Chapitre 6
Sandie
Bon dieu ! Quel sourire ! Des fossettes se sont formées de chaque côté de ses joues. Ce mec c'est un pur régal pour les yeux, mais ce n’est pas pour ça qu'il doit me faire virer, je n’avais rien renversé sur mes clients de toute la journée et deux heures avant la fin, il vient me mettre en défaut.
— Ça te fait rire en plus mais t'es vraiment un abruti de bas étage !
— Ah ? on passe au tutoiement maintenant.
— Non mais je rêve ! Tu te gênes toi ? Et c'est tout ce que t'as retenu. T'arrives comme un pet de mouche sur une toile cirée et en plus c'est de ma faute si je bénis mon client ! fulminé-je.
— Oh ! la diva, tu calmes ta joie et tu baisses d'un ton !
— Que je baisse d'un ton, moi ! baisser d'un ton ! Mais c'est toi le thon ! lui dis-je.
Et voilà, je dis n'importe quoi, car il est très loin d'être un thon, je vous assure. On dirait plutôt une gravure de mode à faire flamber toutes les petites culottes, dont la mienne qui est en train de s'humidifier rapidement... Purée d’hormones…vivement Monsieur canard. Ce mec est aussi grand que je suis petite, bien un mètre quatre-vingt-quinze et quatre-vingt-dix kilos de muscles ; brun ; cheveux courts ; yeux bleu lagon ; des fossettes lorsqu'il sourit et que je lécherais bien... ça y est je recommence... Il a une mâchoire carrée ; un nez bien proportionné ; des lèvres plus ou moins fines, Ouch... je crois que ça va finir par être les chutes du Niagara dans mon string si je ne me calme pas. Je resserre discrètement mes jambes l'une contre l'autre pour essayer d'apaiser le feu qui m'envahit. J'entends un rire à côté de moi et tourne la tête. Anton se tient dans l'allée et ne peut plus se retenir de rire, je dirais même qu'il en a les larmes aux yeux. Je ne savais pas que j'étais aussi hilarante, j'ai dû louper ma vocation tout compte fait. Et l'autre grande gigue qui me fixe et qui a aussi l'air de bien se foutre de moi.
— Non mais c'est quoi le délire, Anton ! Ça te fait rire qu'un crétin renverse les boissons sur tes clients, c'est une perte sèche de quinze dollars, dis-je toujours aussi énervée.
Plus je m'énerve, plus ça les fait rire tous les deux et même si le rire du grand dadais est irrésistible, j'ai les nerfs en pelote.
— Bon c'est bon les clowns, le spectacle est terminé vous pouvez sortir de scène et me laisser nettoyer les dégâts de guignol.
Non mais ce n’est pas vrai, arrêtez-les ! Tous les clients nous matent maintenant. Pour passer discret, je repasserais ! De colère, je lui aplatis le plateau sur le crâne. Oh pas très fort, rassurez-vous, juste assez pour qu'ils arrêtent de rire mais je crois que j'ai provoqué encore plus leur hilarité.
— Bon parfait, j'me casse, j'en ai assez entendu... j'crois que vous m'avez saoulée pour le reste de la journée. Tchao, Bello... tu n'as pas à me virer, c'est moi qui pars !
Même si j’ai vraiment besoin de ce travail, je me dirige vers les vestiaires. J'entends Anton me courir après en m'appelant.
— Bon sang, attends Lucía, faut que je t'explique quand même ! dit-il en continuant de rire.
Je me retourne et vois que son acolyte lui colle aux basques.
— Je vois que vous pouvez plus vous passer de moi tous les deux, dis-je les dents serrées.
— Écoute, Lucía, j'suis désolé mais c'est la première fois que je vois une nénette haute comme trois pommes, remettre le Préz à sa place sans prendre une bastos entre les deux yeux, dit-il encore avec le sourire.
Quoi, le Préz ? Une bastos... le Préz ! Purée de moine ! je viens encore d'en faire une ! Mais c'est de sa faute aussi à cet andouille, pourquoi il m'a bousculée aussi ! Si j'avais encore espoir de garder mon taf malgré ce que j'ai dit plus tôt, là c'est mort, je crois.
Le Préz... donc.... me regarde par-dessus l'épaule d'Anton, le sourire a déserté son visage, ses yeux bleus se sont assombris prenant une teinte plus sombre, presque marine, on dirait qu'il me juge et essaie de rentrer dans ma tête. Je n'aime pas ça du tout. Je devrais peut-être éviter de traîner dans ce club car je sens que les ennuis ne sont pas loin.
— Euh...dis-je avec la gorge serrée, je ne savais pas qui vous étiez. Vous auriez pu vous présenter, plutôt que de me laisser m'enfoncer non ? J'ai perdu ma place c'est ça ? Même si en fait... c'est moi qui pars, continué-je avec une moue et en me mordant la lèvre inférieure.
— Ok, qu'elle revienne mercredi, à vingt et une heures, dit-il.
Il tourne les talons et se casse vers le bar.
— C'était quoi ça ? demandé-je en me retournant vers Anton.
— Je crois que tu viens de valider ton essai, tu peux rentrer chez toi plus tôt si tu veux. Reviens mercredi soir pour vingt et une heures et ne sois pas en retard, je déteste les retardataires.
— Ok, c'est maintenant que je fais la danse de la joie pour avoir décroché ce job alors ?
— Pas cap, me dit-il avec un sourire.
— Eh ! faut jamais parier avec moi ! J'suis capable bien sûr.
Et me voici partant vers le couloir, en remuant mon popotin, dans une danse improvisée de Balou découvrant un pot de miel, tout en chantant « il en faut peu pour être heureux, vraiment très peu pour être heureux… ». J'entends son rire m'accompagner jusqu'au vestiaire.
Yes ! c'est topissime. Je me suis fait cinquante dollars de pourboires en seulement quelques heures en plus, cool, je sens que je vais me plaire ici. Enfin, en essayant d'éviter MONSIEUR LE PRÉZ le plus possible. Je me change vite fait, je doucherai à l'hôtel, je ne peux pas prendre le risque que ma perruque tombe dans les douches communes. Si elles étaient séparées encore, mais non, là tout le monde à poils, j'suis pas pudique mais je ne peux vraiment pas prendre ce risque. A moi, ma douche froide en rentrant, car vu l'heure, les premiers ont dû tout vider. Je sors par la porte de service située à l'arrière comme me l'a conseillé Anton, pour éviter les clients un peu trop collants. Je passe devant une superbe Harley. Punaise, la bécane sublime ! Je ne sais pas à qui elle appartient, mais certainement à une personne du club, vu qu'elle est garée derrière et que l'accès n'est autorisé qu'au personnel.
Allez en route ma grande ! Il est seize heures et t'as deux heures trente de trajet avant d'utiliser Monsieur canard, pour te détendre de cette journée plus que chaude, dans tous les sens du terme.
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