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Les trois compères regardèrent Niels partir, Herma avec lui, puis, voyant que leur camarade ne se relevait pas, ils accoururent tous en même temps pour lui venir en aide. Ils s'accroupirent autour de sa dépouille. Un trou béant de plus de cinq centimètres traversait son corps de son épaule gauche jusqu'au bas de sa nuque. Ses yeux étaient encore ouverts, mais il ne semblait plus en état de s'en servir. Les deux hommes prirent alors l'initiative de le soulever par les épaules, en faisant bien attention à ce que sa tête de ne se disloque pas du reste dans un déchirement de chair. Aucun d'eux n'était expert en armes modernes, alors il leur semblait étrange qu'il ne se vide pas plus de son sang ; En fait, la chaleur des projectiles du fusil était telle qu'il ne fallait que quelques secondes pour cautériser la plaie, aussi immense soit-elle.
Madeleine Tamika, appelée Ellen par ses coéquipiers, n'avait pas eu le temps de remettre ses chaussures et faillit glisser sur le sang qui s'était répandu au sol, déséquilibrant le cadavre au niveau des jambes. Ils passèrent la porte sans soucis et le posèrent sur le lit. Une fois cela fait, elle laissa ses camarades, traversa un long couloir, puis atteignit encore une autre salle. Elle y récupèra une trousse sur laquelle était brodée une petite croix rouge. Elle ne fit pas attention aux quatre capsules de taille humaine posées sur le sol. Par pure précaution, avant de rejoindre Matthew, elle s'avança de l'autre côté de la pièce, puis passa la tête dans le sombre couloir, là où Matthew était parti en éclaireur. Aucun signe d'une quelconque créature. Il avait bel et bien halluciné.
Une fois revenue dans l'infirmerie avec le matériel adapté, elle retrouva le corps de son ami sur le lange, l'épaule invisible. Elle se souvenait de cas plus graves encore dans son hôpital et savait se servir de la pointe de la technologie en termes de soin. Par chance, lors de son réveil, voilà moins d'une heure, elle avait trouvé tous les meilleurs outils dans une trousse, posée au sol. Elle sortit un ustensile de son étui, puis appliqua les premiers soins. Une fois cela réussi, elle prit un recomposeur pour reformer la chair et les tendons du mieux qu'elle le pouvait.
Niels, lui, n'était pas médecin, et ne savait comment s'y prendre pour aider Herma, malgré ses quelques bases acquises durant ses années d'entraînements. Il l'avait allongée dans son caisson et lui tapota les pommettes, le crâne, mais rien ne changeait. Il se dit qu'il lui faudrait du temps pour récupérer. Et de l'eau. Il fallait qu'elle boive. Même si cela ne lui plaisait pas, il retourna voir Milla et Myrmid dans l'entrepôt. Peut-être pourrait-il leur demander de l'aide.
À sa grande stupéfaction, ils n'étaient déjà plus en train de manger. Myrmid fouillait les cases d'un air perdu. D'une vigueur irréaliste, Milla déchirait les sacs de nourriture. Niels remarqua toutes les graines et toutes les céréales répandues sur le sol. Au centre de la salle trônait fièrement le Sac de Pains. Myrmid levait les sacs à la recherche de quelque chose, puis les balançait ailleurs. Il s'arrêta dès que Niels pris la parole :
— Salut. Euh... Vous avez déjà bouffé tout le pain ? Vous ne m'en avez pas laissé ?
— Oh désolé on a oublié...
— Pff, sérieux... Bon, bref... Vous voulez bien m'aider ? Herma ne va pas bien... Elle s'est faite étrangler.
— Comment ça, s'étonna Myrmid d'une voix monocorde. Étranglée ? Quelqu'un vous a attaqués ? Vous avez déjà trouvé les pirates alors ?
— Non, ce n'était pas eux. Sûrement d'autres marchandises, tout comme nous. Mais il y a eu une petite incompréhension entre nous. J'ai besoin de ton aide, je ne sais pas quoi faire...
— Je ne sais pas non plus... Je vais allez la voir.
— Merci.
Myrmid la rejoignit et Niels récupéra un conteneur d'eau. Cependant Milla n'était obsédée que par une chose, et, à quatre pattes, déchirait les sacs, les après les autres, qu'elle vidait entièrement avant de passer au suivant. Elle avait beaucoup mangé, mais était encore plus pâle qu'avant. Telle une furie, elle se déchaînait sur les sachets d'une rage démesurée, s'énervait de plus en plus à chaque caisse. Pour aller plus vite, elle déchirait les pochons d'un coup de dents. Niels s'inquiéta alors plus pour elle que pour Herma.
Il s'approcha d'elle et lui posa la main sur le dos. Il sentit ses os à peine l'eut-il effleurée. En revanche il n'eut pas le temps de lui adresser quelques mots car déjà Milla venait de sauter sur lui, ce qui eut pour effet de le renverser. Sa tête claqua durement contre le sol, l'obligeant à lâcher la bouteille d'eau, dont le contenu, tout comme lui, se renversa et aspergea le combat.
— Hey calme-toi Milla, ce n'est que moi ! Qu'est-ce qu'il te prend ?
Mais elle montrait ses dents, dont plusieurs étaient ravagées, ou même manquantes pour certaines. De ses lèvres mutilées coulait sa propre hémoglobine. Ses cheveux bruns desséchés semblaient flotter dans l'espace. Son regard frénétique atterra Niels qui ne réussit qu'à prononcer ces quelques mots :
— Tu... Je peux t'aider tu sais. Tu es malade, il faut que tu te relaxes.
— Mon pain ! hurla Milla en guise de réponse d'une voix démoniaque. Je veux MON PAIN ! MON PAIN !! Où est-il ?
— Myrmid m'a dit que vous avez déjà tout mangé...
Elle le frappa sans retenue au visage à plusieurs reprises et Niels répliqua par un fort coup de genou qui propulsa Milla de façon à ce qu'elle ne soit plus sur lui. Il rampa pour s'éloigner d'elle, elle qui se frotta le visage avant de repartir à l'assaut en galopant à quatre pattes comme un taureau. Niels lui asséna un violent coup de pied sur le nez quand elle se trouva trop proche, puis essaya de se relever. Mais elle ne semblait pas avoir senti le choc, et elle bondit en se servant de ses pattes arrière comme un lion pour faire choir Niels à nouveau.
Celle qui ne ressemblait même plus à Milla lui griffait le visage, qu'il protégea naturellement de ses bras. L'assaut de la chose lui fit recracher ses poumons, puis lui mordit frénétiquement le nez, qui allait finir par être perforé par la pression de ses canines.
Niels était pris au piège. Ses bras étaient bloqués et ses jambes trop éloignées pour atteindre la boule impétueuse. Pour la première fois de sa vie, il ne criait plus pour donner des ordres, mais pour exprimer son martyre. L'horreur.
« L'horreur de savoir que la souffrance qui nous attends. L'horreur de savoir que l'on va mourir, sans savoir quand précisément. L'horreur de la torture, l'impuissance face à cette horreur qui semble ne jamais finir. Fascinante abomination que de voir son amie nous tuer. Finalement, il n'y a plus rien à ressentir et c'est sûrement mieux ainsi. »
Les hurlements incontrôlés réveillèrent des ténèbres de lointaines ombres mouvantes.
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