Chapitre 15

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[Violence, mort]

On entendit cette nuit-là un long hurlement inhumain dans les bois qui entouraient la plantation Châtillon. S’il n’était pas exceptionnel, ce cri était assez proche et sonore pour être inquiétant : la bête était tout près. Elle leur lançait un défi, les invitait à l’affronter pour l’abattre, elle les narguait de ses grognements. Arnaud s’était réveillé en les entendant, comme la plupart des autres habitants du domaine. Il s’inquiétait de ce que cette bête pourrait faire si elle décidait de les attaquer sur leur territoire, tout en se disant que le Père Fernand l’aurait bien cherché. Après tout ce qu’il avait vécu de terrible dans cette plantation, cette dernière méritait bien d’être mise à sac par une force de la nature, cet être que les enfants appelaient Thomas, mais qui semblait ne pas être d’accord. Se souvenant de ce qu’il avait ressenti lorsqu’il avait tenté de communiquer avec, Arnaud essaya de projeter sa conscience hors de lui comme il lui semblait l’avoir fait quand il se tenait sous sa forme lupine à l’orée du bois. Il ignorait s’il s’y prenait correctement ou s’il était trop loin ou trop fatigué, mais rien ne se produisit. Un autre feulement filtra de la forêt, indifférent aux tentatives de pourparlers d’Arnaud. Puis, tout fut de nouveau calme, et après quelques minutes à attendre un autre hurlement qui ne venait pas, Arnaud se résigna et alla se recoucher.

***

La matinée s’ouvrit sur une exhortation du Père Fernand à aller chasser la bête. L’homme se tenait au milieu du passage, dehors, juste devant l’auberge où logeait Arnaud et les autres célibataires de la plantation, si bien que peu de monde pouvait rater ce qu’il avait à dire.

— Cette monstruosité se moque de nous ! Elle veut nous intimider, planter la graine du doute dans nos cœurs pour nous voir partir ! Mais c’est Dieu qui nous a donné ces terres et ce faisant, c’est elle qui défie Dieu ! Elle, cette bête démoniaque qui n’a pas, comme nous, cherché le pardon de Notre Seigneur ! D’aucuns disent qu’elle était là avant nous, mais les chroniques de la plantation, minutieusement tenues par mes prédécesseurs, ne sont pas de cet avis ! Elle nous menace comme si elle était chez elle, mais c’est elle qu’il faut chasser ! Cette Bête, c’est Dieu qui nous met au défi ! C’est un test divin et celui qui achèvera cette Bête sera couronné de gloire ! Car j’ose le dire, ce jeu du chat et de la souris n’a que trop duré ! Il nous faut prendre les armes maintenant ! Il nous faut faire quelque chose contre ce démon venu des entrailles de la Terre : qu’il y retourne ! À l’attaque !

Le discours exalté du Père Fernand fut reçu avec des hourra. Les gens levèrent leur poing au ciel comme pour relever le défi, pour montrer qu’ils n’avaient pas peur de ce qui se tapissait dans les bois, et qu’ils étaient prêts à résister. C’était une foule hurlante qui se massait autour du Père Fernand, lequel les agitait encore plus. En retrait, Arnaud se demandait avec inquiétude ce que ce dernier avait en tête : la réponse lui vint rapidement.

— Qui se porte volontaire pour aller chasser cette Bête démoniaque une fois pour toutes !?

Les clameurs reprirent, même si c’était pour beaucoup pour la forme. Arnaud songeait que la moitié des gens qui hurlaient pour la mort de la Bête n’approcheraient pas les bois à moins de cent pieds, et qu’ils ne risquaient pas grand-chose à la condamner ici, bien loin de ses crocs et de ses griffes. Mais quelques courageux lui donnèrent tort et il vit trois hommes s’avancer. Il ne les connaissait que de visage, et n’avait jamais parlé avec eux : il y avait là un marchand, un meunier et un chasseur, et s’ils n’étaient pas un lot idéal, ils n’étaient pas non plus totalement sans défense. Arnaud vit également Hugues hésiter : l’expression du forgeron était perplexe et pensive, comme s’était plongé dans une intense réflexion. Finalement, il s’avança lui aussi.

Arnaud cacha du mieux qu’il put sa surprise : il valait mieux rester immobile et avec une expression vaguement neutre si on ne voulait pas attirer les regards à soi. Le temps passa assez longtemps pour qu’une femme ne se joigne au groupe. Pauline, sûrement en quête de vengeance et n’ayant plus rien à perdre, fit un pas en avant. Arnaud s’attendait à ce que le Père Fernand la retienne et ne lui dise que sa place était ailleurs, mais il n’en fit rien. Il accueillit la louve avec un sourire énigmatique, à la fois doux et carnassier. Il reprit ensuite sa harangue, cherchant à convaincre d’autres jeunes gens, mais sans succès. Abandonnant après une troisième tentative, le Père Fernand emmena le groupe d’attaque à l’écart, et rapidement, la foule se dispersa.

Arnaud avait assez d’autonomie dans son travail désormais pour pouvoir faire tourner la forge un minimum. Il était toujours incapable de faire certains outils du début à la fin, mais ça ne l’empêchait pas d’avancer certains ouvrages. Oublieux du monde qu’il l’entourait, il passa sa journée à frapper le métal brûlant, déchargeant une partie de sa rage et de sa frustration sur l’objet. Bien qu’il ne l’aimât pas, il ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour Hugues. Pourquoi avait-il choisi de se porter volontaire ? Sa carrure impressionnante ne lui garantissait pas de savoir se battre, et d’après ce qu’il lui avait dit, le forgeron n’était pas un loup très puissant. Que pensait-il accomplir, exactement ? Ces questions auxquelles Arnaud ne pouvait avoir de réponse tournaient dans sa tête, résonnaient, s’entrechoquaient avec fracas comme de la vaisselle ballottée dans un vieux panier. C’était assourdissant, et il n’y avait que le bruit du marteau sur le fer qui puisse faire oublier à Arnaud cette cacophonie. Il s’y plongea si longtemps et si profondément qu’il ne remarqua que tard que l’obscurité tombait déjà sur la plantation. Il n’avait pas pensé à s’arrêter pour manger, son esprit occupé oubliant jusqu’à la faim de son corps. Résigné, Arnaud se força à être assez raisonnable pour ne pas travailler à la lueur d’une chandelle, et rentra prendre un repas et un bain à l’auberge : si le premier se passa sans problèmes, on vint le chercher juste avant qu’il ne put toucher au second. Il reconnut l’un des visages des braves qui s’étaient portés volontaires plus tôt dans la journée, et devina Hugues derrière lui. Soupçonneux, Arnaud jeta un regard au forgeron, qui garda une expression neutre et fermée. Il n’y avait rien à lire sur ces traits, rien que sa raideur habituelle. La même que celle qu’Arnaud avait dû affronter quand on lui imposé d’être apprenti forgeron. Ce dernier détourna le regard, comprenant qu’il n’en tirerait rien pour le moment, et fronça les sourcils vers l’homme qui lui avait adressé la parole.

— Pourquoi avez-vous besoin de moi ?

— Le Père Fernand te demande. Nommément.

Cela n’augurait rien de bon, mais Arnaud ne pouvait pas s’opposer au prêtre s’il tenait à son plan d’évasion. Il fallait lever le moins de soupçons possibles, et endormir la vigilance de Fernand. Arnaud ne savait que trop qu’il avait besoin que ce dernier baisse sa garde… Avec un soupir qu’il espérait las et non agacé, Arnaud obtempéra et suivit les hommes jusqu’au manoir blanc du dirigeant de cette plantation.

***

Comment n’avait-il pas pu s’en rendre compte en arrivant ? Pourquoi un prêtre, même d’une paroisse lupine, était-il à la tête d’une plantation qui ressemblait bien trop à une petite ville ? Un village qui faisait culturellement sécession avec le reste de l’île et encore plus avec la France, aussi loin des yeux que du cœur. Arnaud se sentit profondément stupide et naïf, et regrettait de ne pas avoir donné plus de crédit à certains discours. Il existe des choses qu’il faut vivre pour comprendre, car l’écoute et l’empathie demandent parfois trop à l’égo. Il plaidait coupable. Il n’avait pas pu concevoir certaines choses parce qu’il n’y avait jamais été confronté, et se rendait maintenant compte des abus que pouvaient avoir les dirigeants. L’habit religieux ne protégeait pas l’âme, et il y avait tout un monde entre dire « les apparences sont trompeuses » et comprendre réellement cet adage, jusque dans sa chair. Le Père Fernand criait à la repentance, n’avait que Dieu à la bouche, ne parlait qu’à l’impératif : Arnaud n’était plus dupe désormais. Plus l’autre pérorerait, et moins Arnaud l’écouterait.

Il ferait semblant, cependant, car son plan exigeait quelques menus sacrifices. On le mena jusque dans le bureau de prêtre, derrière lequel ce dernier était assis.

— Vous m’avez demandé, Père ?

— En effet.

Il ne lui demanda pas de s’asseoir, ni même ne leva la tête vers lui. Il était tout occupé à sa paperasse, et s’affairait à signer et à ranger les feuillets comme un administrateur. Il était un roi que personne n’avait couronné, régnant sur un territoire qui ignorait être un royaume.

— Tu vas rejoindre le groupe des chasseurs.

C’était un couperet. La voix de Fernand n’avait pas hésité, n’avait pas tremblé. Elle était sèche et précise comme la lame d’un bourreau, froide comme l’acier acéré d’une hache. Arnaud en était si estomaqué qu’il ne trouva rien à répondre, si bien que Fernand finit tout de même par lever ses petits yeux vers lui.

— Hé bien, va. Ils partent ce soir. Allez me tuer ce monstre, voulez-vous ?

L’homme à côté d’Arnaud, celui qui l’avait amené jusque là, s’inclina et se retira du bureau, traînant le jeune loup abasourdi avec lui. En état de choc, ce dernier ne réagissait toujours pas, incapable de concevoir qu’il allait devoir risquer sa vie au nom d’un homme qu’il méprisait. La Bête ne lui avait rien fait personnellement, et même si elle était menaçante, elle n’était rien de plus qu’un animal ayant également besoin de manger. Lui avait tout le reste du monde pour trouver où s’installer, si seulement il pouvait quitter cette plantation de malheur.

Muet, il sortit et alla jusque chez un des chasseurs : il apprit le nom des trois hommes qui les accompagneraient, lui, Pauline et Hugues. Le premier, celui qui s’était respectueusement incliné et était venu le chercher à l’auberge était un ancien Parisien qui s’appelait George : il n’avait pas l’air méchant, mais pas bien fin non plus, et ne semblait pas malhabile avec un pistolet. À ses côtés, deux frères d’origine espagnole, dont Arnaud ignorait tout sauf le nom désormais : Felipe, et Sol. Ils étaient plus massifs, et le second étant chasseur depuis longtemps, il y avait fort à parier qu’il sache comment pister. Arnaud l’espérait, du moins, car il ne voyait pas beaucoup d’avantages à affronter la Bête sur son territoire sans personne d’expérimenté. Il écouta les préparatifs dans un silence de condamné, et fit ce qu’on lui ordonnait de faire docilement alors qu’il avait une seule envie : s’enfuir le plus vite possible.

Entre-temps lui était venu une idée. Il pouvait fuir pendant l’attaque elle-même, se jouer de la décision de Fernand pour la retourner contre lui. Ce serait difficile car le bois était à l’exact opposé de la direction à prendre pour rejoindre Port-Au-Prince, mais un détour était sûrement possible. Au pire, il rejoindrait la côte, nagerait le temps de passer incognito, et trouverait un navire qui voudrait bien de lui dans la ville toute proche.

Alors en attendant, il continuait à jouer son rôle d’enfant sage. Il prit un pistolet, des balles et de la poudre sans trop de convictions : il n’était pas mauvais avec ça, mais ce n’était pas son point fort. On lui donna alors une lame, chose qu’il affectionnait un peu plus, même s’il était peu probable qu’elle fasse la différence face à un animal sauvage. Enfin, chacun et chacune eurent un arc et un carquois, de quoi faire de gros dommages silencieusement, avant même que la Bête ne puisse les repérer.

Avec un étrange sentiment, Arnaud réalisa que tout le monde oubliait la première et la plus puissante des armes : leur loup. Ils étaient tous des loups-garous, et aucune arme ne valait celle que la nature, démoniaque si on les croyait, leur avait donnée. Il s’était déjà attendu à se transformer pour cette chasse, mais cela ne semblait pourtant pas être le programme du reste du groupe. Il se dit que c’était stupide, avant de se demander d’où venait cette idée, justement. Hugues, voyant son air dubitatif, s’était approché de lui, et allait lui demander ce qu’il se passait quand Arnaud comprit que ce n’était que l’écho des paroles du forgeron. Cette discussion où ils avaient évoqué ce que personne n’évoque jamais, les meutes païennes, pétries de traditions impitoyables. Celles qui se rejoignaient sous un ciel clair pour hurler devant la pleine lune et qui prenaient leurs atours bestiaux à la moindre provocation. Celles qui se transmettaient les mêmes mythes et contes depuis des milliers d’années. Celles qui n’avaient pas d’autres religions que celle de la viande de gibier dans leur gueule.

Arnaud avait bien du mal à accepter qu’il commence à leur trouver un semblant de sens, une sagesse que la civilisation n’a pas, et que les paroisses lupines, sous leurs airs humains et vernissés, avaient perdue. Ce qu’il cachait sous son bon sens était peut-être plus que cela. Arnaud voulait y penser comme une véritable acceptation de son loup, une symbiose plus profonde et évidente… Mais de l’extérieur, ça avait tout l’air d’être un renoncement aux bienfaits de la religion, et la mise au ban d’un Dieu brandit en menace et en châtiment par les pires des pécheurs.

Ils franchirent l’orée du bois dans un silence d’angoisse. Arnaud, juste derrière les Espagnols qui ouvraient la marche, goûtait à chaque inspiration leur peur. Se porter volontaire devant un Père Fernand qui les haranguait, au beau milieu de la plantation, de jour, c’était facile. Mettre un pied devant l’autre et entrer sur le territoire de la bête qu’ils étaient censés chasser, c’était une toute autre histoire. Les feuilles des arbres cachait le croissant de lune qui les aurait certes peu éclairés, mais dont la faible lumière aurait été appréciée de leurs yeux humains. Cette idée conforta Arnaud dans l’intuition qu’ils auraient dû commencer la chasse sous forme lupine : ils étaient bien plus vulnérables ainsi, plus bruyants, moins alertes quant à leur environnement, malhabiles et dépendants de leur équipement. Ce mauvais pressentiment démangeait l’arrière de l’esprit d’Arnaud, qui ne pouvait s’empêcher de trouver ces volontaires stupides. Il doutait que Fernand l’ait obligé à participer à l’expédition pour des raisons de compétences : il n’y avait bien que Hugues qui pense qu’il était autre chose qu’un loup raté. Et jamais Fernand ne lui ferait confiance pour quoi que ce soit. Pas après qu’Arnaud ait essayé de tricher lors d’une cérémonie… Pas après ce que Fernand lui avait fait. Bien fou serait celui qui compterait sur la naïveté d’Arnaud désormais.

Un grognement traversa les bois. Le groupe s’arrêta net, tremblant. Felipe fit un pas dans la direction du bruit, ce qu’Arnaud trouva profondément stupide. Il ne devait pas être le seul, car Pauline le retint par la manche.

— Où vas-tu ? Il faut l’encercler !

Elle parlait trop fort, se dit Arnaud. Il ne chassait pas, alors peut-être que dans le fond il n’en savait rien, mais c’était l’impression qu’elle lui donnait. Elle parlait trop fort, respirait trop fort, empestait la peur et l’hésitation. Ils étaient tous comme ça, et le pire c’était qu’Arnaud doutait d’être une exception. Il avait un pistolet, un arc, une épée, des bottes de cuir, un manteau, des vêtements, et tous ces instruments chantaient plus fort les uns que les autres dans une énorme cacophonie. Chacun d’entre eux avaient le même orchestre sur lui, et se déplaçait avec la même non-discrétion. La Bête devait savoir exactement où ils étaient, et s’amuser de leur idiotie. Elle poussa un nouveau hurlement, et cette fois Arnaud ne tint plus.

— Bande d’idiots !

Il jeta ses armes et son manteau sur le sol et se transforma en un éclair en loup. Il eut juste le temps de bondir vers un des fourrés pour éviter une énorme patte griffue, qui frappa à la place Felipe. Son frère se précipita pour l’aider à se replier, mais la Bête était là. Elle avait déchiré les branches pour se forger sa propre clairière : juché sur un rocher en aplomb, Arnaud s’était tapi et gardait le silence. Il doutait d’être totalement dissimulé, car le fauve qu’il y avait en bas avait sûrement un odorat comparable au sien.

C’était un énorme léopard, qui devait bien mesurer quinze pieds de haut et le double du museau au bout de la queue, à la robe dorée qui brillait étrangement dans la nuit. Face à elle, un groupe d’humains sans défense plutôt que de loups-garous cherchaient comment affronter une telle monstruosité. Ils étaient venus sur ses terres, croyant la pister et la chasser : mais ici c’était la Bête qui était le prédateur, et eux, les proies. Hugues eut cependant un réflexe heureux et imita Arnaud, quoique sans chercher à se dévêtir un peu avant : le loup resta bloqué dans ses habits d’humains, gesticulant et paniquant. Pauline allait l’aider, mais elle fut fauchée dans son élan par un coup de patte : de là où il était, Arnaud ne pouvait qu’observer le jeu macabre de la Bête, qui attendait, s’amusait, décrivant des cercles autour de ses nouveaux jouets. Il doutait que ce coup de patte fut suffisant à tuer Pauline : la Bête voulait simplement lui rappeler qu’elle était là et qu’il était hors de question que sa nourriture s’entraide. Hugues réussit tout de même à se sortir de son cocon de tissu, et disparut dans la forêt avant que le léopard ne puisse se lancer à sa poursuite. Quelque chose disait à Arnaud qu’il ne l’aurait pas fait, pas avec tant d’autres proies à proximité.

La Bête feula, montra les crocs, et fit mine d’attaquer Felipe : Sol visa de son pistolet la tête du fauve en réponse. Mais c’était une feinte, grossière ajouta Arnaud en son for intérieur, car la véritable cible de la Bête c’était bien Sol : avant qu’il ne puisse presser la détente, elle lui asséna un violent coup de griffe sur la poitrine et le planta au sol, sa patte toujours sur lui. Le temps se figea alors, car tout le monde put voir que la Bête avait retenu sa plus grande griffe juste au-dessus du cou de Sol, et n’avait plus qu’à l’abattre pour le tuer. Qu’attendait-elle ? Pourquoi ne l’exécutait-elle pas de suite ?

La Bête se tourna vers les fourrés, releva la tête pour planter son regard fauve dans les yeux du loup qui croyait être caché, et sembla sourire. Arnaud vit dans ses pupilles une formidable et terrible intelligence, de celle qu’il ne peut exister que chez les humains. Quoi qu’elle soit désormais, cette Bête avait été humaine.

La griffe s’enfonça lentement, pouce après pouce dans la peau tendre du cou de Sol. Ses cris se changèrent en gargouillis répugnants, alors que son sang emplissait ses poumons. Affolés, les autres se lancèrent à l’assaut de ce monstre, tirant et coupant ce qu’ils pouvaient, mais ne retardant que l’inévitable.

Arnaud n’avait pas bougé, paralysé par la peur. Il savait qu’il avait été repéré, et pire, qu’il n’avait jamais été caché, mais ne pouvait faire un seul geste. Il s’exhorta à partir, à ne pas laisser sa curiosité le conduire à une mort certaine, et au bout de quelques secondes, cela fonctionna. Il s’était mis à courir à travers les bois, abandonnant derrière lui les volontaires malheureux. Sans se soucier un seul instant de Hugues, qui lui aussi avait toutes ses chances, il traversa les bois en cherchant à rejoindre la côte, qu’il longerait en silence pour revenir à Port-Au-Prince.

***

Les feulements et les cris de panique se turent au bout de quelques minutes. Il n’y eu plus alors qu’un silence surnaturel dans la forêt, uniquement brisé par les branches que faisait le loup en se déplaçant. Hugues courait le plus vite possible, cherchant à mettre un maximum de distance entre lui et le carnage. Bien peu habitué à courir plus de cinq minutes, il finit par devoir s’arrêter sous peine de faire exploser son cœur et ralentit presque imperceptiblement. Il ne voyait pas à quelques pieds dans cette forêt où le feuillage était aussi dense : le peu d’éclat de la lune avait disparu sous la canopée, et le loup avançait à l’aveuglette. Au-dessus de lui, une masse suivait sa silhouette. Elle n’avait pas de nez, mais elle le sentait. Elle n’avait plus ni crocs ni griffes, mais lui embrocha le cou jusqu’à le planter dans le sol. Puis, l’immense araignée releva sa patte et disparut dans la forêt.

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