Chapitre 19
Un cri aigu retentit dans la cafétéria de la faculté, s'attirant les regards des étudiants présents.
— C'est génial !
— Moins fort, Abby, tout le monde nous regarde, la rabroua Ace.
— C'est méga super incroyable !
Elle se pencha vers lui.
— Je t'avoue qu'on n'y croyais pas vraiment, avec Matt. T'es têtu comme une mule.
— Peut-être que notre Ace a un cœur, finalement.
Leur ami poussa la jambe de Matthew qui se rattrapa au bord de la table pour ne pas tomber. Son gobelet de coca-cola frôla dangereusement le pull blanc de la jeune fille.
— Les gars, faites attention !
Ils gloussèrent ce qui leur valut un regard noir.
— N'empêche je suis super contente pour toi ! Et puis, je pourrais enfin voir Morgan sans te le cacher.
Ace leva les yeux au ciel.
— À nous les soirées dans la grosse villa de Tyler !
— En fait, tu voulais que je me réconcilie avec lui seulement pour ton petit bonheur.
— Bien sûr. Mes intérêts avant ceux des autres.
Elle lui envoya un baiser volant qu'il fit mine d'esquiver.
— En parlant du loup, tu en es où avec son ami ?
— Sur notre petit nuage. Je vous jure, tout se passe bien, trop bien, même. Peut-être qu'il y a anguille sous roche mais je ne veux pas y penser. Il est très attentionné avec moi. Et puis, je vous le dis, niveau cul, c'est incroyable !
— Abby, prévint Matthew.
— Mais vraiment, insista-t-elle. Il sait faire des choses à mon corps que moi-même je ne pensais pas possible...
— Abby ! tonna cette fois Ace en se plaquant les mains sur les oreilles.
— Oh ça va ! Ce n'est pas comme si vous parliez jamais de ça entre vous. Je suis même certaine que vous vous êtes déjà envoyées votre engin pour les comparer.
Les deux garçons la regardèrent avec le même air de dégoût peint sur le visage.
— Tu nourris beaucoup de préjugés.
La jeune femme lança un regard lourd de sens à Matthew. Sentant la blague salace venir, il se jeta sur elle pour plaquer la paume de sa main sur sa bouche. Elle faillit tomber de la table sur laquelle était assise mais il veillait. Son bras derrière le dos la retint.
Ace les regarda se chamailler. Ils avaient une amitié bien plus solide qu'il n'avait avec eux. Il savait qu'Abby se confiait plus facilement à Matthew qu'à lui. Il avait déjà du mal à gérer ses émotions, comment aurait-il pu être d'une quelconque aide ? Mais cela ne le dérangeait pas, au contraire. Matthew était une oreille attentive, surtout en ce qui concernait Abby.
L'heure tournait, ils se rendirent à la bibliothèque universitaire. Ils avaient rendez-vous avec leur professeur référent pour leur projet.
Les amis se séparèrent, Abby rejoignit son beau brun – comme elle aimait l'appeler. Morgan se pencha pour lui chuchoter quelque chose. Un sourire se dessina sur le visage de la jeune femme tandis que ses doigts cherchèrent ceux de son compagnon. Ace secoua la tête avant de se diriger vers le fond de la salle. Bien entendu, Tyler n'était pas encore arrivé. L'Espagnol bascula sa chaise sur deux pieds et prit son téléphone.
À : Tyler
2h07 pm : Toujours en retard.
La réponse fut immédiate.
De : Tyler
2:08 pm : ;)
Il soupira. Il allait devoir endurer le caractère effronté du blondinet s'ils voulaient rester amis. Un ricanement franchit la barrière de ses lèvres. N'avait-il pas le même tempérament ? Pire encore. C'était certainement pour ça qu'il n'avait pas pu le supporter dès le départ : il se retrouvait en lui, son besoin de toujours affronter les autres. Là où il y allait frontalement, Tyler le faisait toujours sournoisement, comme si c'était un jeu.
Ace avait conscience que son ami voulait que leur relation grandisse. Le voulait-il lui aussi ? Et jusqu'à quel point ?
Il ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait en ce moment. Il avait haï si fort cet homme quelques jours plus tôt et aujourd'hui, le voilà devenu ami avec lui, échangeant même des blagues par messages. Il devait admettre une chose : Tyler le fascinait autant qu'il l'exaspérait. Preuve en est, il n'avait pas réussi à le détester suffisamment pour le rayer de sa vie. Ses multiples facettes jouaient en sa faveur : il avait l'impression de ne jamais faire face au même Tyler, il n'arrivait pas à le cerner, à anticiper ses actions, ses réactions, son comportement.
Quand Tyler se décidait à ne pas être un idiot, il s'avérait être un bon ami. Il n'avait qu'à repenser à la fois où ils étaient sur le balcon, avant toute cette histoire. Il s'était réellement senti apaisé par la présence du blond, loin de l'inconfort qu'il pouvait ressentir avec les autres.
Sentant quelqu'un approcher, il sortir de ses pensées. Ms. Pierce se dirigeait vers lui. Comme la dernière fois, elle était habillée très élégamment : elle portait un pull à col roulé blanc qui tranchait avec ses cheveux d'ébène, un pantalon évasé noir et un long manteau à épaulettes. Ace se redressa sur sa chaise, comme s'il souhaitait faire bonne impression.
— Ace, comment vas-tu ?
— Très bien et vous ?
— Prête pour vous aider répondit-elle en s'installant. Votre camarade n'est pas encore arrivé.
C'était plus une affirmation qu'une question. Elle croisa les jambes et sortit des papiers de sa sacoche.
— Profitons en pour apprendre à se connaître un peu plus. J'ai demandé ton dossier à la scolarité, avoua-t-elle. Je dois dire qu'il est impressionnant en termes d'attentes scolaires. Mais j'ai remarqué que tu as eu des difficultés au lycée...
Ace serra les dents. Mais la professeure le regardait avec une bienveillance non feinte. Elle fit une pause, pour lui laisser le temps de se confier s'il le souhaitait.
— Oui, j'ai... j'ai mal vécu mes années au lycée, surtout avec mes professeurs. Il y avait pas mal d'aversion entre nous.
Elle hocha la tête en lui souriant.
— L'adolescence n'est facile pour personne. C'est le moment où on commence à s'affirmer, à forger notre caractère et notre libre-arbitre et où on prend conscience de certaines injustices.
— C'est ça, souffla Ace.
Il connaissait bien l'injustice et ce sentiment d'impuissance. Il avait vite compris dans quel monde il évoluait.
— J'ai également vu que tu as fait une licence en langue étrangère*... (elle fouilla dans sa mémoire), sur l'histoire et le patrimoine espagnol, il me semble.
— C'est ça. Mes... parents sont espagnols alors c'était facile pour moi.
Elle rit devant l'air d'Ace.
— Je me doute ! Tu as bien fait. En tout cas, tes résultats sont excellents.
— Merci.
— Pour recentrer un peu plus sur le présent, la faculté est là pour te transmettre tout le savoir nécessaire à l'exercice du droit. Néanmoins, si je peux te donner un conseil, il ne faut pas faire l'impasse sur la méthodologie et surtout, l'analyse. C'est un peu comme si vous étiez devant un puzzle : tu cherches à le résoudre pour que le dessin apparaisse. Les connaissances. Mais quand tu le commences, tu vas déjà placer les coins puis les bords. Plus le puzzle a de pièces, plus il est difficile de commencer par le centre, n'est-ce pas ? Eh bien ce que nous cherchons à faire naître et grandir chez nos étudiants, est la culture méthodologique. Sans elle, les connaissances ne servent à rien puisque vous n'avez pas appris à les appliquer. Tu comprends ?
— Je pense oui.
Ms. Pierce sembla satisfaite.
— Alors tu as déjà fait la moitié du chemin ! Travaille, persévère et beaucoup de portes s'ouvriront face à toi.
Elle lui fit un clin d'œil, auquel il répondit par un petit sourire.
— Ah, enfin le voici ! Il ne faudrait pas que ça devienne une habitude, jeune homme ! s'exclama-t-elle soudain.
Ace se retourna, croisa le regard de Tyler qui était déjà posé sur lui. Il détailla son visage, ses yeux azur qui le fixait, ses cheveux tombant librement sur son visage. Il détourna la tête, mal à l'aise.
— Je vous promets que je serai à l'heure la prochaine, Ms. Pierce !
— Il serait idiot de votre part de tenir des promesses que vous savez ne pas pouvoir tenir. Et je ne parle pas forcément vis-à-vis de moi.
Une sensation étrange emprisonna le ventre d'Ace, qui leva les yeux. Ils se posèrent immédiatement sur le blond. Il fut surpris de retrouver ceux de son compagnon posé une nouvelle fois sur lui. Un coup de chaleur souffla sur son visage.
— De quoi étiez-vous en train de parler avant que mon arrivée ne vous interrompe ?
— Rien qui ne te regarde, jeune homme. Commençons plutôt à travailler. Où en êtes-vous dans votre mémoire ?
Le jeune homme soupira. Il récapitula leurs recherches, Ace comblait les trous.
L'après-midi passa rapidement, Ms. Pierce ne leur laissa aucun répit. Lorsqu'il arriva pour elle le temps de les quitter, elle leur demanda de réfléchir à la forme que prendrait leur oral, ne serait-ce que pour avoir une idée. Elle pouvait être multiple, le principal était qu'ils prennent du plaisir, leur rappela-t-elle. Mais quelque chose d'original serait toujours vu d'un meilleur œil qu'un vulgaire diaporama projeté.
Elle leur souhaita bon courage et s'éloigna, sa pile de dossiers sous le bras.
— Bien ! s'exclama Tyler en frappant la table de ses mains. J'aimerais te proposer une proposition.
Ace leva un sourcil.
— Tu ne peux pas « proposer » une proposition puisque...
— Shhht, tais-toi, ne ruine pas ma bonne humeur, s'il te plaît.
L'Espagnol souffla un « ok » dans sa barbe. Il commençait à s'habituer à l'humeur particulière du blond.
— J'aimerais inaugurer notre nouvelle amitié en t'invitant une journée chez moi. Dimanche, par exemple. On pourrait bosser le matin et sortir l'après-midi, par exemple.
Ace arrêta de ranger ses affaires. Passer toute une journée chez Tyler, seulement tous les deux, sans personne comme échappatoire s'il n'arrivait plus à supporter son exubérant ami ? D'autant plus qu'il devait rattraper les cours qu'il avait manqués.
Tyler comprit la raison de son hésitation.
— Je t'aiderai à réviser. C'est un peu à cause de moi si tu es en retard, je te dois bien ça.
Ça, c'était bien vrai. Il jaugea du regard son camarade, comme s'il voulait mesurer à quel point il était sincère. Il lui fit un clin d'œil, Ace soupira, ce qui provoqua un petit rire. Il se surprit à esquisser un sourire qu'il tenta de camoufler.
— C'est d'accord, accepta-t-il d'une voix bougonnante.
— Parfait ! Tu connais déjà l'adresse, ça ira plus vite. À dimanche, alors !
Ace hocha la tête. Il regarda son nouvel ami s'éloigner. La chemise qu'il portait laissait entrevoir la silhouette de son dos qu'il ne pensait pas aussi marquée. Il imagina Tyler torse nu, la fine trace d'abdominaux qu'il devait avoir et...
Il écarquilla les yeux et regarda autour de lui, comme si quelqu'un avait été témoin de ce qu'il avait vu. Honteux de ses pensées, il s'empressa de ranger ses affaires et sortit de la bibliothèque.
* Afin d'intégrer une école de droit aux Etats-Unis et être diplomé·e d'un Juris Doctor qui permet d'exercer en tant que juriste, il est nécessaire d'obtenir un bachelor's degree, l'équivalent d'une licence dans n'importe quel domaine. Il y a également un examen d'entrée (Law School Admission Test).
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