Chapitre 63 - La décision
A six heures pile, le téléphone de Patrick se mit à vibrer. Patrick ouvrit un œil pour regarder l'écran : c'était Jennifer. Il sortit de la chambre pour éviter de réveiller sa fille.
« Allo.
— Hello, j’ai eu ton message. J’ai attendu pour t’appeler car je suppose que la nuit n’a pas été terrible.
— Ça va. J’ai connu pire.
— Comment va Clara ?
— Elle dort comme un bébé.
— Ouais… Que t’ont dit les toubibs, je veux dire.
— T’es pressée ?
— Non. »
Patrick connaissait les intonations de la voix de sa femme par coeur et la il savait qu’elle lui mentait.
« Tu sais, si tu n’as pas le temps de parler de ta fille, rappelle plus tard.
— Non… Euh… J’ai tout mon temps, c’est juste que… Laisse tomber. Ils t’ont dit quoi les toubibs alors ?
— Qu’ils ont fait des examens, qu'ils ne voient rien de préoccupant, qu’il faut qu’on clarifie le dossier de la demande de greffe car pour eux c'est la meilleure option et si le dossier de Clara était retenu, il serait rejeté car il n’y a pas le consentement pour l'opération. L’UNOS ne fait pas de quartier. »
Jennifer sembla chercher ses mots sans les trouver.
« Maintenant, nous sommes au pied du mur. Pourquoi laisser Clara avoir ses crises quand la possibilité de l'opération existe ?
— Je sais mais je n’aime pas qu’on parle de cela quand Clara est dans les parages. »
Patrick approuva et se glissa silencieusement dans le couloir.
« C'est bon je suis sorti.
— Personnellement je préfèrerai qu'elle prenne la décision toute seule et non parce qu’elle aura entendu que ses parents se disputer sur le sujet.
— Je ne pense pas que ce soit le problème.
— Que veux-tu dire ?
— Je pense qu'il faut qu'on prenne la décision à sa place, c'est la vie de notre fille qui est en jeu et je n'ai pas envie de la perdre sur le caprice d'une môme.
— Tu crois ?
— Tu proposes quoi autrement ? C'est la meilleure option qu'on a pour l'instant. En plus, les symptômes sont de plus de plus inquiétants. Il m'est parfois difficile de la regarder : c'est insupportable pour un père. Dernièrement, j''ai même vu apparaître des tâches bleues foncés sur son torse. Tu imagines ?
— Des tâches bleues ? C'est bizarre. Mais que va dire Shany si on fait ça ?
— Mais Shan n’est pas la mère de ta fille et ce serait utile que tu t'en rendes compte. »
Jennifer resta silencieuse pendant quelques secondes.
« Tu as raison, nous ne pouvons pas la laisser souffrir comme ça. Envoie-moi les papiers. Je ferai ce qu'il faut. »
Et elle raccrocha.
*
Assise à son bureau, Gloria étudiait le rapport concernant les différentes analyses effectuées par l’équipe des experts du MoMa. Gloria laissa de côté l’analyse microscopique qui ne permettait que d’étudier le vieillissement de la peinture. Les lumières de Wood et les monochromatiques montraient que le tableau avait été retouché deux ou trois fois. Bien qu’intéressant, il n’y avait rien d’extraordinaire à raconter de manière plus précise la manière dont Battaglini avait remanié la scène. Le plus remarquable était le résultat de la réflectographie à l'infrarouge. Les experts avaient transmis les différentes couches du tableau depuis l’esquisse à l'œuvre peinte finale. Certaines parties de chaque couche avaient été grossies. Les gros plans démontraient la technique employée par Battaglini pour peindre certains traits. Au milieu de tout cela, un de ces détails était troublant. Un élément qui figurait sur l’esquisse et sur la première couche peinte au niveau du cou de la jeune fille du tableau.
Gloria fronça les sourcils. Il lui sembla que l’élément en question lui était familier. Elle chercha dans sa mémoire. Cela ressemblait presque à un logo et cela l’induisit en erreur pendant une bonne demi-heure. Elle se leva et alla chercher un livre de symbologie qui prenait la poussière sur l’une des étagères de sa bibliothèque personnelle. Elle tourna les pages, les unes après les autres, comparant la forme aux nombreuses planches de l’ouvrage. Ce n’était pas cela.
Au bout de ladite demi-heure, Gloria fit une pause qui lui permit de repenser à ce qui l’avait amené là. Elle repensa à Jennifer. Elle adorait cette fille. Un peu trop peut-être, au goût de Jennifer mais pas au sien, mais bon, les goûts et les couleurs, comme on disait, cela ne se partageait pas. Durant leurs études, elles en avaient fait des choses, des belles et des moins bonnes. Il semblait que même après cette période, cela devait perdurer. Jennifer. Elles avaient été colocataires pendant une courte période mais cela n’avait pas duré. C’était compliqué autant pour elle que pour Jenny. Gloria aurait voulu profiter un peu de la situation sans que cela puisse faire de vagues mais côté Jenny, elle avait un côté rigoriste qui ne savait pas s’adapter…. Alors elles avaient cherché et trouvé chacune de leur côté une solution. Malgré cela, elles étaient restées très bonnes amies. Gloria se mit à rêvasser. D’un seul coup, une image lui revint en tête. Issue de cet épisode de colocation et d’une chose que l'œil de Gloria n’avait pas manqué de photographier en détail.
Sachant que l’étude des différentes couches de la peinture était importante pour son amie, Gloria décida d’envoyer quelques clichés par email à Jennifer en précisant bien qu’il lui fallait rester discrète. Elle rajouta en post-scriptum un petit message un peu étrange pour qui n’avait pas de contexte.
« Pourrais-tu m’envoyer un selfie de la base de ta nuque profil gauche ? Promis, il n’y a rien de bizarre, juste un souvenir qui m’est revenu et que je voudrais confirmer. Merci, Biz ! »
*
Patrick retourna dans la chambre de sa fille. Elle avait disparu. Il courut dans le couloir jusqu’au bureau des infirmières. Une jeune titulaire l’arrêta et l'interpella :
« Monsieur, ne courrez pas dans les couloirs, s’il vous plaît.
— Ma fille a disparu de sa chambre et vous me parlez de ne pas courir dans les couloirs ? Vous vous fichez de moi ? »
La jeune femme ravala ses mots et se confondit en excuse mais Patrick n’en avait que faire. Il fut heureux quand Monica revint dans le bureau. Elle ne put masquer sa surprise et laissa échapper :
« Vous êtes certain ?
— Vous voyez une autre explication ? »
L'infirmière connaissait bien Clara et son père. Cela lui paraissait improbable que Patrick s'inquiète pour rien. Quant à Clara, elle connaissait le caractère explosif de la gamine et sur un pétage de plomb, il était clairement envisageable que Clara ait pris la poudre d'escampette. Monica prit le téléphone et appela le poste de sécurité.
« Allo ? On a un problème. On a une patiente qui devrait être en chambre stérile qui s’est échappée. C’est une mineure. Elle a treize ans. »
Monica décrit l’adolescente du mieux qu’elle put.
« Vous savez pourquoi elle s’est enfuie ?
— Je pense, oui. Je pense qu’elle a dû entendre qu’on a accepté la greffe avec sa mère.
— Vous ne lui en aviez pas parlé ?
— Non, je comptais le faire là…
— Après avoir donné votre accord ?
— Oui, ce n'est peut-être pas ce qu'on a fait de mieux.
— Bon, attendez ici, on va tenter de la retrouver. »
Annotations
Versions