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 Milla regardait le robot à quatre bras qu'elle aimait tant. Elle aurait bien voulu le croire, mais elle savait qu'il n'était pas conçu pour se battre et qu'en aucun cas, contrairement à ses dires, il ne pourrait la défendre contre un éventuel assaut. Puisqu'il était programmé pour ne pas savoir mentir, il devait être sincèrement persuadé de pouvoir neutraliser de potentiels assaillants. Milla était songeuse et aurait bien voulu arrêter de penser à la mort. Chaque nuit, quand elle devait rester dans son lit pour réapparaître le lendemain matin, elle était sujette à des crises d'angoisse. Mais s'endormir artificiellement était bien pire, et elle ne s’y habituerait jamais.

 Quarante ans... Qu'est-ce que c'est long. Et ses proches qu'elle avait laissés derrière elle… elle ne les verrait pas grandir, vieillir, mourir. Son père ne serait plus de ce monde quand elle s'éveillerait. Songeuse, elle ne bougeait plus, malgré quelques tremblements involontaires. Elle jeta un regard furtif aux dix caissons, puis au hublot derrière eux, qui montrait les étoiles défilant au lointain. Elle observa ce paysage stellaire tandis que tous les membres de l'équipage fermaient leur capsule de cryogénisation. Tous ? Non. Le Chef était allongé mais n'avait pas encore activé le module d'hibernation. Il attendait que Milla se décide à s'installer. Comprenant qu'elle hésitait encore, il se redressa, déclarant :

 — Milla, tu arrives ?

 — Je ne me sens pas encore prête. Je vais rester un peu avant d’y aller.

 — Je te fais confiance, tu vas monter, d'accord ?

 — Ne te fais pas de soucis pour moi Niels…

 — Très bien… Je ne veux pas perdre plus de temps, alors je me congèle de suite. Ne tarde pas trop, compris ?

 — Affirmatif.
 Milla arrêta de regarder à travers la vitre dès que Niels s'endormit. Elle rejoignit alors sa salle privée. L’automate aux quatre bras s’interposa comme il put :

 — Mademoiselle, où allez-vous ?

 — Il m'est nécessaire d'accomplir quelque chose avant de réussir à me mettre en cryptobiose.

 — Voyons, écoutez votre chef, il vous a demandé de…

 — Il m’a permis d’y aller.

 — Comme vous voudrez. Mais ce n’est pas raisonnable.

 — I.R.I.S., laisse-moi tranquille…

 — Entendu.
 Un seul couloir permettait de rentrer ou de sortir de la salle de repos. IRIS et Milla continuèrent un bout de chemin ensemble avant de se séparer pour atteindre leur objectif respectif. L’androïde s’exprima alors d’une drôle de façon :

 — Quarante ans seule à naviguer… C’est moi qui devrais être la plus à plaindre.

 — Si tu le dis...

 — Même si vous ne m’écoutez que rarement quand vous êtes éveillés, je préfère ne pas être seule. Devoir diriger le vaisseau et contrôler la base est si ennuyant.

 — Ce n’est qu’une impression. Tes programmateurs t’ont conçu de façon à ce que tu adores nous retrouver.

 — Vous ne me comprenez pas, Mademoiselle Milla…

 À l’intersection, IRIS partit en roulant plus bruyamment que nécessaire. Milla la regardait partir, se sentant désolée pour elle. Ressentir de la pitié pour une machine immortelle, en voilà une réaction saugrenue !


 Milla ouvrit son compartiment de souvenirs. Elle en sortit une vieille photo d’elle et des personnes qu’elle aimait le plus. Elle avait pensé que cela la réconforterait. Il n’en était rien, et la nostalgie lui rappela une dizaine de souvenirs désagréables. Et quand vint le temps des bons moments, elle ne put s’empêcher de considérer que tout ce qu’elle vivrait par la suite ne pourrait être aussi bon. Que ces instants partagés avec ces êtres chers ne reviendraient plus jamais... Au final, elle déchira sa photo. Le visage de Milla fut le seul qui n’était plus visible sur les restes au sol. Elle admira mollement son œuvre, puis se résolut à poursuivre la recherche de souvenirs dans son compartiment. Ainsi elle retrouva de vieilles poupées, un porte-clé en provenance de la Terre aux couleurs du Brésil, d’autres photos qu’elle n’osait regarder que furtivement, des cadeaux sans valeurs… Une heure lui fut nécessaire pour tout déballer. Contrairement à ce qu’elle espérait, elle ne se sentit pas mieux. L’inverse s’était plutôt produit.

 Après un temps qu'elle ne mesura pas, perdue dans ses pensées, le regard plongé dans le vide, elle se ressaisit et repartit en direction de la chambre. Sa mélancolie avait dépassé sa peur de s’endormir, et désormais mourir ne lui importait plus autant. Mais avant cela, elle désirait dire au revoir à IRIS. Même si ses sentiments n'étaient pas réels, elle voulait lui faire plaisir avant qu'elle ne passe ces quarante années seule.


 Elle n’en eut pas le temps car IRIS vint d’elle-même à sa rencontre. Avec son mouvement rapide, il était possible de comprendre un certain affolement. Le robot s’approcha de Milla puis lui expliqua :

 — Je ne sais pas comment je ne l'ai pas remarqué avant ! Nous avons une intrusion !

 — Comment ? Que veux-tu dire ?

 — Il y a une forme de vie non-identifiée qui se balade dans le vaisseau. Parfois il y en a deux, mais la plupart du temps les capteurs n’en remarquent qu’une.

 — Attends, comment est-ce possible ? Ce doit être un disfonctionnement, je ne vois pas d’autres solutions.

 — Négatif ! Je pensais pouvoir éliminer la menace seule, mais lorsque je l'ai vu, j'ai ressenti mon impuissance. Il serait préférable que vous vous en occupiez ! J’ai récupéré au passage un pistolet à plomb. Tenez. N’ayez crainte, les parois sont conçues pour résister à de bien pires chocs.

 — Ce n’est pas le problème… Je ne sais pas m’en servir !

 — Ici il y a la sécurité, là la détente. Le projectile sort par ici en suivant…

 — Non, je ne sais juste pas viser ! Tu devrais le savoir, ma précision est catastrophique, je me débrouille mieux au corps à corps. Fais-le toi, tu ne devrais pas avoir de problèmes là-dessus, tu peux tout calculer de tête.

 — Je n’en suis pas sûre. Je dois vous avouer que la peur m’envahit.

 — Écoute, cette peur est artificielle. Ce sont les ingénieurs qui t’ont créée qui ont dû t’insuffler ce sentiment inutile et paralysant. Tu ne crains rien.

 — Je vous crois sur parole. Prenez au moins ce couteau, nous ne sommes jamais trop prudents.

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