Chapitre 24

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La semaine défila à une vitesse folle, entre les examens qui s'étaient enchaînés et les révisions pour le lendemain. Ace n'avait pas eu le temps de souffler, la tête plongée dans les bouquins. Lorsqu'enfin il sortit de la salle de son dernier partiel, il soupira de soulagement. Le plus dur était derrière lui, maintenant, place aux vacances d'hiver.

Mais avant cela, il avait rendez-vous avec Tyler. Il n'avait aucune idée de comment allait se passer l'après-midi. Il s'était senti plus libéré lors de la dernière fois, quand ils étaient sortis. Mais il y avait toujours ce poids qui pesait dans sa poitrine lorsqu'il devait le retrouver et il n'arrivait pas à s'en débarrasser. Le fait qu'il allait venir à l'appartement y était pour quelque chose : il s'imposait des obligations, comme s'il allait être responsable de tout ce qui allait se passer. Réussirait-il à le mettre à l'aise ? Allaient-ils bosser correctement ? Il dormit très mal cette nuit-là, malgré la fatigue des examens.

Il fut réveillé aux aurores par Andreï qui se préparait pour aller en cours. Dès qu'il entendit la porte d'entrée claquer, il sauta de son lit, même s'il aurait pu faire la grasse matinée. Il petit-déjeuna dans le salon, devant la télé. Il voulut saisir la télécommande mais son geste trop brusque lui fit renverser son café.

— Joder !

Il s'empressa d'enlever toutes les affaires et de nettoyer. La journée commençait mal. Il s'emporta contre lui-même lorsqu'il n'arriva pas à éponger correctement le reste de la boisson, s'énerva un peu plus lorsqu'il se cogna contre l'îlot central de la cuisine.

Il décida d'aller prendre une douche pour calmer ses nerfs à vif. Cela n'aida pas plus. Alors il décida de changer complètement de plan. Il n'avait pas le temps d'aller à la salle de sport aujourd'hui mais il avait besoin de se défouler et de se vider la tête. Alors, il se changea, prit ses écouteurs, les clés de l'appart et descendit les escaliers quatre à quatre. Une fois dans la rue, il se dirigea vers le parc non loin de là. Courir était peut-être la solution, bien qu'il n'avait pas l'habitude.

Trois tours du parc plus tard, il devait bien se rendre à l'évidence : il n'arriverait pas à évacuer le stress qu'il l'envahissait. Il rentra chez lui, prit une nouvelle douche pour évacuer la sueur qui dégoulinait dans son dos et s'affala sur le canapé. Il mangea devant une série en attendant l'heure fatidique où Tyler devait arriver.

XXX

Ace se maudit lorsqu'il vit sa main trembler au-dessus de la poignée de la porte d'entrée. Il l'ouvrit plus fermement, faisant sursauter Tyler.

— Salut !

— Hey. Pasa por favor.

— Gracias.

La surprise d'Ace se lut sur son visage.

— Tu parles espagnol ?

— Seulement les bases que j'ai apprises au lycée, c'est tout, ricana-t-il en se déchaussant. J'ai étudié le français et l'espagnol mais j'avoue que j'ai très peu de restes de cette dernière.

— Mes parents nous ont appris l'espagnol, à ma sœur et moi, depuis que nous sommes tous petits et en échange, on leur a enseigné l'anglais. Mon père n'a jamais réussi à perdre son accent.

— Ça doit lui donner un charme, lança Tyler avec un clin d'œil. j'ai apporté de quoi grignoter si on a un petit creux.

Ace saisit le paquet de cookies en le remerciant. Les deux amis avancèrent dans le salon, Tyler reprenant peu à peu connaissance des lieux.

— J'aime bien quand tu parles espagnol. Tu devrais le faire plus souvent.

— No hay problema. ¿Quieres que te quite el abrigo ?

— Sí, por favor.

Il se sourirent tandis que Tyler lui tendit sa veste. Puis, il leur servit une bière et partir dans la chambre du brun pour travailler.

— Est-ce que le loup est censé te représenter ? demanda Tyler en désignant le tableau au-dessus du lit.

Ace haussa les épaules.

— Je ne sais pas. Parfois, j'aimerais moi aussi me perdre dans les montagnes, loin de tout. Me couper du monde trop envahissant et épuisant.

— Moi, je ne pourrais pas. La solitude me fait peur. J'ai besoin de voir du monde et d'être entouré, sinon je me sentirais comme un lion en cage.

Le regard d'Ace se perdit dans le vague. Soudain, il se retrouva cinq ans en arrière, et le chagrin lui noua la gorge.

— Quand ma mère est morte, je suis resté enfermé dans ma chambre des jours entiers. Je ne mangeais plus, je ne dormais même pas (il eut un petit rire incontrôlé). C'était comme si, comme si j'étais mort de l'intérieur. La solitude ne me fait pas peur, au contraire, elle est devenue ma meilleure compagne et il m'arrive de vouloir la chercher. Au moins, je n'ai pas besoin de faire semblant quand je suis avec elle.

Il sentit la main de son ami lui serrer l'épaule.

— Je suis désolé, je ne savais pas...

Aussitôt, Ace se dégagea. Il croisa le regard peiné de Tyler et ce qu'il lut le dégoûta. C'était cette même lueur de pitié qu'ils avaient tous lorsqu'il en parlait. Il l'avait vu pour la première fois le soir où le médecin leur avait annoncé le décès d'Isabella. Un regard dégoulinant de compassion et de tristesse feintes, et qui passerait à autre chose dès qu'il aura tourné le dos. Ace ne voulait pas de leur compréhension, il ne voulait pas qu'on le regarde différemment et qu'on le traite comme un pauvre enfant qui a perdu sa mère.

— Je sais. Je ne te demandais pas de le savoir. Ça ne sert à rien de me regarder comme ça et ne me dis pas que tu comprends.

Tyler cligna des yeux plusieurs fois devant le ton dur de son ami.

— Je ne peux pas comprendre ce que tu as vécu, je suis d'accord. Mais je sais ce que c'est d'avoir des parents absents, qui préfèrent te confier à une nourrice plutôt que de s'occuper de toi, qui préfèrent leur travail à leur enfant unique. C'est déjà très dur d'avoir à vivre ça alors je n'ose pas imaginer ce que tu as dû traverser.

— Tu compares sérieusement ta petite situation au décès de ma mère ? ricana Ace d'un rire mauvais.

— Non, bien sûr que non. Je n'ai pas dit ça, j'ai...

— Tu sais quoi, laisse tomber, ça vaut mieux. Mettons-nous au travail.

Ace s'empara de ses affaires sur son bureau et ne leva plus le nez de son ordinateur.

Les garçons travaillèrent dans une atmosphère pesante, ne se parlant que très rarement. Ils s'étaient répartis les tâches et depuis, chacun s'était muré dans son silence. Tyler finit par en avoir marre, il alla chercher le paquet de gâteaux et en tendit un à Ace, qui le refusa.

Le blond soupira.

— Je suis désolé si je t'ai blessé tout à l'heure, je ne voulais pas... tenta-t-il.

Son ami ne lui répondit pas, ne lui jeta même pas un regard.

— Pourquoi tu n'arrives pas à concevoir que quelqu'un veuille juste t'aider ?

— Je n'ai pas besoin de ton aide, rétorqua Ace, acide.

Il n'arrivait pas à s'en empêcher : il ne voulait pas être aussi méchant avec Tyler mais une rancœur inexplicable s'était installée dans son cœur. Il ne voyait en cette main tendue qu'un moyen pour lui de se moquer un peu plus de lui.

— Je n'ai jamais dit que tu en avais besoin. Il faut que tu arrêtes de croire que tout le monde est contre toi, qu'on te juge en permanence et qu'on a pitié de toi.

Ace se leva du lit d'un bond et se posta devant le blond. Il n'arrivait pas à le croire, il était vraiment en train de lui faire des reproches ?

— Tu comptes me faire la morale ? Si je voulais parler à quelqu'un, j'irai voir un psy, je me fous de tes pseudo-conseils, cracha-t-il.

Le regard de Tyler se durcit.

— Tu te sens toujours obligé de tout faire foirer comme ça ? Tu ne peux pas accepter pour une fois l'idée que les gens qui t'entourent veulent juste t'apporter leur soutien, sans arrière pensée ? Tu te sens vraiment au-dessus de tout le monde !

Ace n'en croyait pas ses oreilles. C'était un comble, venant de sa part.

— Tu te prends pour qui ? rugit-il. Si t'es pas content, personne ne te retient. Je te signale que c'est toi qui voulais qu'on devienne amis, je n'ai rien demandé, moi. Tu arrives sur tes grands chevaux, avec ton air supérieur et tu te permets de donner ton jugement sans arrêt.

Tyler ne broncha pas, peu impressionné.

— Tu sais quoi, Ace, va te faire voir. Tu ne changeras jamais et je n'ai pas envie de perdre un peu plus mon temps avec toi. Va retrouver ta chère amie la solitude, vas-y. Quand tu comprendras tout le mal que tu fais autour de toi, il sera trop tard pour revenir en arrière et t'excuser.

La colère d'Ace explosa dans son cerveau. Comment osait-il lui parler avec ce ton condescendant ? Il n'avait fait que ça, en vérité, ce petit con prétentieux se croyait au-dessus de lui.

Dans un accès de rage, Ace poussa Tyler qui trébucha et tomba sur le lit. Ace se jeta sur lui, retenant le coup qui manquait de partir.

La voix de Tyler lui parvint à travers un épais brouillard tant ses oreilles sifflaient.

— Tu vas faire quoi ? Me frapper ? Vas-y, fais-le.

Il serra les dents. En cet instant, il le haïssait plus que tout. Il détestait son air suffisant qu'il affichait en permanence, il détestait sa confiance en lui, il détestait ses cheveux blonds comme le blé dans lesquels il avait envie d'enfouir ses doigts, il détestait ses yeux bleus dans lesquels il aimait se perdre, il se détestait de le trouver si beau. Alors, il fit ce qu'il avait rêvé de faire depuis tout ce temps.

Ace fondit sur les lèvres de Tyler. Leurs dents s'entrechoquèrent sous la violence du geste. Et ce fut une explosion de saveurs et de sensations.

Il crut que son cœur allait s'arrêter. Tout son corps frissonna de plaisir quand le blond lui rendit son baiser. Leurs lèvres se cherchèrent un temps, hésitantes. Elles se séparèrent pour se retrouver, leurs souffles se lièrent. Ace força le barrage pour trouver la langue de son ami qui soupira de plaisir. Ils finirent par s'éloigner, contraints par le manque d'air.

Un sourire naquit sur le visage de Tyler.

— On peut dire que c'est notre premier baiser ?

Ace ne répondit pas parce qu'il n'arrivait pas à formuler une pensée cohérente. TOut ce qu'il voulait, c'était retrouver le goût sucré des cookies que Tyler avait mangés. il l'embrassa nouveau. Il n'aurait jamais pensé que ses lèvres puissent être aussi douces. Il l'embrassa à nouveau. Cette fois-ci, leurs mains ne furent pas en reste. Des doigts couleur caramel s'approchèrent d'un cou de neige, tandis que d'autres se faufilèrent sous un t-shirt et glissa sur une peau plus chaude qu'un brasier. Le parfum fruité du blond flottait autour de lui, l'enivrant comme jamais auparavant.

Ace s'affala inconsciemment sur Tyler, leurs corps se touchèrent. Une vague d'eau gelée anéantit les flammes dans son corps lorsqu'il prit conscience de l'excitation de son ami contre sa cuisse. Il sursauta comme si la foudre l'avait frappé et recula précipitamment, arrêté par le mur derrière lui. Tyler se redressa. Son expression changea, ses yeux s'assombrirent.

— Ace...

Sa voix posée se répercutait dans le cœur d'Ace. Il s'approcha, les mains tendues devant lui comme s'il se tenait face à un animal sauvage apeuré.

Le brun haletait bruyamment, il avait mal à la poitrine, la tête lui tournait et sa vue se brouillait. Il détourna brusquement le regard lorsque Tyler l'appela à nouveau. Il voulait lui dire de ne pas approcher, de le laisser tranquille mais les mots se bloquèrent dans sa gorge.

— Ace, parle-moi.

Il savait qu'il se tenait juste devant lui, à quelques centimètres. Il pouvait sentir son souffle s'échouer sur son visage.

— Va-t-en.

— Pardon ?

Il referma les poings, s'empêchant de croiser son regard de peur d'y succomber à nouveau.

— Va-t-en, répéta-t-il d'une voix robotique. Prends tes affaires et pars, maintenant. S'il te plaît.

Il maudit sa voix tremblante.

— On devrait discuter, je...

— Qu'est-ce que tu ne comprends pas ? Je t'ai dit de partir.

— Ace, parle-moi s'il te plaît. Je sais que ça peut être dur...

— Dejame Tyler.

Sa voix était sèche. Il déglutit et affronta son ami. Il voulut fuir son regard si magnifique, emprunt de tendresse. Il ne pensait pas ce qu'il disait. Au contraire, il voulait que Tyler reste, qu'il le prenne dans ses bras, qu'il l'embrasse à nouveau, qu'il lui dise que tout ira bien. Mais il savait qu'il n'y arriverait pas.

— S'il te plaît, le supplia-t-il.

Tyler se mordilla la lèvre, indécis. Il ne savait pas qu'elle était la meilleure décision à prendre. Il avait peur que s'il parte maintenant, il le perde pour toujours. Mais il ne put se résoudre à désobéir. Pour une fois, il allait l'écouter. Il fit un pas, hésita, mais se résigna. Alors il rassembla ses affaires à la hâte sans cesser de jeter des regards à la dérobée. Le visage d'Ace était aussi inexpressif qu'une pierre. Mais ses yeux le trahissaient.

Avant de quitter la pièce, Tyler se retourna une dernière fois :

— Ne dresse pas une nouvelle fois une barrière entre nous, Ace. Je t'en prie.

La porte qui claqua fut le signal. Ace s'effondra au sol. Il fixa un point devant lui, le visage de Tyler encore imprimé sur la rétine. Quelque chose glissa sur sa joue. Quand il l'essuya du revers de la main, il comprit que c'était une larme. Aussitôt, ses yeux s'embuèrent et il renifla bruyamment.

Il avait embrassé Tyler. Et il avait adoré ça.

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