andreï hocha la tête et disparut dans l'escalier. Ace parcourut le salon du regard ; un brin de ménage s'imposait.

Il rangea la pièce principale, débarrassant la table basse des bouquins qui appartenaient à son colocataire. Il nettoya également la cuisine et l’îlot central et fit la vaisselle. Il avait prié son meilleur ami de le laisser faire. Il le mettait à la porte, c'était la moindre des choses.

Ace lui avait parlé de sa petite « altercation » avec Tyler et, comme à son habitude, Andreï avait joué son rôle de père qui rabroue son fils. Il avait toujours été comme ça : bien qu'il était le plus réfléchi des deux, Ace était toujours parvenu à l'entraîner dans ses mauvais coups. Depuis qu'ils étaient à la faculté, les deux jeunes hommes s'étaient calmés. Ils n'évoluaient plus dans le monde protecteur de l'enfance et étaient maintenant responsables.

Néanmoins, Ace ne lui avait pas tout dit, omettant quelques détails quant à la véritable nature de leur dispute. Il lui avait avoué être en tort et lui avait expliqué qu'il avait invité Tyler pour se faire pardonner. Andreï en avait été surpris mais il avait tout de suite approuvé l'idée. Par ce geste, Ace acceptait de laisser entrer Tyler dans sa vie, et Andreï espérait que cela lui permettrit de s'ouvrir un peu aux autre.

Lorsqu'Ace eut terminé de ranger sa chambre, il avisa l'heure qu'il était ; il avait encore le temps de prendre une douche. Il se glissa sous l'eau chaude. Ses muscles se détendirent et il en profita pour souffler un peu. L'entraînement d'hier avait été rude, il avait repoussé ses limites et il en payait le prix.

Il s'était plongé dans le sport alors qu'il n'avait que dix-sept ans, pour tenter de faire le deuil de sa mère. Il s'était inscrit à la boxe en plus de la salle de sport. Cela avait été libérateur, il pouvait enfin concentrer toute sa haine vers une seule et même cible : le sac de frappe devant lui. Il y allait tous les jours, et restait jusque tard le soir, au détriment de sa scolarité. Andreï l'avait très vite accompagné, pour le surveiller et pour le soutenir. Il avait lui aussi fini par y prendre goût.

Même si la douleur s'était peu à peu amoindrie, elle était encore vive. Il avait réussi à remonter la pente, mais il sentait qu'il pouvait glisser à tout moment.

Pendant les mois qui suivirent les funérailles, Ace avait été un véritable robot. Il alternait entre phases de colère terrifiante et phase de déconnexion de la réalité. Il lui arrivait de se murer dans un silence des jours durant avant d'exploser à nouveau de rage. Il devenait alors une tornade de douleur incontrôlable, manquant de tout renverser dans son sillage. Son père et sa sœur en avaient beaucoup souffert. Il s'en était souvent pris à eux, se dressant contre l'autorité paternelle. Il ne supportait plus rien, ni personne. La relation fusionnelle qu'il détenait avec sa mère était telle qu'il s'était senti mourir en même temps qu'elle.

Ace ne put retenir la larme qui glissa au coin de son œil. Elle roula lentement sur la peau bronzée de sa joue, pareille à la caresse d'une mère, avant de continuer sa chute et de tomber sur sa poitrine, à l'endroit où battait son cœur.

Lorsque les souvenirs d'Isabella ressurgissaient et qu'ils étaient trop forts, Ace éclatait en sanglots parfois, versait une larme, toujours. Si Tyler n'était pas censé venir, s'il avait été seul cette après-midi, sans doute qu'Ace l'aurait passé prostré dans son lit, s'abandonnant à la nostalgie. Trois ans après, elle lui manquait toujours. Elle lui manquerait toujours.

Mais Ace s'obligea à redresser la tête, à finir de se rincer et à sortir de la douche. Il devait faire front. Penser au présent, même si cela signifiait penser à Tyler. Lorsqu'il se regarda dans la glace, il ne vit qu'un jeune homme aux cheveux bruns, aux yeux verts et à la peau bronzée. Tant de traits que sa mère lui avait transmis. Il s'était forgé une carapace, ses muscles n'en étaient que la preuve. Il avait ensuite recouvert son armure de tatouages, qui racontaient son histoire, qui il était réellement : un enfant terrassé par le chagrin, un ado empli de haine, un animal apeuré.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Alex’s_18 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0