Chapitre 1

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Sandie,

Las Vegas septembre 2012

— Planque toi ma chérie, ils arrivent ! je vais t’aider à te hisser jusqu’à la grille d’aération. Dépêche-toi, ils seront là dans cinq minutes, me dit ma mère.

— Non, il est hors de question que je te laisse les affronter seule !

— Sandie, s’il te plaît, ils ne viennent pas pour moi mais pour te prendre à moi ! Je suis déjà morte de toute façon, quoiqu’ils me fassent ce sera moins dur que ce qu'il m’attend sur des semaines ou des mois de souffrances, à cause de mon cancer.

— Mais maman...

— Sandie ! Fais ce que je te dis pour une fois dans ta vie, je t’en supplie, grimpe là-dedans !

— Maman…

— ... pitié Sandie, écoute-moi mon petit cœur, fais cela pour moi.

— Je t’aime maman.

— Plus que toi, ma puce.

— Aussi grand que le ciel et les étoiles réunis ?

— Aussi grand que l’univers.

Je grimpe jusqu’à la bouche d’aération qu’elle a pris soin d’ouvrir puis me glisse à l’intérieur, pleurant en silence sur la suite des évènements qui marqueront à jamais ma vie. Elle referme derrière moi en me tendant une grosse enveloppe cachetée, me suppliant une dernière fois que quoiqu’il arrive dans cette pièce ou ailleurs, de rester cachée. Que le silence doit être ma seule option et ma fuite ma seule motivation. Que quoiqu’il arrive maintenant, je vais devoir tout faire pour partir sans me retourner, qu’elle soit en vie ou non. Dans le deuxième cas, elle m’accompagnera et me protégera où que j’aille jusqu’à la fin de ma vie. Cette enveloppe, finit-elle, m’aidera pour les jours et mois à venir.

Quelques secondes plus tard, la poignée de la porte s’agite et des cris de colère s’élèvent derrière celle-ci, enjoignant ma mère d’ouvrir la porte. Elle se recule au fond de la loge attendant que la fureur de Caleb se déverse sur elle. La porte finit par céder, arrachant au passage une partie de l’encadrement en bois. Caleb rentre comme une furie en me faisant sursauter, mais le cri de peur de ma mère couvre le bruit de métal que ma tête rencontre. Deux hommes l’accompagnent, deux colosses, les crânes rasés et couverts de tatouages à l’effigie du club.

— Où est-elle ? hurle Caleb.

Elle ne dit mot.

— Je ne me répéterai pas, putain ! Où as-tu planqué ta petite bâtarde ?

— Elle s’est enfuie ! tu ne la retrouveras jamais ! Tu m’as eu moi et il n’a jamais été question de ma fille !

— Toi ? laisse-moi rire, tu ne vaux plus rien, tu es un sac d’os. Les clients ne te réclament plus, tu ne me rapportes plus, tu n’es qu’un déchet et ta fille doit prendre ta suite ! C’est dans l’ordre des choses, elle doit rembourser ses dettes ! Je l’ai nourrie, habillée, éduquée !

— Éduquée ? dit-elle dans un rire proche de l’hystérie, les larmes dévalant ses joues, tu lui as appris à se trémousser sur une scène, bordel ! elle n’avait que huit ans ! Elle a vu plus d’horreurs qu’elle n’aurait dû en voir ! Tu l’as frappée et humiliée, tu as détruit sa vie et la mienne. Je ne te laisserai jamais l’approcher de nouveau, jamais !

— Elle n’a plus huit ans et elle devait apprendre le métier ! Aucun homme ne l’a touchée ! Tu vas pas en faire toute une histoire pour quelques coups de fouet non ?

— Tu l’as envoyée à l’hôpital, elle n’avait que dix ans !

— Ce n’est pas de ma faute si elle ne voulait pas m’obéir ! Ici on apprend les choses à la dure, personne ne me manque de respect, je suis le Préz bordel ! On me doit allégeance !

— Oh oui, personne ne l’a touchée, tu t’en es assuré hein ? Pour pouvoir offrir sa virginité à un magnat de New York pour un peu plus de came et de filles ! Tu as vendu ma fille, espèce de salop, ma fille !

— Elle ne t’appartient plus depuis que tu as mis un pied dans mon monde, alors tu vas me dire où elle est !

Caleb l’attrape par les cheveux, à l’arrière de sa tête pour la propulser contre le miroir de la loge. La glace se brise en mille morceaux et se répand sur la coiffeuse. Il lui appuie la joue sur les débris, elle hurle de douleurs pendant que moi, je mords mon poing jusqu’au sang pour ne pas crier.

— Jamais, dit ma mère dans un murmure, jamais je ne te donnerai ma fille, plutôt mourir.

— Ne t’inquiète pas, je vais exaucer ton vœux mais sache que je la pourchasserai dans le monde entier et tu seras morte pour rien !

Il dégaine une lame de l’étui situé sur son ceinturon, la place sous la gorge de ma mère, en lui murmurant à l’oreille,

— Je vais la retrouver tu sais, elle n’aura nulle part où aller, elle ne connaît pas cette ville aussi bien que moi et mes hommes, ce n’est qu’une question d’heures. Cela vaut-il vraiment ton sacrifice ?

— Je suis déjà morte, murmure t’elle dans un souffle, depuis le jour où je t’ai rencontré. Tu n’es qu’une merde infecte sur laquelle on ne veut surtout pas marcher, de peur qu’elle nous colle sous les semelles, car tu n’apportes pas la chance mais la pourriture. Ce que tu es, c’est la définition d’un lâche qui se cache derrière son armée, un psychopathe qui n’a pas les couilles d’affronter une femme sans ses hommes, un raté. Je comprends maintenant pourquoi ta famille t’a tourné le dos, ils savaient que tu ne serais qu’un déchet…Va pourrir en enfer, Caleb, te faire sucer par le diable...

— Non, c’est toi qui pars en enfer, espèce de salope ingrate !

Avec lenteur, il tranche la gorge de ma mère qui se débat entre ses mains, je vois ses chairs s’écarter et le sang se répandre. J’entends le gargouillis de ses mots pleins du sang envahissant sa bouche, comme unique rébellion, pendant qu’il affiche un sourire des plus morbides. Il la projette au sol avec le couteau qu’il vient d’utiliser puis sort de la pièce en hurlant.

— Retrouvez là maintenant ! Magnez-vous de me la ramener avant ce soir ! Mais avant nettoyez-moi ce bordel !»

— Mademoiselle ? Mademoiselle ?

Je me réveille en sursaut, attrapant avec violence le bras de celui qui me secoue, lui mettant contre la gorge la lame que j’ai gardé sur moi, celle qui a tué ma mère et qu’ils n’ont pas pris soin de faire disparaitre.

— Hé ! Mais vous êtes malade ! crie t’il.

Je reprends pied dans le présent.

— Excusez-moi, je suis désolée... je... pardon.

— Il faut vous faire soigner ! Je voulais simplement vous informer que nous sommes arrivés au terminus, vous êtes la seule à ne pas être descendue !

Je regarde autour de moi et en effet, je suis seule dans ce bus.

— Oh mince, merci et encore mille excuses, j’espère que je ne vous ai pas fait mal ?

— Disons qu’il s’en est fallu de peu, mieux vaut ne pas vous réveiller si on ne veut pas perdre la vie, dit-il encore choqué par mon geste.

Je descends du bus, continuant toujours à m’excuser. J’évite en général de m’endormir dans des endroits publiques mais le trajet fut long. Je fais toujours le même cauchemar. Il continue encore à me hanter six ans plus tard. Combien d’années me faudra t’il pour oublier ? Combien de kilomètres et de villes devrais-je parcourir pour qu’il m’oublie. J’ai passé quatre ans à Barstow, une petite ville à trois cent kilomètres de Las Vegas, sous l’identité de Jackie Fisher.

A Barstow, j’ai rencontré des gens formidables. Pendant ces quelques années, j’en ai profité pour apprendre les arts martiaux, ne voulant plus être une victime, mais j’ai aussi commencé une formation de comptable. Malheureusement, je n’ai pas pu valider ma dernière année, le V.P de Caleb, m’a retrouvé avant. J’ai dû fuir de nouveau pour atterrir à Los Angeles, où j’y ai séjourné deux ans.

Je viens de m’enfuir de nouveau, il a été plus rapide cette fois-ci pour me retrouver, son gang s’étend, son pouvoir grandit. J’ai laissé derrière moi, une amie. Ma meilleure amie Shelby, un être exubérant, pleine d’énergie, de vie. On a ri et pleuré ensemble. Ça bonhomie cache, je suis sûre une grande douleur.

Me voici donc à Waco ! Seize heures plus tard avec un peu plus de deux mille kilomètres dans les pattes. Texas me voici !

J'espère que la distance sera assez suffisante pour que Caleb perde ma trace. Je me suis débarrassée une nouvelle fois de mon portable et en ai acheté un autre avec une carte prépayée. J'ai pris soin de garder dans sa mémoire, les numéros de tous les amis que j'ai croisé au cours de ma courte vie de fuyarde. Je me suis quelque part, rapprochée de Las Vegas. Quoi qu'à mille sept cent vingt kilomètres de distance entre ces deux points, je n'appelle pas ça se rapprocher.

J'ai dû changer une nouvelle fois d'identité et cela m'a coûté encore un peu de mes économies, trois mille euros pour des nouvelles pièces d'identité au marché noir. Je me nomme à présent Lucía Andréa. Je ne pouvais pas prendre le risque qu'il se mette à chercher Jackie Fischer en plus de Sandie Sulivan. J'ai une nouvelle perruque rousse mais cette fois-ci, j'ai retiré les lentilles qui cachées la couleur de mes yeux verts. J'en pouvais plus de les porter, parfois j'avais les yeux tellement secs, que je devais m'enfermer dans les toilettes pour me verser un peu de sérum physiologique.

Je me retrouve donc soulagée de quelques milliers de dollars en moins et un appartement à retrouver. Bon sang quelle galère ! Mais d'abord, le point le plus important un boulot. Suivant l'endroit où ce dernier se situera, je choisirai un appart pas trop loin, histoire de ne pas traîner trop dans les rues. Voir sans être vue est ma nouvelle devise ! Je dois laisser mon sac de voyage dans un endroit sûr et quoi de mieux que ce motel miteux, perdu au milieu de nulle part, avec une enseigne brinquebalante et ses néons clignotants.

A la descente du bus, j'ai commandé un Uber et lui ai demandé de me déposer dans le premier hôtel bon marché. Cela l'a fait sourire et il m'a répondu.

— Vous êtes sûre ?

Ben oui j'suis sûre abruti, avais-je envie de lui répondre mais je me suis abstenue.

Donc me voici dans le motel le plus pourri de Waco. G.E.N.I.A.L ! Après avoir récupéré le pass de ma chambre et découvert mon nid « douillé ». Je me dirige vers la douche. Seize heures dans les transports, parfois entassée dans les allées, collée à des corps transpirants. Je crois que je vais apprécier de me décrasser. En ouvrant le porte de la salle de bains, ma première pensée est que c'est elle qui a besoin d'être décrassée. Outre son carrelage dans les tons crème avec ses fleurs orange en relief, elle est composée d'un lavabo sur pied, avec une robinetterie qui a été attaquée par le calcaire et un bac ravagé de micro fissures. La baignoire n'est pas mieux, les joints l'entourant sont plus couleurs noirs moisis et la crasse à l'intérieur, me fait dire qu'elle n'a pas dû voir une éponge depuis un certain moment. Je vous passe le rideau dans les mêmes tons que le carrelage. Ils ont voulu peut-être faire une touche déco ? Après m'être déshabillée et retiré ma nouvelle perruque rousse, j'enjambe le bac et découvre que la bonde doit servir de culture à microbes, au vu des cheveux apparaissant à travers celle-ci. Beurk. Bon, fermons les yeux, dis-toi que ce n'est que temporaire. Je me mettais à la recherche d'un appart dès le job en poche.

J'allume le robinet dans le même état que celui du lavabo, on se demande comment il n'y a pas de fuite, attends quelques secondes avant de me glisser sous le jet d'eau... glacé, nom d’un chien ! Purée de moines ! C'est quoi ce délire ! Le chauffe-eau a rendu l'âme aussi ou quoi ? Faut vraiment que je me trouve autre chose. En attendant, on va serrer les dents et se laver à l'eau froide... brr... ras le bol de tout ça !

Autant dire que cinq minutes plus tard, je suis sortie de la douche, ce fut un lavage express. J'attrape la serviette qui a oublié ce qu'était la couleur blanche… décidément pff. Je m'enroule dedans et sors dans la chambre pour trouver ma tenue de nuit dans mon sac à dos. Je saute dans mon pyjama pilou pilou noir et blanc, oui j'adore les pilou pilou et tout ce qui a un rapport avec des animaux d'ailleurs, puis récupère des barres protéinées sur le côté de mon sac. Ce sera mon repas de ce soir, je ne connais pas le coin et vu qu'il est vingt-trois heures, je ne vais pas m'aventurer dans les rues sans avoir étudié le coin pour savoir s’il y a une épicerie de nuit d'ouverte. Je dégage le couvre lit qui n'est qu'une tâche, sa couleur crème est plus dans les tons tâches blanchâtres et tâches marrons, parsemées sur le dessus. S'il pouvait parler, il pourrait en raconter des galipettes. Bref, les draps ont l'air propre au moins, ils ont dû être changés. Ça ne sent pas l’adoucissant à la lavande mais on ne va pas faire la difficile. Il y a également une petite table avec une chaise sous la fenêtre à droite du lit.

J'allume la télé accrochée au mur, face au lit, au-dessus d'une commode à trois tiroirs en bois. Je zappe sur les différentes chaînes, trois pour être exact, donc un énorme choix bien entendu et m'arrête sur les infos, en grignotant ma barre céréales. Je tombe sur un reportage qui diffuse des images d'une fusillade dans un restaurant le « Twin Peaks » à Waco en mai deux mille quinze. Le bilan faisait état de neuf morts et dix-huit blessés. Trois gangs de bikers impliqués. Les forces de l'ordre bien qu'au courant de ce rassemblement, n'avaient pu empêcher le massacre qu'ils ont mis sur le compte de groupes liés au crime organisé. Super, j'ai atterri dans une ville des plus tranquilles. « Passé quand tu nous tiens. »

Deux heures plus tard, je commence à piquer du nez et décide de plonger dans les bras de Morphée, après avoir réglé le réveil de mon portable à six heures. Ne dit-on pas que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt et bien je ne dérogerai pas à cette règle demain.

Normalement, je suis un oiseau de nuit depuis toujours, donc le matin c'est fait pour DORMIR. Grr !

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