Chapitre 39 - Dîner chez les sœurs Hall

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Là, elle remarqua un post-it coloré collé sur la porte du réfrigérateur. L'écriture familière de son mari la fit sourire.

« N'oublie pas que j'ai invité ta sœur à dîner ce soir vers 19h30. »

Elle se frappa doucement le front en signe d'exaspération. Comment avait-elle pu oublier ça ? Mais bon, c’était sa sœur qui venait et non la reine d’Angleterre, elle pouvait donc rester dans sa tenue de maison. Cependant, une préoccupation subsistait : la nourriture. C’était bien gentil d’inviter quelqu’un à manger mais fallait-il quand même avoir quelque chose dans le frigo. Malheureusement, après avoir inspecté le garde-manger, il était clair qu'elle n'avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. "Pas de problème," se dit Jennifer en souriant, "Plan B : le traiteur chinois." Pourquoi chinois ? C'était devenu un réflexe pour elle.

*

Jennifer et Patrick résidaient dans le quartier de Lenox Hill, dans un immeuble à l'angle de la soixante-cinquième rue et de Lexington Avenue. Depuis l'appartement de sa sœur Jodie, le trajet ne prenait qu'une trentaine de minutes.

Shany se souvenait bien de l'année où Jennifer et Patrick avaient emménagé ici. C'était quelques mois seulement après la naissance de Clara. L’appartement précédent était clairement trop exigu avec l’arrivée d’un bébé. Ses souvenirs n'étaient pas très précis, mais elle se rappelait l'agencement : une pièce spacieuse avec un lit en mezzanine, une petite cuisine et une salle de bains à l'espace réduit.

Lorsqu'elle arriva à l'appartement, il était vingt et une heures passées. Patrick n’était pas rentré. C’est donc Jennifer qui l’accueillit.

« Tu veux manger un morceau ? J’avais dans l’idée de passer un coup de fil au traiteur chinois, proposa-t-elle en aidant Shany à ôter sa veste.

— Je veux bien, je n’ai pas mangé car Patrick m’avait dit de venir pour le dîner, c’est bien ça ? Mais on va peut-être attendre Patrick, non ? »

Jennifer frappa son front avec le plat de sa main.

« Tu as raison. Mais bon, c’est lui qui t’a invité et il n’est toujours pas rentré.

— Je vais lui envoyer un message. Comment as-tu trouvé Clara aujourd’hui ? T’as été la voir non ? »

Un silence gêné s'installa. Shany se rendit compte que sa question n'était peut-être pas des plus judicieuses.

« Disons que parfois, je me demande si je ne serais pas meilleure en tant que tante qu'en tant que mère, finit par lâcher Jennifer avec une lassitude dans la voix.

— Les choses se sont mal passées à ce point ?

— Et encore, le dire ainsi est un euphémisme. »

Shany se pinça les lèvres mais que pouvait-elle y faire ? Ce n’était certainement pas du côté de Clara qu’il fallait chercher des réponses.

« Qu'as-tu l'intention de faire ? Tu envisages de rester à New York cette fois-ci ?

— Pour l'instant, je ne prévois pas grand-chose... Mais bon, il va bien falloir que je trouve un sujet à couvrir et à proposer aux rédactions. Mon excursion au Myanmar n’a pas été très économique.

— C’est-à-dire ?

— J’ai dû faire appel à une connaissance pour me faire exfiltrer avec mon fixeur.

— Exfiltrer ? Comme dans les films ? » demanda Shany.

Jennifer ne put s’empêcher de sourire.

« Oui, un peu comme dans les films.

— On t’a tiré dessus ?!

— Euh… Oui… Mais je n’ai pas été blessée. Mon fixeur, oui.

— Et, c’est tout ce que ça te fait ?!

— Bah, comment voudrais-tu que je réagisse ? »

Shany resta silencieuse un instant. La rationalité de sa sœur la laissait perplexe. Être pragmatique n'était pas une mauvaise chose, mais Jennifer semblait parfois déconnectée des émotions les plus basiques. Shany décida de changer de sujet.

« Si tu restes à New York, quels sont tes projets ?

— J'ai contacté plusieurs journaux en leur donnant quelques idées sur le conflit au Myanmar.

— Des trucs sérieux ? Tu peux m’en dire plus ?

— Il y a des trucs sérieux, oui mais… Mollo pour l’instant, rien n’est signé ! Je ne suis pas superstitieuse mais, un peu quand même. Et toi, de ton côté, où en es-tu de ta thèse ?

— Elle suit son cours. Enfin, j’avance petit à petit mais il y a encore du travail avant qu'elle ne soit finalisée. »

Jennifer hocha la tête. La réponse de sa sœur était concise, et Jennifer aurait espéré une discussion plus approfondie. Cherchant un moyen de relancer la conversation, elle feignit de chercher quelque chose dans un placard.

Jennifer soupira de soulagement intérieurement car elle entendit au loin que quelqu’un était en train de manoeuvrer la porte d’entrée. Patrick venait de rentrer du magasin.

« Tiens, voilà mon homme. On va pouvoir dîner bientôt.

— Euh, tu n’as pas dit que tu voulais commander ? demanda Shany en fronçant les sourcils.

— Si si. C’est vrai, faut que j’appelle le traiteur, j’avais oublié, fit Jennifer en mimant de se donner un coup sur la tête. Je vais chercher le téléphone. »

Elle s'apprêtait à changer de pièce quand Patrick apparut en ouvrant la porte à grand fracas :

« Hello les frangines ? Comment ça se passe, les retrouvailles ? »

Aucune des deux ne sut comment embrayer sur l’interrogation de Patrick. Jennifer en profita pour contourner son mari et aller attraper le téléphone fixe dans le salon, tandis que son époux sans attendre une réponse qui ne venait pas, enchaîna :

« Shany, comment ça va à l'université ?

— J'avance sur l’écriture de mon mémoire. Tu as beau avoir établi un plan avec un angle de recherche, parfois, tu te rends compte que tu t’es fourvoyée. Alors, tu reprends et corriges sans cesse. Parfois, j’ai l’impression que je n’arriverai jamais à boucler ce fichu mémoire dans les temps. Et toi, la boutique ? »

Le coeur de Jennifer se serra : elle réalisait enfin la complicité qui unissait Shany et Patrick, et en ressentit une pointe de jalousie. Pour éviter d'endurer cela, elle s’effaça pour commander le dîner.

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