Chapitre 43
Ace attendait Tyler sur le quai de la gare. Il regarda l'heure sur sa nouvelle montre. Le train partait dans cinq minutes et le blond n'était toujours pas là. Il soupira, il ne changerait jamais. Il avait intérêt à avoir une bonne excuse, cette fois-ci.
Il releva la tête et aperçut au loin un type qui courait, traînant sa valise derrière lui. Il reconnut son compagnon qui lui faisait un geste de la main. En pus d'être en retard, il faut qu'ils se tapent la honte.
— Désolé, désolé, désolé, s'écria-t-il quand il arriva à sa hauteur. J'ai failli oublier un truc méga important, j'ai dû demander à Georges de faire demi-tour à mi-chemin. Et bon anniversaire !
Il lui sauta au cou et l'embrassa.
— C'était quoi ? grogna Ace en prenant sa valise d'une main pour la hisser dans le wagon.
Il s'étonna du poids de celle-ci. Ils ne partaient que deux jours, pas tout un mois.
— Un truc de Mr. Parfait.
— T'es invivable, vraiment.
Il s'installèrent, Tyler prit le siège côté vitre.
— Je te jure que j'étais parti à l'heure.
Ace s'affala à côté de lui, et croisa les bras sur sa poitrine.
— Je suis bien obligé de te croire.
Le blond s'appuya contre lui. Il passa une main sous son bras et attira sa main dans la sienne.
— Alors, c'est le grand jour, souffla-t-il.
— Oui. J'espère que tu es prêt.
— Qui dois-je redouter le plus ?
— Cassie, rétorqua-t-il sans hésiter. Elle te harcèlera jusqu'à ce qu'elle sache tout. Et crois-moi, elle obtient toujours ce qu'elle veut.
— Peut-être parce qu'elle a un père et un frère au cœur trop tendre.
Ace lui jeta un regard en coin et ils s’esclaffèrent. Ce n'était pas une des qualités les plus connues de l'Espagnol.
— Tu n'as pas peur de la réaction de ton père ? reprit Tyler.
— Non. Je pense qu'il a compris la dernière fois que je ne parlais pas de n'importe qui.
— Ça lui fera quand même bizarre. Je ne pense pas qu'il s'en doutait.
— Non, ça c'est clair.
Tyler n'arrêta pas de parler le reste du trajet, synonyme chez lui de stress. Il ne tenait pas en place, et Ace avait bien du mal à en caler une. Alors, il le laissait déblatérer sur tout et n'importe quoi et se contentait de l'écouter. Il y a quelque temps, il aurait maudit celui qui avait l'audace d'échanger des paroles avec lui. Aujourd'hui, il couvait son ami d'un regard tendre pendant qu'il s’extasiait devant les paysages. Peut-être n'y était-il pas habitué, il devait sans doute voyager plus souvent en avion.
Arrivés dans la petite gare de Easton, ils prirent le bus qui devait les emmener jusqu'à la maison familiale. Le trajet fut pire encore, Tyler était une vraie pile électrique, malgré les remarques de son ami.
Ce n'est qu'une fois avoir mis le pied à terre devant l'allée que le blond devint brusquement silencieux. On aurait dit qu'il avait été congelé par le froid tant il était immobile.
— Tout ira bien, je te le promets, le rassura Ace derrière lui.
— Tu vas peut-être rire, mais je n'ai jamais rencontré les parents de mon... de quelqu'un que je fréquentais, souffla Tyler. Je ne sais pas si je serai à la hauteur.
— Ne dis pas de bêtises, cariño. Reste-toi même et laisse-moi m'occuper du reste. Tu n'as rien à craindre, il a enduré bien plus que la visite d'un petit blanc-bec prétentieux.
— Moque-toi, vas-y.
— Par contre, ne dit rien en espagnol. Je suis pas sûr de pouvoir te sauver s'ils entendent ton accent ignoble, grimaça-t-il.
Tyler lui balança son poing dans le bras. Ace rit aux éclats.
— Allez, viens.
Il glissa sa main dans la sienne. En vérité, Ace était aussi stressé que lui. Techniquement, son père ignorait le vrai lien qui les unissaient, Tyler et lui. Il pouvait tout aussi bien avoir une réaction bien différente de ce qu'il espérait.
Il sonna. Leurs cœurs battirent à l'unisson quand ils entendirent du mouvement à l'intérieur.
La porte s'ouvrit et une tête châtain fit son apparition.
— Papá ! Ils sont arrivés !
Puis, elle tourna son attention vers son frère.
— Joyeux anniversaire ! hurla-t-elle en se jetant dans ses bras.
Ace la porta et embrassa sa joue.
— Merci, minipousse.
— Cassie, descends, tu n'as plus huit ans. Et laisse ton frère entrer, bon sang. Je te le répète à chaque fois.
Quand il reposa sa sœur au sol, Ace croisa le regard de son père.
— Bon anniversaire, hijo.
Ils s'échangèrent une accolade. L'Espagnol se racla la gorge et se tourna vers le blond à ses côtés.
— Papá, je te présente Tyler, mon... petit-ami.
Les yeux du blondinet étincelèrent et un immense sourire illumina son visage.
— Bonjour, monsieur. C'est un plaisir de faire votre connaissance.
Ace scruta le visage de son père. Il ne laissait rien paraître, mais ses yeux avaient un éclat chatoyant.
— Moi aussi. Ce n'est pas tous les jours que je rencontre des amis de mon fils. Encore moins quelqu'un d'aussi spécial que toi.
— Et moi, je suis sa sœur, annonça d'une voix sèche Cassie.
Elle lui tendit également la main qu'il serra. Puis, elle sourit de toutes ses dents.
— Ne t'inquiète pas, je ne te mangerai pas. Je t'avoue que je suis surprise, je ne pensais pas qu'Ace aimait les garçons. Mais on en a discuté avec papá . Lui, il avait déjà deviné mais il m'a fait promettre de ne rien dire et d'attendre qu'Ace l'annonce.
— Tu as la langue bien pendante, aujourd'hui, jeune fille, gourmanda Felipe.
— Dis donc, lança-t-elle en direction de son frère, il est vachement beau ton copain !
Ace rougit violemment.
— Tais-toi minipousse !
Le paternel rit de bon cœur avant de les inviter à entrer. Tyler ralentit devant les cadres photos dans le couloir avant de suivre le paternel jusque dans le salon. La table avait été dressée.
— Le déjeuner est prêt, on sera plus à l'aise que dans la cuisine.
C'est alors qu'Ace remarqua que son père et sa sœur s'étaient apprêtés pour l'occasion. Cassie avait enfilé une robe et Felipe avait sorti une chemise du fond de l'armoire. Il se sentit touché de l'attention qu'ils portaient à Tyler.
Ils passèrent à table. Pendant tout le repas, Felipe évoquait les souvenirs d'enfance de son garçon : il raconta des anecdotes plus embarrassantes les unes que les autres, ce qui provoqua l'hilarité de sa sœur et de Tyler. Quand Ace lui demanda pourquoi il s'acharnait sur lui, il lui rétorqua que c'était la première fois qu'il pouvait parler de son fils à quelqu'un d'autre qui n'était pas de la famille. Il en était fier et il n'allait pas se priver. L'Espagnol, ému, ne lui fit plus aucun reproche et encaissa silencieusement les rires moqueurs, un vague sourire aux lèvres.
Tyler leur parlait de son côté de sa vie à New-York avec ses parents, et de la faculté. Ils ne purent échapper à la question la plus importante et ce fut Cassie qui la posa :
— Vous vous êtes rencontrés comment ?
Les deux compères s'échangèrent un regard. Une lueur de malice dansait dans les yeux du blond mais Ace lui fit les gros yeux.
— C'était à la bibliothèque de l'université. Il a été mon camarade pour un projet.
— Celui dont tu m'as parlé rapidement quand on s'est eus au téléphone ? demanda Felipe.
Ace hocha la tête.
— Au début, ton frère ne m'aimait pas du tout. Il y a eu...
— On ne va pas tout leur dévoiler non plus, grogna Ace en finissant son verre de vin.
— Laissons-leur leur jardin secret, Cassie.
À la place, la jeune fille leur raconta sa semaine de cours au lycée. Elle parla à nouveau de son ami de classe, David. Felipe ne dit rien mais échangea un regard avec son fils. Il n'était pas dupe, mais respectait pour le moment la vie privée de sa fille. Pour le moment.
Quand le dessert arriva – un énorme gâteau au chocolat fait par la boulangerie du coin, Felipe n'avait pas voulu tenter le diable – ils chantèrent la célèbre chanson. Puis, Ace souffla les bougies et tous applaudirent.
— Est-ce que je peux vous poser une question délicate ? demanda Tyler quand Felipe lui servit une part.
— Fais attention à ce que tu vas dire, ricana-t-il en lui souriant.
— La femme en photo au-dessus de la cheminée, c'est votre épouse ?
Le silence s'abattit subitement. Les yeux du vieil homme et du blond se croisèrent. Felipe se rassit à sa place. Ace baissa la tête sur son assiette.
— C'est exact, confirma-t-il d'une voix posée. Ace t'a parlé de sa mère ?
— Vous savez comment il est... Mais je m'excuse si je vous ai offensé, je ne voulais pas être impoli, ajouta-t-il précipitamment.
— Ne t'inquiète pas Tyler, tu n'as rien fait de mal. C'est normal que tu demandes et tu as le droit de savoir. Isabela est décédée d'un cancer du sein il y a bientôt cinq ans, maintenant. Il a été diagnostiqué tardivement et malgré une ablation, les chirurgiens n'ont pas réussi à retirer toute la tumeur. Il y a eu des métastases et...
— Je suis désolé.
Felipe lui sourit.
— Ne le sois pas, tu n'y es pour rien.
Une boule se forma dans la gorge d'Ace. Ressasser les souvenirs lui faisait toujours aussi mal. C'était comme si la plaie dans son cœur se remettait à saigner à chaque fois. Il prit une inspiration discrète, se focalisa sur la présence de Tyler qu'il pouvait sentit à côté de lui.
— J'ai cru comprendre qu'elle était importante pour Ace, je veux dire, évidemment puisque c'était sa mère mais...
Il sentit tous les regards sur lui. Il garda la tête baissée.
— Ils avaient une relation fusionnelle, oui. Ça ne s'explique pas.
— Il l'adorait, ajouta Cassie. On l'aimait tous mais c'était différent pour lui.
Elle tendit le bras par-dessus la table pour serrer la main de son frère.
— Elle était mon monde.
Sa voix rauque le surprit lui-même.
— Je me suis dit qu'on pourrait se rendre au cimetière. J'aimerais beaucoup la rencontrer, si vous me le permettez.
Cette fois-ci, il releva les yeux. Il croisa ceux de son père.
— Eh bien, je n'y vois aucun mal. Vous pourriez y aller demain. Mais la décision revient à Ace.
— Je...
Il se racla la gorge pour chasser la tristesse.
— Si tu veux.
Le sourire que lui adressa le blond réchauffa le creux de son ventre. Il était certain qu'il avait le bon choix.
Après le dessert, vint l'heure des cadeaux. Felipe et Cassie n'avaient eu que faire des supplications d'Ace de ne rien lui offrir, ils tenaient à lui faire un petit quelque chose. Ils lui tendirent un paquet qui refermait un cadre photo dans lequel Felipe avait inséré une photo d'eux trois. Ainsi, ils seront toujours près de lui, même à New-York. Ace était si ému qu'il eut toutes les peines du monde à se retenir alors quand il vit Tyler revenir avec un cadeau entre les mains, il retint sa respiration pour ne pas flancher.
— Joyeux anniversaire.
— Tu n'étais pas obligé, souffla-t-il, la gorge nouée.
— Je sais.
Seule la présence de sa famille le retint de l'embrasser. Il ne le méritait pas. En même temps que cette pensée se forma dans son esprit, une autre s'y intercala. Il était son petit ami. Une bouffée de fierté le submergea.
Il se saisit du cadeau et l'ouvrit. Il se fit violence pour le faire décemment, et ne pas arracher le papier cadeau avec ses doigts. Son cœur battait à mille à l'heure, que pouvait-il bien renfermer ?
Ses yeux s’agrandirent de stupeur quand il ouvrit le couvercle. Il leva la tête. Les yeux du blond brillaient d'émotion. Il lui avait offert la veste qu'il avait refusé d'acheter lorsqu'ils étaient allés en centre-ville, quelques mois plus tôt.
— Tu ne m'avais pas dit que tu l'avais prise, murmura-t-il.
— Bien sûr que je ne te l'ai pas dit, idiot. Ça n'aurait plus été une surprise.
— Mais comment tu as fait ? Quand est-ce que tu es allé la chercher ? Et comment tu as su que c'était bientôt mon anniversaire ?
— J'y suis retourné le lendemain. Je ne savais pas trop quand je te l'offrirai, mais je savais que j'en aurais l'occasion, un jour.
Ace resta silencieux, le regard fixé sur la veste. Il caressa le cuir du pouce, comme s'il n'y croyait pas vraiment.
— T'es content ? hésita Tyler en passant la main dans ses cheveux. Parce que je crois que c'est trop tard pour la ramener.
— Évidemment que je suis content.
Dans un geste, il l'attira contre lui et le serra dans ses bras. Il plongea son nez dans son cou et raffermit sa prise autour de son torse.
— Merci, chuchota-t-il contre sa peau.
Tyler lui caressa la nuque. Ace s'empressa de l'essayer quand ils se séparèrent.
— Tu as vraiment d'excellents goûts, Tyler ! complimenta Cassie. Je comprends maintenant qui se cache derrière le nouveau bonnet de mon frère.
Il lui fit un clin d'œil.
— On est fait pour s'entendre alors !
— À deux, on fera un excellent travail pour le relooker.
— Je suis ici, je vous rappelle.
Cassie tapota gentiment son épaule comme pour signifier qu'elle l'aimait, malgré son manque de goût vestimentaire.
Felipe regarda ses enfants se chamailler, un sourire aux lèvres et les yeux brillants de bonheur. Cela faisait si longtemps que la maison n'avait pas abritait autant d'éclats de rire. Il tourna la tête vers la cheminée et leva son verre au portait qui le fixait. Elle observait ses enfants de là où elle se trouvait, et il était certain qu'elle ressentait la même fierté qui l'étreignait à cet instant.
Ils passèrent l'après-midi à jouer aux jeux de sociétés. Le soir, Felipe et Cassie laissèrent le couple seul. Ace en profita pour faire visiter la ville à Tyler. Ils prirent la voiture de Felipe et lui fit découvrir les souvenirs de son enfance : son lycée, le skatepark où ils rejoignaient ses amis, même la crèche où Cassie était allée et la boulangerie où son père achetait tous les dimanches des viennoiseries.
Ils se rendirent ensuite au bar et passèrent la soirée à discuter. Ace observait Tyler rire à la blague qu'il avait faite, le sourire aux lèvres. Il ne s'en lasserait pas, il en était certain. Il ne se lasserait jamais de sa présence, de ses caresses, de sa voix, de lui. Il l'avait laissé entrer dans sa vie et maintenant, sa disparition laisserait un vide béat dans sa poitrine. Il sut qu'il devait le garder près de lui, pour toujours, jusqu'à ce que son ami se lasse de lui. Il espérait que ce jour n'arriverait jamais. Il lui avait offert une place dans sa vie, mais Tyler l'eut avait donné bien plus : il lui avait offert son cœur.
Ils ne rentrèrent pas trop tard mais Felipe et Cassie dormaient déjà. Ils essayèrent de ne faire aucun bruit quand ils se glissèrent dans la chambre d'enfance de l'Espagnol.
Comme à chaque fois qu'ils dormaient ensemble, Tyler se blottit dans les bras d'Ace. Il enfouissait toujours son visage dans son torse, passait une jambe sur la sienne et le laissait le recouvrir de ses bras. Mais cette fois-ci, Ace referma plus fort son étreinte. Il le serra contre lui, l'enveloppa de son corps, comme une coquille. Il sentit son souffle le chatouiller, la présence du blond satura ses sens. Il adorait cette sensation, c'était comme s'il n'existait plus que lui, comme s'il était son monde. Il était son monde. Le blond posa une main sur son avant-bras. Il avait compris.
Ce soir-là, pour la première fois, il ne s'endormit pas en proie au deuil. À la place, un visage aux yeux bleus, un sourire aux lèvres, lui tint compagnie. Un visage qu'il voulait revoir le lendemain.
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