CHAPITRE 8: FÉVRIER
Le 3 février
Ça y est, j'ai passé la première après-midi à l'hôpital, et j'ai promis à l'équipe que je les rejoindrai tous les mercredis après-midi et certains samedis.
Même si ça a été dur au début, je sens que je peux être utile à ces gens. En effet, c'est difficile de voir des personnes en souffrance, et ça devrait l’être plus encore pour moi qui ai perdu ma mère de cette terrible maladie. Mais quelque chose d’étrange, une force en moi, me fait dépasser ce qui fait tellement peur aux gens. Je n'arrive pas à expliquer comment je mets cette distance, tout en me rapprochant intimement de ces personnes.
Charles m'a reparlé de cette bonté naturelle qu'il voyait en moi et n'a pas semblé étonné de ce qu'il appelle « le miracle de la vocation ».
Je suis resté perplexe mais ces mots m'ont touchée…
Le 8 février
C'est déjà le début des vacances de février. J'ai dit à l'hôpital que j'essaierai de passer un peu plus souvent pendant les vacances.
Je suis allée à la messe, accompagnée de Charles. Pour changer, Charles m'a amené aujourd’hui dans une église plus jeune, plus dynamique. Il savait pourtant que j’appréciais la sobriété des vieilles églises. Mais là encore, je n’ai pas été déçue ! C'était une autre vision de la foi, plus joyeuse plus vivante, avec des chants bouleversants. Ils n’étaient pas comme ceux auxquels j'étais habituée, mais ils parlaient directement à l'âme. Oui, c'était la joie qui jaillissait de cette musique si belle et si entraînante. J'avais envie de partager cette joie de vivre, d’expérimenter ce qui était dit dans ces chants.
Après la communion à laquelle, bien sûr, je ne pouvais participer, il était proposé à ceux qui le voulaient de s'approcher de l'autel et de demander qu’on prie pour eux… J'ai longuement hésité, mais j'ai fait un pas en avant et j'ai demandé la prière. Et là, je ne sais pas ce qui s'est passé. Deux personnes m’ont écouté parler de ma vie, d’où j’en étais, puis elles se sont mises à prier à voix haute. Mes résistances ont volé en éclats et j'ai fondu en larmes… et d'une manière étonnante que j'étais loin d'avoir prévue, j'en ai maintenant la certitude : je crois en Dieu. !
Je me suis tournée vers Charles. Quand il a vu mes larmes et mon air apaisé, il a tout de suite compris que j’avais trouvé la foi. Je suis tellement heureuse… c'est comme si je n'avais plus peur de rien, car je sais qu’Il me protège.
Le 10 février
Je suis retournée à l'hôpital. J'ai passé beaucoup de temps avec une vieille dame, Henriette. Elle me rappelle maman. Elle aussi a une fille unique, mais cette dernière ne la visite pas, comme moi à cause de papa. Je me rends compte maintenant de la souffrance et de la solitude qu’on éprouve dans cette situation, à ce degré de maladie. J'étais très émue, mais je suis restée forte. Ce que je n'avais pas fait avec ma mère, je le ferai avec Henriette. Je lui ai parlé de ma foi naissante. Elle a eu alors un petit sourire, et elle m'a confiée que c'était sa seule source d'espoir : un avenir meilleur, la fin des souffrances et enfin revoir ses proches partis avant elle… je lui ai promis de revenir bientôt.
Le 12 février
Je me suis rendue à l'hôpital aujourd'hui, espérant voir Henriette. Mais elle subissait des examens. J'ai vu mes autres patients, mais ce n'était pas tout à fait pareil…un lien particulier me relie à Henriette. Mais je sais que je la reverrai bientôt…
Le 14 février
Aujourd'hui c'était la saint Valentin. Je n’y avais pas fait attention. Il faut dire que c'est ma première Saint-Valentin en couple. Mais Charles, mon prince charmant, me l'a fait rappeler en beauté !
Il m'a invitée au restaurant avec une galanterie forcée qui nous a fait rire tous les deux. Et au dessert, il ne m'a pas offert une bague ou je ne sais quelles boucles d'oreilles, mais un cadeau qui m'aurait semblé bizarre il y a encore peu : une retraite spirituelle dans un monastère franciscain. J'avoue que j'ai été très étonnée. Je ne m'attendais pas du tout à cela, mais l'idée m'a plu immédiatement. Il était soulagé car il avait utilisé tout l'argent de la photo publiée dans Libération pour nous payer les deux places de cette semaine chez les franciscains. Lorsqu'il m'a dit cela, j’ai été bouleversée. Cette photo, c'était sa fierté, et c'est comme s'il me la rendait, se faisant pleinement pardonner de m'avoir volé le journal. Il n'avait pas besoin de poser un tel acte, mais il m'a répondu que cela lui faisait plaisir, et qu'il avait hâte de vivre cette retraite avec moi. Il se rendait compte qu'il me prenait un peu de court, mais j'ai été immédiatement emballée par l'idée et j’ai accepté. On part dans deux jours. J'ai hâte de vivre ce moment avec Charles.
Le 15 février
J'ai encore passé beaucoup de temps avec Henriette. Tout me semble illuminé en ce moment. Je trouve que les gens sont beaux. Même Henriette, malgré son absence de cheveux et de sourcils, malgré son corps famélique, je l'ai trouvée belle et je le lui ai dit. Elle a souri tristement, mais quand elle a vu cette joie au fond de mes yeux, elle a compris que j'étais sérieuse, et que je voyais au-delà des apparences. Elle m'a dit qu'elle aimerait avoir comme moi une foi plus joyeuse, cette force intérieure qu’elle voyait au fond de moi, une force qui pourrait déplacer des montagnes. Je lui ai répondu que je ne savais pas exactement ce qui m'arrivait. Mais j’étais pleine d'amour et d'espoir en l'avenir, et j'étais persuadée qu’effectivement il y avait quelque chose après la mort, et que si la vie est belle ici-bas, cet au-delà sera plus beau encore. Je lui ai dit que je partais demain, et que je serais absente pendant près d'une semaine. Elle était ravie pour moi, et elle m’a dit que ses prières m’accompagneraient
Le 16 février
Ça y est, on est en partance pour le monastère. Je suis excitée comme une puce, un mélange de bonheur et d'inquiétude. Comment cela va-t-il se passer ? Quand j'ai exprimé mes appréhensions à Charles, il m'a regardé tendrement, et il m'a redit : « N’ayez pas peur ». Je ne sais pas exactement dans quoi je m'embarque, mais je suis certaine que ce sera très riche, et que ça renforcera encore un peu plus ma foi naissante…
Le 21 février
Eh bien, je n'ai pas été déçue ! Je suis ravie du choix qu'a fait Charles de passer une semaine chez les franciscains. Leur spiritualité me convient tout à fait : à la fois priante et ancrée dans la réalité, une spiritualité magnifique, d'une réelle profondeur de pensée, mêlée à un véritable amour de l'homme et de la nature. Tous les jours nous avions des enseignements le matin et l'après-midi, entrecoupés de temps de prière et de messes. C'était vraiment complet et intense. J'ai longuement échangé avec un des prêtres, le père Simon. Il m'a convaincu de lire l'Évangile en commençant par Saint-Luc, car il semble être le plus simple d'accès, et de continuer par les actes des apôtres pour comprendre comment le christianisme est né, et percevoir toute l'espérance des premiers chrétiens, espoir qu'il s'agit de retrouver au quotidien. Dès que je me suis mise à lire l'Évangile, j'ai trouvé cela si beau que j'en ai pleuré.
Comme je dis tout à Charles, je lui ai parlé de cette étreinte du cœur, et il en a été très ému.
Alors que nous repartions sur Paris, nous avons beaucoup échangé sur ce que nous avions reçu. Pour Charles qui connaissait déjà beaucoup de choses sur la religion, la retraite avait été simplement intéressante. Pour moi, c'était une révolution ! J'avais commencé à lire la Bible et ma foi balbutiante semblait pouvoir résister à tout. Il était heureux pour moi, et nous nous sommes promis de prier tous les deux de temps en temps puisque dans un des enseignements, le prêtre avait cité Jésus-Christ en disant que, lorsque deux ou trois sont réunis en son nom, alors Jésus est au milieu d’eux. Je me rends compte maintenant, moi qui pensais que la foi était quelque chose d'intime, qu'on peut la partager…
Et je crois que désormais je fais partie de la communauté des chrétiens, moi la fille unique, orpheline de mère, qui avait toujours craint la solitude.
Le 22 février
Revenir au lycée a été quelque chose d'étrange après toutes les expériences que j'ai vécues durant ces vacances. Dans deux jours, je vais revoir Henriette et mes patients de l'hôpital. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me tarde vraiment. C'est peut-être le côté concret que j'ai tant apprécié chez les franciscains.
Le 24 février
Quand j'ai raconté tout ce qui m'était arrivé à Henriette durant cette semaine de retraite elle s’est montrée ravie. Elle m'a même avouée quelle était un peu jalouse du bonheur qui m'irradiait. Je lui ai dit que je serai là pour elle, et qu'elle faisait partie de ce bonheur que j'éprouve actuellement. Ce fut à son tour d'être émue. Je lui ai expliqué que j'avais été absente du chevet de ma mère, et que j'en souffre depuis plus d'un an et demi.
Elle m'a rétorquée que ce ne sont pas ceux qui partent qui souffrent le plus, mais ceux qui restent…
Elle semblait mélancolique Alors je l'ai faite rire un peu en blaguant sur le médecin responsable du département de cancérologie, du fait qu'il plaquait ses cheveux en avant pour cacher sa calvitie. Henriette est partie d’un rire franc. Et cela nous a fait du bien à toutes les deux.
Le 27 Février
La santé d'Henriette s’est détériorée.
Je n'en sais pas plus pour l'instant Mais j'avoue que j'ai assez peur. Elle est tellement fragile. Je prie pour elle tous les jours, pour que sa santé s'améliore, même si tout espoir semble vain. Je ne peux pas la voir actuellement. Donc il ne me reste plus que la prière pour la soutenir…
Dieu, protège Henriette, je t'en supplie.
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