Chapitre 38 - Le conseil
Brian travaillait en qualité de directeur de collection chez Union Square Publishing Inc situé dans le quartier éponyme. C’était lors d’une remise de prix en l’honneur d’un couturier dont elle avait oublié le nom. Encore un coup de Gloria, qui l’avait, à l’époque, sûrement suppliée d'y participer. Toute cette frivolité n'était pas sa tasse de thé et elle s’était ennuyée ferme. Pour passer le temps, elle avait sifflé coupe de champagne sur coupe de champagne. Elle était passablement pompette quand Brian était arrivé sur les coups de vingt-trois heures. En treillis et perfecto, elle dénotait au code vestimentaire alors que les femmes arboraient des tenues extravagantes et les hommes paradaient en costume trois pièces. Brian portait un complet-veston assorti d’une lavallière. Intrigué par cette fille qui sortait des standards dans cette soirée compassée, il était allé lui parler. Bien que leur style différait du tout au tout, le courant était passé instantanément. Et depuis, ils ne s’étaient plus quittés.
Ils se retrouvèrent au Newbar, une sorte de quartier général qui était à deux pas des locaux où il travaillait. Chaque fois que Jennifer se trouvait à New-York, ils essayaient de se voir. Ils aimaient sortir ou marcher au hasard dans les rues de Soho ou de Greenwich Village. On les prenait souvent pour mari et femme. Patrick sortait peu et Jennifer trouvait en Brian le moyen de compenser avec le caractère casanier de son compagnon.
Brian demanda des nouvelles de Clara.
« Oh, tu sais, son état est stable pour le moment. Avec Patrick, on réfléchit à tenter la transplantation. On n'a pas encore entamé les démarches mais on y pense sérieusement.
— Cette décision ne se prend pas à la légère. C'est toi qui l'a proposé ?
— En fait, c’est lui qui m’en a parlé. Après la crise qu'a eue Clara début novembre… Les médecins pensent que l’opération peut réussir.. Mais, il y a deux hic.
— Je t’écoute.
— Le premier est qu’il faut attendre un poumon compatible et du temps, vu l’état de santé de Clara, le médecin craint qu'on n'en dispose pas tant que ça. Le deuxième est qu'il faudrait que Clara soit d'accord mais elle pense de plus en plus comme sa tante. Elle est persuadée qu’il est possible de trouver un traitement et est maintenant branchée médecine alternative. Je suis sûre qu'elles en discutent entre elles. Je la tiens éloignée d’internet. Je ne tiens pas à ce qu’elle tombe sur le blog d’un félé qui ferait l’article sur le bien-fondé des médecines douces. Ça lui fournirait des arguments pour le plaisir de me contredire. »
A cette idée, Jennifer frémit. Puis, voulant poursuivre, elle la balaya d’un revers de la main.
« Ce qui est sûr, c'est qu'il ne sera pas facile de convaincre Clara. En plus de cela, Patrick est toujours aussi gauche pour aborder ce genre de sujet. »
Jennifer posa son menton entre ses mains, les deux coudes ancrés sur la table, la mine boudeuse.
— Sans vouloir être désagréable, tu te fiches de moi. C’est toi qui déplores que ton mari manque de délicatesse ? Elle est bien bonne, celle-ci. Vous vous êtes bien trouvés tous les deux. Vous devriez prendre des cours d’éloquence.
— Bon, tu me laisses finir ? Où en étais-je ? J'aurais aimé demandé à Shany mais tu vois bien le problème : jamais elle ne voudra.
— Je la comprends, tu sais. C’est vrai que les protocoles sont lourds et on dirait parfois que les patients sont des pions entre les mains de la science. Le corps médical est dévoué, je ne le nie pas. Mais la médecine moderne oublie le patient. Elle s'est déshumanisée.
— Brian, tu ne crois pas que tu exagères ?
— Bon d’accord, changeons de sujet.
Jennifer hocha la tête et décida de lui parler du tableau de l'exposition et des séquelles oniriques.
— Je suis sérieuse, Brian. Ce rêve m'apparaît comme un souvenir. Tu sais quand j’étais petite, notre grand-mère Justine m’emmenait en vacances en Europe avec Papy Logan, parfois même avec les cousins. On y allait quelques fois en camping-car pour s’assurer un certain confort quand on s’arrêtait sur la route. Les hôtels n’étaient pas tout le temps bon marché, ni très recommandables. Mamie adorait fréquenter les lieux moins touristiques. Bref, elle nous emmenait visiter la France, son pays d’origine. Mais nous avons aussi sillonné l’Italie. C’est comme cela que je suis devenue polyglotte. Avec son travail à la Croix-Rouge, elle avait de nombreux amis et nous étions parfois invités dans de grandes propriétés. Pendant que les adultes discutaient, je jouais dans les jardins avec les autres enfants. Nous jouions à attraper les oiseaux, à les mettre dans des cages. Nous courions après les papillons. Tout ça pour te dire que cette scène peut véritablement être un souvenir.
— Tu sais quoi ? Je peux te donner un conseil. Tu ne seras peut-être pas d’accord, mais je te le dis quand même.
— Vas-y, je t’écoute, répondit-elle, intriguée.
— Il y a deux ans, mon père m’a confié avoir une peur panique de monter en avion. Avant de partir à la retraite, comme il voulait en profiter pour voyager, il a cherché comment s’en défaire. Il a lu des magazines, des blogs, plein de trucs ! Il a découvert l’hypnothérapie. Il a appris que cette discipline permettait de traiter les peurs. Il est allé consulter un type qui pratique l’hypnose, heu… ericksonienne, si ma mémoire est bonne. En à peine trois, quatre séances, son problème a été résolu. Depuis, il ne cesse de voyager. Il a retrouvé une seconde jeunesse. Il est tellement heureux qu’il a distribué la plaquette du gars à tout le monde, moi y compris. Le type avance qu’il a plusieurs cordes à son arc, il peut venir à bout d’une dépendance, soigner une douleur lancinante que les médecins n’arrivent pas à soigner. Ecoute, ce Monsieur, peut faire revivre des moments du passé, même ceux enfouis très loin dans le cerveau. Dans un premier temps, tu peux l’appeler, tu lui poses tes questions. Je pense qu’il est compétent pour t’aider à y voir plus clair sur ton expérience avec le tableau : y a-t-il une part de réel ou bien le supposé souvenir n’en est pas un, tout vient de ton imagination ou fait appel à autre chose que vous pourrez déterminer ensemble.
Jennifer réfléchissait aux paroles de son ami. Il était souvent de bons conseils.
« Tiens, le numéro de mon père, il pourra t'en dire plus si tu veux.
— Ok, je vais réfléchir un peu d’abord, fit Jennifer qui ne voulait pas froisser son ami..
— J’envoie un message à mon père, et te transfère sa réponse avec l’adresse du praticien. Mais, dis-moi, ma montre me rappelle à l’ordre, je dois absolument y aller. Sinon, je vais être en retard.
— Oh, Brian, désolée, j’ai l’impression de ne parler que de moi. De qui s’agit-il ? fit Jennifer d’un ton inquisiteur.
— Trop tard, ma belle, j’y vais. Qui te dit que c’est un rendez-vous de ce type ? Mais bon… Tu as du flair. Nous en parlerons la prochaine fois, ou pas. Pour l’instant, je ne peux pas laisser passer un tel canon de beauté ! »
Brian lui posa une bise rapide sur la joue en posant un billet sur la table.
« Je te laisse t’occuper de la monnaie. »
Jennifer n’eut pas le temps de protester que Brian était déjà sorti. Elle se résigna à récupérer la monnaie de son ami. Elle lui rendrait la prochaine fois. Elle rangea ses affaires et appela le serveur pour régler la note.
Jennifer rentra chez elle. A peine eut-elle le temps de fermer la porte que le message de Brian s’affichait sur son téléphone.
« Hey, mon père sera heureux de t’aider. Ci-dessous l’adresse du praticien. Il t’embrasse. »
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