Chapitre 44 - Seconde séance

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Pour sa seconde séance avec l’hypnothérapeute, Jennifer était un peu nerveuse. La précédente n’avait été qu’un entretien d’évaluation .

Jennifer avait appelé Paul, le père de Brian, qui avait confirmé le sérieux du spécialiste. A la fin de chaque séance, il analysait ce qui s'était déroulé puis proposait une orientation thérapeutique pour le prochain rendez-vous. Jamais il n'imposait quoique ce soit. C’était un peu bizarre aux dires du père de Brian car cela rendait le patient responsable de sa propre guérison ou non. Ce n’était pas une mauvaise chose en soit. C’était à double tranchant, avait-il avoué.

O’Connor vint l'accueillir à l'heure pile dans la salle d'attente. Ils passèrent dans le cabinet.

« Bonjour, Madame Cunningham. Comment vous sentez-vous ce matin ?

— Plutôt bien, quoiqu’un peu nerveuse.

— Très bien, c’est un bon début. C’est normal d’angoisser un peu si c’est votre première expérience d’hypnose. Est-ce que votre trouble est toujours aussi présent ?

— Plutôt oui. Même si ça s'est un peu atténué. J’ai peut-être changé de regard. Cela me pertube toujours autant et j'aimerais en savoir plus sur cette sensation de "déja-vu".

— Je comprends tout à fait et je pense que ça mérite d'être creusé. Ainsi vous accepterez mieux votre sentiment en ayant été au bout de votre démarche. »

Jennifer se dit que la réponse de O'Connor était convenue. Le ton de sa voix n’était ni trop bas, ni trop haut. Elle comprit qu'il se voulait ainsi rassurant.

Il sourit, joignit ses mains et déclara :

« Avant que vous ne soyez en état d’hypnose, je souhaite apporter la précision suivante : l’état modifié de conscience permet de faciliter l’accès à l’inconscient du patient en rendant accessibles des ressources peu exploitées. Vous êtes certes plongée dans un état de conscience modifié, c’est-à-dire, dans un état proche de l'endormissement, le stade avant le sommeil. Un état d’entre deux, entre la veille et le sommeil. Cet espace, ce moment est le vôtre, chaque instant doit rester confortable. Du moins, vous devez vous sentir en sécurité. Sachez que je ne peux pas prendre le dessus ou le contrôle sur vous. Je ne peux pas vous faire faire la moindre chose contre votre volonté. Peut-être que je vous suggérerai de penser à un souvenir, de rentrer plus spécialement dans un sentiment, une pièce, sans vous contraindre pour autant de les réaliser. Sachez qu’à tout moment, vous pouvez interrompre le processus.

— Stopper ? Je l'apprends. Merci de votre attention. Mais comment ?

— En bougeant la tête, par exemple. Si j’observe que le moment est difficile pour vous, j’adapte la séance ou bien je vous accompagne pour vous faire revenir ici et maintenant.

— Si vous le voulez bien, nous allons reprendre ce qui a été convenu mardi dernier. Vous allez fermer les yeux, suivre ma voix, vos membres vont s'alourdir. Laissez-vous aller. Je vais compter jusqu'à trois. Je vais vous proposer de contacter ce moment de vos huit ans. Laissez venir à vous les images, sans juger. Relatez ce qui se passe, ce que vous entendez. A la fin de la séance qui dure environ vingt minutes, je compterai à rebours de trois à un. Vous reviendrez à votre rythme au présent. Nous aurons ensuite largement le temps d'échanger. Avez-vous des questions ?

— Non. »

Sur un ton tout aussi standardisé, il précisa :

« Mettez-vous à l’aise, retirez éventuellement votre foulard pour respirer tranquillement. Vous êtes assise en face de moi. Vous vous calez dans le fauteuil. Quand vous le sentez, fermez les yeux. Vos pieds sont parallèles, bien à plat au sol. Vous respirez par le nez. Sentez que votre dos repose sur le dossier du fauteuil. Sentez l’air passé dans vos narines. Les respirations se font de plus en plus longues. Je vais compter jusqu’à trois, lentement. A trois, vous serez en état d'hypnose. »

Le spécialiste marqua une courte pause, puis, égrena :

— un … … … deux … … … trois

Jennifer, toujours en perpétuel mouvement, s'accrochait aux paroles du spécialiste. Elle se demandait ce qu'elle faisait là. Bon, après tout, je suis venue, autant jouer le jeu. Et puis, il faut que j'arrête de réfléchir tout le temps. Allez, stop, le vélo dans la tête. deux… trois… “humm, ça fonctionne”.

Une nouvelle fois, il attendit quelques secondes afin de s’assurer que Jennifer réagissait peu. Il observait les moindres mouvements de son corps, les mimiques de son visage. Son débit de paroles se fit alors plus lent :

— Maintenant, Jennifer, vous avez huit ans. Que voyez-vous ?

— Je porte une robe d’été.

— Où êtes-vous ?

— Dans un petit jardin … … …

— Pouvez-vous décrire ce qui vous entoure ?

— Des papillons … … … plein … … … Je suis gaie … … … Je suis parmi… avec les papillons.

— Oui ?

— Heu … … … Ces papillons … … … Il y a un petit arbre, des fleurs rouge-orangé … … … L’arbre sent bon … … … très bon … … … Il a des petites feuilles vertes, sombres … … … et … … … Je vois une lumière … … … blanche … … … Les papillons vont dans la lumière … … … Je ne les vois plus … … … Si … … … D’autres papillons, ils tournoient … … … Ils vont vers la lumière … … … Ma tante … … Elle m’appelle … … … Ma grand-mère m’appelle … … … Elle m’appelle … … … ? Je reconnais leur voix … … …

— Savez-vous pourquoi vous êtes là ?

— Je ne suis pas certaine. J’ai l’impression que c’est juste parce que… C’est ma maison.

— Vous pouvez vous déplacer ? Vous voyez cette maison ? »

Les yeux toujours clos, Jennifer fronça les sourcils comme si elle cherchait réellement à voir quelque chose de plus éloigné.

— Oui… Je distingue une façade avec de grandes fenêtres. Le bâtiment est immense.

— Vous entendez du bruit ?

— Oui, on dirait… Un bruit de mer.

— Vous la voyez ?

— Non. On dirait que c’est en contrebas.

— Autre chose ?

— J’entends des cris… Des pleurs, plutôt. Cela vient de la maison… je n’ai pas envie d’y aller. J’ai le cœur qui se serre.

— Vous pouvez essayer ?

— Non. Je n’ai pas le droit.

— Pas le droit, pourquoi ?

— Je ne sais pas. Je dois rester là. Y a des rires et des couleurs au moins ici.

— Que voyez-vous d’autre ?

— C’est flou … … … Je ne vois plus rien ?

— Très bien. Écoutez ma voix. Prenez votre temps, respirez profondément. Je vais compter à l’envers, doucement de trois à un. A un, vous serez parfaitement éveillée. Vous ouvrez les yeux quand vous en ressentez l’envie, à votre rythme.

— trois … deux … un, Jennifer, vous êtes éveillée, dans ce cabinet. »

Jennifer prit son temps, ouvrit les yeux difficilement. C’était assez déroutant. Tous ses indicateurs corporels lui soufflaient qu’elle venait de se réveiller. Pourtant son cerveau était dans un état proche d’une sorte d’excitation. Toutes les sensations qu’elle venait de ressentir étaient présentes dans son souvenir avec une précision dont il était difficile d’imaginer qu’elle puisse être inventée. Tout le monde a déjà expérimenté le réveil après un rêve particulièrement immersif mais tout le monde se rappelle également la vitesse où le flou apparaît à chaque sollicitation de la mémoire sur des éléments précis. Cette fois-ci, c’était troublant : elle pouvait naviguer dans le souvenir sans zone floue. Son cerveau était parfaitement conscient que tout le film n’avait aucune réalité tangible… Du moins en tant que “passé” vécu il y a quelques instants… Jennifer referma les yeux une nouvelle et se mit à bailler comme jamais.

« Très bien, vous pouvez vous étirer, si vous le souhaitez. » fit O’Connor en esquissant un sourire puisque Jennifer n’avait pas attendu son indication pour commencer à se détendre.

« Bien, très bien. Comment s’est passée cette première expérience ?

— Étonnamment bien. Je suis assez surprise du résultat en vérité.

— C’est ce que je pense aussi, vous êtes rentrée en état d’hypnose rapidement. Vous êtes particulièrement réceptive, on dirait. Dans ce que vous venez de vivre, y a-t-il un détail que vous n’auriez pas oralisé ?

— Non.

— Prenez votre temps, parfois les détails viennent peu à peu.

Après une hésitation, la jeune femme poursuivit :

— Huuum, oh oui… c’est assez incroyable. Les détails ne me reviennent pas peu à peu, ils sont là…. Dans ma tête, c’est plutôt leur profusion qui est déstabilisante.

— Oui ?

— Le prénom !

— Le prénom ?

— Oh, ce n’était pas le mien ?

— C’est-à-dire ?

— Ma grand-mère m’a appelé… Oh, non… Clélia.

— D’accord et avez-vous reconnu l’endroit… le jardin.

— Je crois, oui, mais je l’ai vu tellement de fois en rêves qu’il faudrait que j’interroge ma mère.

— Très bien.

— Ce prénom, Clélia, vous dit-il quelque chose.

— Non, du tout.

— Ecoutez, cette séance s’est très bien déroulée. Lors de votre prochaine visite, nous pourrons aller plus loin dans cette scène. Entre-temps, vous pouvez vérifier auprès de votre famille où et quand cela était précisément.

— Si vous avez d’autres informations, n’hésitez pas à appeler ma secrétaire qui transmettra. Cette fois-ci, je vous ai guidé le moins possible. J’ai préféré vous laisser le soin de décrire votre environnement. Vous laissez du temps pour faire l’expérience de la technique.

— Je vous invite à prendre rendez-vous avec Truth Si vous pensez ressentir des effets secondaires, rapprochez également d’elle. Je vous recontacterai dès que possible. La prochaine fois, nous nous mettrons d’accord sur le but de la séance. Cela vous convient-il ainsi ?

— Parfaitement. Je vais de suite prendre rendez-vous. Je vois si ma sœur et ma mère peuvent m’en dire plus sur cette période. Je vous tiendrai au courant si j’obtiens des éléments importants.

— Très bien.

Il prenait toujours soin de vérifier que les patients avaient bien compris ce qu’il se disait en fin de séance. Ils sortaient d’un état proche de la transe. Il fallait un peu de temps parfois pour revenir totalement au monde réel.

— Il ne me reste donc plus qu’à vous dire au revoir.

— Au revoir, M. O’Connor et elle se dirigea vers l’accueil.

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