Chapitre 62 - Rechute
Il était une heure quarante-deux du matin quand l'hôpital appela Patrick.
« M. Cunningham, désolé de vous déranger, ici le Saint Lukes Roosevelt Hospital. Nous tenions à vous prévenir que votre fille Clara est actuellement en soins intensifs. Elle est tombée en insuffisance respiratoire vers une heure du matin et nous l’avons placée sous respirateur. »
Patrick secoua la tête pour se réveiller et respira un grand coup avant de parler.
« Comment va-t-elle ?
— Pour l’instant, elle est stable et en observation. Allez-vous pouvoir venir ?
— D’accord. Je suis là d’ici vingt minutes. Merci de m’avoir prévenu. »
Patrick se redressa et s’assit sur le rebord du lit. Il attrapa son smartphone et prépara un message à Jennifer.
« Clara en soins intensifs. Stable et sous respirateur. File à l’hosto. Te tiens au jus. Bisous »
Il hésita quelques secondes avant d’appuyer sur le bouton d’envoi. Fallait-il alerter Jenny ? D’un côté, il se disait qu’il allait peut-être la faire flipper pour rien, de l’autre, s’il ne le faisait pas et que quelque chose tournait mal, il s’en voudrait et Jennifer lui en voudrait à un point difficilement imaginable. C’est pour cela qu’il détestait l’attitude de son épouse : partir quelles que soient les circonstances. C’était injuste car au final elle était loin et ne se prenait pas en pleine figure à longueur de temps ces petits cas de conscience. Il balança la tête et se mordit les lèvres. Et puis il finit par appuyer sur le bouton d’envoi.
Il prépara un second message pour Ted et Judy afin de les prévenir de son absence, au moins pour la matinée. Il se leva, enfila rapidement des vêtements et attrapa ses clés de voiture. Ce n’était pas la première fois que l’hôpital appelait pour une dégradation de l’état de santé de Clara. Il aurait bien souhaité qu’elle soit hospitalisée au Lenox Hill Hospital pour être sur place plus rapidement. Il y avait pourtant un département de pneumologie, malheureusement le coût était prohibitif sur la longue durée. C’était comme cela et il fallait s’en contenter.
La circulation dans New York à cette heure-ci était bien plus agréable qu’en journée et Patrick ne mit que dix-huit minutes pour arriver et se garer dans le parking souterrain de l'hôpital. Il passa par l’accueil pour demander si Clara était toujours en soins intensifs et un soignant qui passait par là se proposa de l’emmener dans le service.
« Vous êtes le père de Clara ? » demanda le jeune médecin.
« Oui. Pourquoi ?
— Oh pour rien. Juste que votre fille est connue. Moi je travaille ici depuis seulement deux semaines, elle m’a déjà été présentée. C’est une gamine courageuse et surprenante. Je n'ai pas discuté longtemps avec elle. Le peu que j’ai échangé m’a permis de voir qu’elle avait une intelligence rare. Franchement, j’aurais bien voulu avoir sa vivacité d’esprit au même âge. J’aurais sûrement passé mes diplômes un peu plus jeune et perdu moins de temps à m’interroger sans fin pour savoir si j’étais capable de faire mon métier. »
Patrick n’écoutait le type que d’une oreille. Il savait que le garçon essayait d’être aimable mais il se posa la question de savoir si celui-ci était conscient d’être envieux des aptitudes d’une personne dont le pronostic vital était loin d’être enviable.
« Clara a toujours été précoce. » fit Patrick pour toute réponse.
Le jeune médecin lui fit signe de tourner pour emprunter les ascenseurs.
« Les soins intensifs sont à l’opposé de la pédiatrie. »
Arrivés à l’étage, Patrick vit au bout du couloir l'infirmière de Clara, Monica. Celle-ci lui fit signe.
« M. Cunningham, bonjour. Venez. Clara est ici. Elle est encore un peu groggy car on lui a donné du lorazépam. Mais cela devrait se passer d’ici une petite heure.
— Bonjour, Monica. Que s’est-il passé ?
— Pour l’instant, on ne sait pas trop. Ce qui est certain, c’est que Clara s’est retrouvée subitement en insuffisance respiratoire. Heureusement elle a réussi à appuyer sur le bouton d’appel et nous sommes intervenus rapidement. Elle s’est mise à paniquer et c’est pour cela qu’on l’a médiquée. Ensuite, nous avons pu la brancher sur un respirateur. Nous avons fait une radio et fait une prise de sang. Nous attendons les résultats et le médecin pour avoir son diagnostic. En tout cas, pour l’instant, l'état de Clara est stable.
— Merci. Quand est-ce que le médecin va passer ?
— D’ici, une demi-heure, je dirais. Il est parti sur une autre urgence à l’autre bout du bâtiment.
— Vous n’avez aucune hypothèse sur les raisons ?
— Honnêtement, je serais incapable de vous dire : j'ai pris mon service hier midi et j’ai vu plusieurs fois Clara dans la journée. Je n’ai rien remarqué et elle-même, elle ne s’est plaint de rien. Clara n’est pas du genre à cacher les choses lorsque quelque chose cloche. Cela fait si longtemps qu’elle se bat contre sa maladie. »
Patrick hocha la tête pendant qu’il marchait côte à côte avec l’infirmière. Depuis maintenant sept ans, Clara tentait de vaincre la maladie, la moitié de sa vie en somme. Patrick se souvenait de la première fois où il l’avait emmenée aux urgences. C’était un dimanche. C’était Shany qui avait trouvé Clara inconsciente dans sa chambre et elle avait hurlé. Patrick se souvenait de son cri. Il se rappelait aussi de la première réaction de colère qu’il avait eue, en pensant qu’elle faisait encore une crise. Il se rappelait chacun de ses gestes. Il avait essayé de secouer sa fille dans l’espoir idiot qu’elle puisse se réveiller. Un éclair de lucidité lui avait fait composer le 911. Ensuite, il avait agi tel un robot, écoutant les instructions qu’on lui donnait par téléphone. Tout s’était déroulé en une dizaine minutes mais sur l’instant, il lui avait semblé que chaque seconde s’étirait encore et encore. Patrick avait entendu les secours frapper à sa porte, il avait hésité ce qui lui sembla une éternité avant de reposer le corps de sa fille sur le flanc pour aller ouvrir. Il avait été tenté de la porter et l’emmener à l’entrée mais c’était clairement une mauvaise idée. La chambre sans être immense était sûrement plus adaptée que le couloir de l’entrée. Après, les choses se sont déroulées comme une sorte de film devant ses yeux.
Parallèlement à son inquiétude pour sa fille, il voyait le regard vide de Shany et il savait qu’elle n’était plus là. Il comprenait ce qu’il se passait : elle était remontée dans le temps, cinq ans. Les scènes se percutaient aujourd'hui Clara, il y a cinq ans, Hasher. L’histoire se répétait-elle ? Clara avait 13 ans, le même âge que Hasher. La souffrance de Shany était intense. Elle n’arrivait plus à réagir. Elle revoyait Hasher sur le brancard, et Clara aujourd’hui, emmenée dans les mêmes conditions que son frère quelques années plus tôt. Elle entendait la sirène de l’ambulance : un cauchemar en remplaçait un autre. A un moment, il avait fini par ramener Shany à lui pour la serrer dans ses bras pendant que les secours s’occupaient de Clara. Bien vite, Clara se retrouva avec un masque pour l’aider à respirer mais on aurait dit encore une poupée de chiffon. Sa peau plus blanche encore que d’habitude renforçait cet aspect.
« C’est bon, votre fille est stable mais elle ne réagit pas. On va l’emmener à Lenox Hill. Vous voulez venir avec nous ? Nous pouvons prendre une personne… »
La recherche d’une réponse à cette question fut une torture pour sa tête. Il voulait suivre sa fille parce qu’évidemment, c’était sa fille mais avec Shany complètement atone dans ses bras, il ne se voyait pas la laisser ainsi. Une nouvelle fois, il eut une bouffée de colère : où était Jennifer encore une fois ? Pourquoi fallait-il qu’il choisisse alors que normalement, il aurait fallu affronter cela à deux.
« Shany va vous accompagner. Moi, je vous rejoins en voiture.
— Ok, on y va. Mademoiselle, vous nous suivez ? »
Les secours et Shany avaient disparu et il était resté seul dans l’appartement quelques minutes avant de partir.
*
« M. Cunningham ? M. Cunningham !? »
Patrick revint de son absence momentanée et regarda Monica.
« Oui ?
— Nous sommes bientôt arrivés, la chambre de Clara est après le sas. »
Il alla poser son manteau dans le vestiaire qu’il fallait verrouiller avec un code. Puis il entra dans le sas. Il s’approcha du distributeur de savon et se lava les mains dans le petit lavabo installé à cet effet. Ensuite, pendant qu’il s’appliquait à les sécher, il parcourut la pièce des yeux. Cet endroit était en quelque sorte une métaphore de sa vie. D’aucuns diraient plus vulgairement qu’il avait toujours eu le cul entre deux chaises. Il fallait reconnaître qu’il n’était pas malheureux. Certes, la maladie de Clara n’était pas le plus beau cadeau du monde mais sa fille en revanche l’était. Pourtant avant sa naissance, ce n’était pas une chose qu’il aurait pu imaginer.
Une fois équipé de toutes les protections, il entra dans la chambre et s’approcha du lit de Clara. Elle dormait et semblait paisible. Il passa sa main dans ses cheveux et la jeune fille, toujours endormie, se tourna vers lui pour attraper son bras. La position n’était pas idéale mais Patrick préféra ne pas bouger: toujours le cul entre deux chaises. Il regarda vers le côté de l’armoire qui était placée dans le prolongement et repéra le lit de camp. Dès que Clara relâcherait un peu son étreinte, il l’attraperait pour s’installer et passer une nuit aux côtés de sa fille, chose qui n’était plus arrivée depuis des années.
« M. Cunningham, bonsoir. Docteur Swan Johnson. C’est moi qui me suis occupé de votre fille.
— Que s’est-il passé et comment va-t-elle ?
— Je n’ai pas encore le résultat de tous les examens et je pourrais vous en dire un peu plus d’ici une à deux heures. Pour ce qui est arrivé, je ne suis pas sûr de comprendre la cause mais les bronches des poumons de votre fille se sont retrouvées encombrées. Je lui ai donnée du Lorazépam pour la calmer et je l’ai branchée sur un hyper-insufflateur pour aider le drainage bronchique. Je compléterai avec un expectorant classique par voie orale lorsque la crise sera passée. J’ai demandé une radio des poumons et une prise de sang pour voir l’état des poumons et tenter de comprendre ce qu’il s’est passé. Mais je dois être honnête, vous devez le savoir, la pathologie de votre fille est peu documentée. Tout ce que je peux faire, c’est surtout m’assurer de l’état de ses poumons. C’est la donnée primordiale. J’ai vu que votre fille est sur la liste des demandes de greffes mais pourtant il n’y a pas d’accord pour autoriser la transplantation. Du coup, je ne comprends pas, vous pourriez peut-être m’éclairer ? »
Patrick leva la tête vers le médecin. Pouvait-il l’éclairer ? Lui-même n’était pas sûr de bien comprendre comment les choses en étaient arrivées là.
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